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Peut-on sauver les Alpes du changement climatique ?

En raison du changement climatique, d’ici 80 ans les Alpes pourraient n’être plus qu’un joli souvenir enfoui dans le cœur des alpinistes. Peut-on les sauver ?

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Peut-on sauver les Alpes du changement climatique ?

En parallèle de l’exposition «Anthropocène Alpin – quel avenir pour nos montagnes ?» d’Etienne Maury, du collectif Item, cette session des « Mercredis de l’Anthropocène » questionne les conséquences du changement climatique dans les Alpes.

L’occasion de parler du fait que les zones montagneuses, et parmi elles les Alpes, se réchauffent presque deux fois plus rapidement que la moyenne planétaire. Une hausse qui approche 2°C depuis 1900, dont les conséquences sur les paysages et les activités humaines sont de plus en plus visibles.

La Mer de glace, dans la vallée de Chamonix (Haute-Savoie) est un exemple emblématique de ce qui attend les Alpes ces prochaines années : une glace qui se meurt, son manteau blanc s’amincissant en une langue grise à travers laquelle affleurent chaque été un peu plus de pierres.

Exceptionnellement, ce débat des « Mercredis de l’Anthropocène » se tiendra à l’atelier du collectif Item (3 impasse Rey, Lyon 1er), ce mercredi 10 novembre de 18h30 à 20h. A retrouver en podcast également.

Ci-dessous, voici le texte d’un des intervenants : Jean Krug, glaciologue, écrivain et guide d’expédition en Antarctique.

« Sans équivoque, l’influence humaine a réchauffé la planète, les océans et les terres. L’atmosphère, l’océan, la cryosphère et la biosphère ont été soumis à des changements rapides et de grande ampleur. »

Le dernier Rapport d’Évaluation du GIEC, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, publié le 9 août dernier, n’a fait qu’enfoncer le clou. Depuis la période 1850-1900, la température moyenne à la surface de la Terre s’est élevée d’environ 1,1 degré, et la cryosphère, c’est-à-dire l’ensemble de l’eau présente sous forme gelée sur Terre, en subit les conséquences. Avec l’inertie qui caractérise ses composantes, c’est vrai. Avec les temps longs propres à la Terre.

Mais celle-ci répond. Depuis 1900, le niveau des mers s’est élevé d’environ 20 cm, à raison, aujourd’hui, de 3,7 mm par an. Sur les quinze dernières années, les calottes glaciaires et les pertes de masse des glaciers sont devenues les contributions principales à l’augmentation du niveau de la mer.

Et les Alpes, me demanderez-vous ?

Les Alpes réagissent elles aussi. Vite. Trop vite.

Panorama sur la Mer de Glace depuis la gare d’arrivée du Montenvers, l’un des points de vue les plus visités du massif du Mont-Blanc pour sa facilité d’accès. Il est estimé que d’ici 2070, le glacier pourrait ne plus être visible de ce point de vue. Chamonix Mont-Blanc, septembre 2019, alt. 1910m. Photo : Etienne Maury

Les glaciers alpins pourraient disparaître totalement d’ici 80 ans

Pour faire simple, parmi les massifs montagneux répondant le plus vite au réchauffement climatique, on trouve les glaciers de Nouvelle-Zélande, du Caucase et d’Europe centrale. En moyenne, depuis vingt ans, les glaciers alpins ont perdu entre 50 cm et 1 m d’épaisseur chaque année, avec de fortes disparités régionales. En fonction des scénarios d’émission de gaz à effet de serre évalués par le GIEC, d’ici à la fin du siècle, les glaciers alpins pourraient perdre de 70% à 100 % de leur masse.

Il n’est donc pas exclu, dans le pire des cas, que ceux-ci disparaissent totalement d’ici 80 ans.

Voilà pour les chiffres. Des chiffres dont on se doute depuis longtemps. Des chiffres qu’on a fait qu’affiner, en les passant à la moulinette austère de la démarche scientifique, à l’impartialité froide du processus de revue et de la précision statistique. Mais finalement, cela fait des années qu’on parle du retrait des glaciers. Ceux qui les fréquentent nous alertent depuis longtemps, avec une sorte de sensibilité, une forme d’empathie, une vague à l’âme qu’on qualifierait bien volontiers de trop pleine d’affect pour être réellement scientifique.

