Fille de vigneron, Valérie Murat milite depuis dix ans contre l’utilisation de pesticides en viticulture. Depuis sa région natale du Bordelais, où sont cultivés les prestigieux vins de Bordeaux, elle est la porte-parole de la petite association « Alerte aux toxiques ». En septembre 2020, l’association rend publiques les résultats accablants de l’analyse d’une vingtaine de bouteilles, dont de nombreux Bordeaux : de nombreuses substances actives différentes ont été retrouvées, dont certaines particulièrement nocives pour la santé.
Commence alors un bras de fer juridique avec le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) ainsi que 25 autres professionnels du monde du vin qui portent plainte contre l’association et contre Valérie Murat elle-même, pour « dénigrement collectif de la filière ». Le 25 février dernier, les plaignants l’ont emporté en première instance et Valérie Murat comme l’association ont été condamnées à débourser 125 000 euros en dommages et intérêts, en réparation du « préjudice moral d’atteinte à l’image des vins du bordelais » d’après la décision du tribunal. Valérie Murat a fait appel. Mais celui-ci est contesté. Récit d’un combat.
Elle sera présente à Lyon les 6 et 7 novembre pour parler vin, viticulture, bordelais, labels trompeurs et bien sûr pesticides au salon des vins naturels Sous les pavés la vigne.
« Dans le Bordelais, on est à la bourre sur l’agriculture biologique ou en biodynamie »
Rue89Lyon : Quand a commencé votre combat contre l’utilisation de pesticides dans le vin ?
Valérie Murat : J’ai perdu mon père en 2012 d’un cancer broncho-pulmonaire lié à l’utilisation de pesticides de synthèse. Mon père a été vigneron pendant 40 ans, de 1958 jusqu’à sa retraite en 2002. On lui a diagnostiqué ce cancer en avril 2010. Il a obtenu un certificat médical de maladie professionnelle au bout de quatre mois, ce qui est rarissime.
En Gironde, ma camarade Marie-Lys Bibeyran et moi, on lutte depuis une dizaine d’années. Mais on était souvent rattachées à d’autres associations qui ne sont pas forcément représentatives de ce qui se passe dans le Bordelais. On s’est dit qu’il fallait s’inscrire dans des assos et collectifs d’ici. Voilà comment j’en suis venue à créer l’association « Alerte aux Toxiques », en novembre 2016. De son côté, elle a crée le Collectif Infos Médoc Pesticides (CIMP).
Pourquoi avoir ciblé en particulier le Bordelais ?
Parce que je vis ici ! La viticulture chimique, qu’on appelle plus poliment « conventionnelle », est la viticulture majoritaire en France, et plus particulièrement dans le Bordelais parce qu’on est à la bourre, ici. Le Bordelais, la plus grande appellation de France avec ses 60 000 hectares, est à peine à 12 % des propriétés certifiées en bio ou en biodynamie.
Mon sentiment personnel, c’est que ce retard est lié à l’histoire de Bordeaux et à la féodalité qu’il y a ici, en lien avec les grandes propriétés. C’est un petit milieu tenu par très peu de monde. Dans son livre « Les Raisins de la misère », Ixchel Delaporte montre la misère dans laquelle vivent les saisonnier·es et les permanent·es de grandes propriétés viticoles du Bordelais, avec des bouteilles à plusieurs centaines, voire milliers d’euros pour certaines. Le vin est devenu source de profit, et particulièrement le vin de Bordeaux parce que c’est une appellation prestigieuse.
« Pour produire du vin HVE, on utilise les pesticides les plus dangereux sur le marché »
En septembre 2020, l’association « Alerte aux toxiques » a publié le résultat d’analyses faites sur des vins au label « haute qualité environnementale » (HVE). Pourquoi avoir choisi ces vins ?
Depuis 2018, on avait déjà analysé plus de 20 bouteilles. On avait commencé en janvier 2018 avec le vin de Bernard Farges, l’actuel président du CIVB. Déjà à l’époque, on n’avait pas été déçues puisqu’on avait trouvé 16 résidus différents et quatre agent cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR).
On a pris la décision de lancer des analyses de vins HVE en décembre 2019. On voulait faire un focus sur ces vins parce que HVE ça veut dire « haute valeur environnementale ». Pour les consommateur·rices de vin, cela amène à penser que c’est produit sans pesticides. Comme ce sont des vins très accessibles dans les commerces, supermarchés, on s’est dit qu’il fallait alerter les consommateur·rices.
