« Je m’appelle Jean (le prénom a été modifié), j’ai 26 ans. J’habite à la Croix-Rousse depuis que j’ai 18 ans. J’ai grandi dans un quartier populaire. Je ne suis pas militant mais je suis assez réceptif aux problématiques d’immigration, d’identité nationale etc. Je ne suis pas du tout politisé mais j’ai quelques potes qui sont dans les mouvances d’extrême gauche. Ça m’arrive assez régulièrement de faire des manifs.
Samedi 23 octobre, je travaillais et je n’étais pas du tout au courant qu’il y avait une manif contre l’extrême droite. Vers minuit, je suis sorti d’un restaurant pour rejoindre une amie rue Pouteau, dans les pentes de la Croix-Rousse. J’étais à l’angle de cette rue quand j’ai vu débarquer 50 mecs super vénères qui allaient en direction de la place Colbert. Je les ai trouvés assez jeunes, environ 20 ans. J’ai tout de suite su que c’était des fafs, des militants d’extrême droite, personne d’autre ne monte vénère comme ça, à 50, à la Croix-Rousse.
Je me suis mis à les suivre parce que j’ai souvent des potes qui traînent place Colbert, dont un qui s’est fait agresser cet été par des fafs qui zonaient là-bas.
« Le mot « ratonnade » m’est vraiment venu à l’esprit »
Quand les fafs sont arrivés sur la place, il n’y avait personne. Ils ont commencé à invectiver les gens qui étaient là. J’étais à quelques mètres derrière eux, au téléphone. J’ai averti les gens qui étaient en terrasse, qui ne comprenaient pas. Je leur ai dit que c’était des fafs. J’aime beaucoup mon quartier, j’avais envie de protéger les gens qui étaient dans la rue. J’avais peur que quelqu’un se fasse agresser comme mon pote cet été.
Ensuite, j’ai eu beaucoup de chance. L’amie que j’avais plantée à l’angle de la rue Pouteau m’avait suivi en voiture. Au moment où les fafs ont commencé à se diriger vers moi avec véhémence, je suis monté dans la voiture et on s’est barrés. Je suis descendu de voiture un peu plus haut.
Je suis retourné place Colbert, pour voir si les fafs étaient encore là. Ils avaient formé des petits groupes et ils étaient partis. De la place Colbert, je les voyais par groupes de deux ou trois dans les rues adjacentes, avec des gens qui les insultaient par leurs fenêtres. Le mot « ratonnade » m’est vraiment venu à l’esprit. Ils étaient vraiment en train de faire la chasse à des gens, dans un quartier de Lyon, un samedi soir à minuit…
« Ils venaient de planter un gamin ! »
Je suis redescendu vers chez moi, plus bas, et là j’ai croisé un gamin qui venait de se faire planter. Il avait du sang de partout, il était soutenu par deux copines à lui. C’était impressionnant mais pas très grave. Il m’a raconté qu’il avait croisé des fafs, qu’il était un peu bourré, qu’il leur avait fait une réflexion et qu’eux avaient sorti une lame et l’avaient planté. Il devait avoir 18 ans, c’était un mec lambda.
J’étais vraiment énervé. Ils venaient de planter un gamin ! Je ne savais pas comment ça allait se finir cette nuit. Je ne me voyais pas rentrer chez moi. J’ai demandé au gamin où ça s’est passé. Il m’a indiqué une épicerie plus haut, j’y suis allé et je suis tombé sur trois fafs. Je les ai trouvés vraiment très jeunes, entre 16 et 18 ans, ça m’a choqué. Je me suis un peu embrouillé avec deux d’entre eux. J’en ai poussé un qui est allé heurter le mur. Le troisième a immédiatement sorti une lame. Je me suis dit que ça devait être celle avec laquelle il avait planté le gamin. Je me suis barré.
« Comment ça se fait que 50 fafs traversent les deux quartiers les plus fréquentés de Lyon, un samedi soir à minuit ? »
Le lendemain, j’avais le nez qui saignait donc j’ai dû prendre des coups mais je ne m’en souviens pas. Ça ne m’est pas venu à l’esprit d’aller porter plainte. Je n’ai pas confiance en la police, je n’aime pas aller la voir. Le gamin qui s’est fait planter, par contre, je lui conseille d’aller porter plainte. Il n’y a pas que des fafs et des antifas qui se tapent dessus, il y a aussi des gens qui n’ont rien à voir qui se font agresser.
Comment ça se fait que 50 fafs à moitié cagoulés, à moitié encapuchonnés, habillés tout en noir, traversent les deux quartiers les plus fréquentés de Lyon, un samedi soir à minuit ? Ils ont traversé Saint-Paul, la place des Terreaux, ils sont passés devant tous les pubs… C’est les endroits où il y a le plus de caméras à Lyon ! On repère des vols de téléphone mais pas une masse de 50 personnes comme ça ? C’est quand même bizarre.
Samedi, les fafs sont rentrés dormir tranquillement chez eux en se demandant quand est-ce qu’ils allaient revenir.
Moi, j’ai peur pour mon petit frère qui a le même âge que le gamin qui s’est fait planter. Qui sait s’il n’aurait pas fait la même réflexion et pris un coup de couteau, voire pire ?
J’ai l’impression que les violences de l’extrême droite, c’est pire qu’avant. Cet été, ils ont passé un cap. Il y a toujours eu des bagarres entre fafs et antifas mais là, ça touche des gens qui n’ont rien à voir. Quand tu rentres dans la Jeune garde ou dans une équipe comme ça, tu sais à quoi t’attendre, tu sais quels risques tu prends. Cet été, il suffisait d’être rue Mercière, en train de regarder un match tranquille avec ses potes pour tomber sur 50 fachos qui agressent tout le monde. Quand tu sors dans un bar d’une rue commerçante de Lyon, tu n’es pas censé te préparer à une bagarre.»
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