Ont-ils tort pour autant ?

Les Alpes, un monde envoûtant d’austérité

Mer de Glace, Mont Dolent, Glacier des Bossons, Glacier de Bionnassay, Cervin, Glacier d’Aletsch, Glacier Noir, Ailefroide, Glacier Blanc.

Des noms qui évoquent l’extrême, le brut, le vertical, l’intense et l’intime. Une puissance minérale et glacée, un enchevêtrement de brouillards et de vents plaqués, de couleurs et de sons, une source d’admiration. Un monde qui, bien qu’il subisse le réchauffement de plein fouet, nous marque encore aux fers de nos piolets et de nos crampons, nous laissant dans le corps la trace d’une âme griffée.

En 1910, Jean-Baptiste Charcot, au sortir de ses hivernages en Antarctique, évoquait ce qu’il appelait « le virus des pôles ». Il cherchait à comprendre ce qui rendait ce continent, pourtant glacial, austère, et si peu propice à la vie, aussi attractif, aussi attirant et finalement, aussi envoûtant.

« Ici, disait-il, c’est le sanctuaire des sanctuaires, où la nature se révèle en sa formidable puissance comme la divinité égyptienne s’abrite dans l’ombre et le silence du temple, à l’écart de tout, loin de la vie que cependant elle crée et régit. L’homme qui a pu pénétrer dans ce lieu sent son âme qui s’élève. »

Je me garderai bien de me comparer aux grands noms de l’âge héroïque de l’exploration polaire. Mais le randonneur glaciologue passionné que je suis ne peut cependant s’empêcher de penser que les propos de Charcot recèlent à la fois l’enjeu et la réponse.

Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a là, dans ces Alpes engivrées, dans ces décors lunaires zébrés et soufflés, dans les sons de ces craquements sinistres et puissants, dans l’écho mitraillé des éboulis et des fracas, une forme de puissance autre – rien de mystique –, dans laquelle l’observateur tire humilité et respect. Ce qui prend, là-haut, me fait penser à ce qui me prend, ce qui a pris Charcot, là-bas, tout au bout de la Terre.

Un respect qui ne peut conduire qu’à une forme d’amour.

Retomber amoureux des Alpes pour sauver la Terre

Alors, peut-on sauver les Alpes ?

Passé le constat scientifique – vital au demeurant –, peut-être nous faut-il retrouver ce son, ce bruit, extirper nos sensations du fond de nos gorges, où on les a enfouies. Faire rejaillir ce pourquoi on admire les glaciers, les montagnes, et, plus largement, la nature. Tenter de retrouver en nous ce qui a poussé nos ancêtres, les pionniers de ce monde blanc, à en tomber aussi viscéralement amoureux.

Enfin, transmettre. Éduquer, sans jamais oublier que les Alpes ne sont qu’une portion indissociable de notre monde rond. Elles sont un indicateur de son déclin, elles sont une glace d’alarme, qui s’est allumée. Depuis leur sommet, c’est la Terre qu’on contemple. Notre boule bleutée.

Au-delà des Alpes, c’est elle qu’on veut sauver.

« La sur-fragilité des territoires de montagne », un débat en direct le mercredi 10 novembre de 18h30 à 20h puis disponible en podcast.

Avec :

– Etienne Maury : photographe, il travaille aujourd’hui sur le changement climatique dans les Alpes. En collaboration avec la communauté scientifique, il documente les transformations en cours sur les paysages et les communautés locales, ainsi que les enjeux de ces territoires.

– Jean Krug : ce glaciologue et écrivain est, depuis novembre 2017, guide d’expédition en Antarctique. Son premier roman, Le Chant des Glaces, est paru en 2021 aux Éditions Critic.

Animation : Valérie Disdier, directrice-adjointe de l’Ecole urbaine de Lyon, chargée de programmation et de la diffusion.


#Alpes

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Photo : AD / Rue89Lyon.

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