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À la Duchère, l’immeuble des Érables : entre fracture et entraide

L’immeuble des Érables fait partie des grands ensembles de la Duchère, à Lyon. A sa construction, il réunissait à la fois logements sociaux et privés, au sud pour les premiers, au nord pour les seconds. Une mixité sociale qui a créé une certaine fracture entre les habitants, mais n’a pas empêché pour autant l’existence d’une vie collective. 

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Les Erables

Sur le plateau de la Duchère, l’ensemble des Érables surplombe Vaise. Une imposante façade d’une blancheur géométrique, 18 étages, 400 logements, un vrai petit village. Rien à voir avec la mythique «barre des 1000», mais déjà un beau bébé. Il a poussé là après-guerre, au milieu des autres «unités de voisinage» dont les architectes Cottin et Grimal orchestrent à l’époque la construction.

Une géométrie signée Jean Dubuisson

C’est Jean Dubuisson, un architecte lillois, qui a imaginé l’immeuble. Très impliqué dans la Reconstruction de la France, il a réalisé plus de 20 000 logements au cours de sa carrière. Parmi eux, l’immeuble des Erables, érigé entre 1964 et 1967. Sa spécialité : des lignes, de la géométrie, une architecture épurée.

Ancienne infirmière désormais à la retraite, Suzanne Montandon-Varoda habite la partie nord de l’immeuble depuis 1968. Emménager là, c’était une évidence pour elle. Elle n’est pas rebutée par la verticalité de la Duchère, au contraire. C’est la vue imprenable qui l’a séduite.

Elle nous la montre depuis son balcon envahi par les plantes en pots.

« A Lyon, les gens n’en ont rien à faire de la vue. Ils veulent habiter dans la basse ville », plaisante-t-elle.

Elle salue le travail de l’architecte :

« Dubuisson, il voulait que les gens aient de l’air et du soleil. »

En effet, Jean Dubuisson s’inscrit dans ce qu’on appelle le courant hygiéniste. Construire des logements sociaux, certes, mais avec de la verdure autour, de nombreux rangements, plusieurs pièces confortables, et surtout de grandes fenêtres qui laissent entrer la lumière.

Les balcons des appartements offrent une vue imprenable sur Lyon. ©ED/Rue89Lyon

Carmen Garcia et son mari sont aussi arrivés au début de la vie de l’immeuble, également côté nord :

« On habitait une tour au Château [un des sous-quartiers de la Duchère, ndlr], on a vu la construction. »

La bâtisse et son architecture leur ont plu : 

« C’est une ambiance ! »

Avant, la Duchère était semée de prés, Carmen se souvient qu’elle allait « jouer dans l’herbe et les pâquerettes avec [son] fils, en haut de cette « petite montagne ». » 

Entre Érables Nord et Érables Sud, la fracture

Jusqu’au début des années 2000 et le lancement d’un gigantesque chantier de rénovation urbaine, l’immeuble des Érables a fait figure d’exception : dès sa livraison, le bâtiment a été divisé en deux morceaux. Une partie des appartements était gérée par un office public, le Sial (Service Inter Administratif du Logement – SIAL), l’autre était privé et dépendait de la Cofimeg (Compagnie Française d’Investissement Immobiliers et de Gestion). Ce n’est qu’en 1975 que la partie Sud est elle aussi devenue une copropriété.

Au milieu d’un quartier constitué, à l’époque, uniquement de barres HLM, les Érables dénotaient. Carmen raconte : 

« Les Érables étaient vus comme les bourgeois de la Duchère, justement parce qu’il y avait des copropriétaires. »

Milieux sociaux s’y croisent donc, comme le raconte Philippe Couteau, habitant et membre de l’association Adile (Amis de l’immeuble Les Érables) :

« Il y a eu un décalage entre les deux parties. L’acquisition d’un logement, c’est quelque chose de choisi, de réfléchi. Avec le placement par un office, c’est un logement qui peut être subi. »

Une fracture entre les deux parties qui s’est ressentie jusque dans les murs, se souvient Carmen : 

« Je ne me rappelle plus quand, peut-être dans les années 80, le hall a été coupé. Avant, ceux qui habitaient au bout traversaient tout, avec les enfants en trottinette, mais cela abimait le revêtement du sol. Quand le mur a été construit, ça a fait du bruit, les gens disaient « C’est le mur de Berlin, c’est les bourgeois qui ne veulent pas de nous… »

« Ils ont créé une vie collective » 

La vie collective n’est donc pas toujours allée de soi, même si elle a su exister aux Érables. Quand Suzanne parle, affleure un grand attachement à son immeuble, son quartier, une fierté d’être «d’ici» :

« La Duchère, c’est un endroit où tous les gens se connaissaient. Il y avait beaucoup de rapatriés d’Algérie. Ils étaient habitués à vivre en communauté, loin du quant-à-soi lyonnais. Ils ont créé une vie collective, qui a persisté dans l’immeuble. Les Érables, c’est bien tenu, c’est tranquille, c’est beau. Il y a un couple de gardiens exceptionnels. Ils voient tout, ils négocient avec les habitants quand il y a des problèmes. Il y a des épisodes explosifs aussi, mais comme partout. »

Elle souligne l’entraide qui règne entre les paliers :

« Les voisins se connaissent de manière incroyable. Je me fais vieille alors d’autres m’aident, comme Monsieur Petit. Et je ne suis pas la seule ! »

Cette vie tend à changer avec le vieillissement des habitants des Erables. Des vieux s’éteignent, des familles arrivent, Carmen regrette :

« C’était plus collectif avant. Il y avait des familles avec beaucoup d’enfants, ils jouaient ensemble, ils allaient ensemble au basket, au football. Les gens se réunissaient, sortaient plus… Les enfants qui n’avaient pas trop à manger, ils venaient avec nous le dimanche au basket, on se retrouvait avec 4, 5, 6 petits et on nourrissait tout ce monde ! Maintenant on se dit bonjour, mais c’est plus individuel. »

Les Érables à la Duchère, une architecture sociale ?

Pour Philippe Couteau, cette entraide a pu trouver sa source dans la configuration du bâtiment, tel que l’a pensée son architecte :

« A la base, le hall est conçu pour être un lieu de rencontre, il y a des bancs partout. Aucun espace n’est traversant : chaque ascenseur dessert un palier plus petit et plus intime, où deux appartements se font face. Tout est pensé au millimètre. »

Le hall de l’immeuble, qui ne reste jamais longtemps vide.

Et en effet, quelques étages plus bas, au rez-de-chaussée, dans le vaste et lumineux hall, les habitants se croisent. Ils récupèrent leur courrier, s’arrêtent discuter, se tiennent la porte, saluent au passage le couple de gardien qui veille sur l’entrée, ou tout cela à la fois. 

Quand nous demandons qui nous pouvons interviewer, un petit groupe d’anciens se forme immédiatement pour nous aider. « Il faut que vous voyiez Monsieur Garcia, il habite là depuis le début et il est très érudit. Il est en vacances, mais j’ai son numéro si vous voulez », « il y a Madame Worbe, avec elle vous apprendrez aussi des choses »…

Un projet d’isolation contesté par certains résidents

En 2003, le bâtiment a décroché le label  «patrimoine du XXe siècle», qui vient entériner son statut d’architecture remarquable. Pour autant, il n’a rien à voir avec un classement en tant que monument historique. Le label ne comporte aucune règle concernant une éventuelle rénovation.

C’est là que le bât blesse : un projet de ravalement des façades a été lancé en 2019.

Il comprend une isolation extérieure du mur pignon situé au nord. En effet, les quatorze habitants des appartements qui touchent le pignon ressentent une sensation de froid. Le projet a été validé par les co-propriétaires lors d’une assemblée générale.

Mais il viendrait, pour certains résidents, altérer l’architecture originelle du lieu. Ils se sont donc réunis au sein d’une association, l’Adile (Association des Amis de l’Immeuble des Erables). Leur mobilisation a fini par payer : le projet a été annulé par la copropriété nord, et les travaux suspendus.

Le mur pignon de la discorde et sa mosaïque que certains habitants tiennent à conserver. ©ED/Rue89Lyon

Le projet prévoyait que la mosaïque soit reproduite sous forme de trompe l’œil, grâce à de la peinture. A l’origine, elle est creusée dans la façade. L’isolation consisterait en une couche de polystyrène apposée sur la façade, avec un décroché au niveau du hall. Un choix qui manquait de cohérence pour les membres de d’Adile, au niveau thermique et esthétique, pour qui « le gain de performance thermique était minime » avec la perte de « l’œuvre graphique » que constitue la mosaïque de lignes sur la façade. 

En effet, en plus de la disparition de la mosaïque, le ravalement aurait coupé l’immeuble en deux à la vue, entérinant la division historique entre les habitants du Nord et du Sud.

Le projet de ravalement coupe l’immeuble en deux. En blanc, la partie nord, seule concernée par le ravalement de façade ©Adile

La Drac (Direction Régionale des Affaires Culturelles) d’Auvergne-Rhône-Alpes avait rendu un avis défavorable concernant le projet. Philippe Couteau se réjouit de l’arrêt des travaux :

« On a réussi à convaincre les gens qu’il fallait un beau projet, plus mature. »

S’il n’est pas possible de rentrer dans l’immeuble sans code (ou sans la sympathie d’un autochtone qui vous ouvrira la porte), la façade du géant de béton s’impose à l’œil sur le plateau de la Duchère. Le hall est aussi visible de l’extérieur grâce aux grandes baies vitrées pensées par Dubuisson.


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