Le 25 février dernier, l’association « Alerte aux toxiques » ainsi que vous-mêmes avez été condamnées en première instance. La justice a notamment ordonné le retrait de ces analyses. Que montraient-elles ?
Sur les 22 bouteilles analysées, on a trouvé en moyenne huit substances actives par bouteille. Dans toutes les bouteilles analysées, il y avait des perturbateurs endocriniens. Il n’y avait pas que des vins de Bordeaux, il y avait un AOC Cabardès et du Champagne parce que je voulais voir ce qui se passait dans les autres régions. C’est la même chose. Il n’y a pas une seule bouteille dans laquelle on n’a rien retrouvé. Dans la moins chargée, on a trouvé quatre résidus différents, dans la plus chargée 14.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Ça veut dire que pour produire du vin HVE, on utilise les pesticides les plus dangereux sur le marché. Ce label se veut rassurant, mais si le vin tombait aussi sous l’obligation légale d’afficher sa composition, je ne suis pas sûre que les consommateur·rices auraient toujours envie d’en boire en voyant qu’on a utilisé du folpet ou du mandipropamid, et les risques auxquelles ça correspond pendant les pulvérisations. Le mandipropamid, par exemple, c’est une des pire substances : elle est cancérogène, toxique pour la reproduction, perturbateur endocrinien…
Puisqu’il y a des pesticides dedans aussi, quelle est la différence entre un vin HVE et un vin sans label du coup ?
Et bien je vous retourne le question ! (rires)
« En viticulture, il y a un nouveau label super, qui est un gage de confiance : le label « en conversion biologique » »
Quels sont les label dans lesquels les consommateur·rices peuvent avoir confiance dans ce cas ?
L’agriculture biologique. Le label AB évince totalement l’utilisation de pesticides de synthèse pour produire des vins. Les viticultures biologiques et en biodynamie sont les seules à devoir fournir des analyses en résidus de pesticides aux organismes qui les contrôlent, et il y a des contrôles inopinés.
Il faut savoir que les agriculteur·rices qui ont fait le choix de s’orienter vers l’agriculture biologique n’ont pas fait la démarche HVE. Et celles et ceux qui sont en HVE ne se destinent pas à la conversion biologique.
En viticulture, il y a un nouveau label super, qui est un gage de confiance : le label « en conversion biologique ». C’est pour les propriétés qui se sont engagées dans le changement de pratique, vers l’agriculture biologique ou en biodynamie, qui se sont inscrites à l’agence bio et qui se sont engagées à faire le travail technique pour être certifiées dans deux ou trois ans maximum. Pour l’obtenir, il faut montrer qu’on a arrêté d’utiliser des pesticides de synthèse.
Et le vin naturel ?
Pour le vin naturel, les professionnels auxquels on peut faire confiance, ce sont ceux qui sont inscrits au syndicat des vins naturels, présidé par Jacques Carroget [qui sera également présent au salon « Sous les pavés la vigne à Lyon », ndlr]. Ceux qui ont signé cette charte du syndicat sont forcément en vin bio ou en biodynamie, donc ils n’utilisent plus les pesticides de synthèse depuis fort longtemps.
« Cette plainte, c’est une procédure-bâillon pour me réduire au silence parce que les analyses commençaient à faire du bruit »
Suite à ces analyses de septembre 2020, le CIVB ainsi que d’autres professionnels du monde du vin ont porté plainte pour « dénigrement collectif à l’égard de la filière des vins de Bordeaux ». Le 25 février, l’association « Alerte aux Toxiques » et vous-même avez été condamnées à payer 125 000 euros de dommages et intérêts. Où en est la procédure ?
On a dû commencer à payer. On paie 800 euros par mois depuis le 15 avril dernier. Nous devons leur verser 125 000 euros. Il me faudrait 11 ans pour m’acquitter de cette somme, en versant l’intégralité de mon salaire mensuellement. Pour donner un ordre d’idée de grandeur, l’association, en 2020, avait un budget de 5000 euros. Le CIVB, c’était 19 millions d’euros…
On a fait appel mais le CIVB et les 25 autres plaignants ont déposé une demande de radiation de notre appel. Le 10 novembre, nous saurons si nous pouvons faire appel ou pas.
Quelles seraient les premières mesures à prendre selon vous ?
Je rêve que dans le Bordelais, on arrête au moins les pesticides les plus dangereux, pour commencer. C’est une mesure qu’on réclame au CIVB depuis dix ans avec Marie-Lys Bibeyran. Aujourd’hui, la société civile est hyper informée et elle est hyper inquiète. Il y a 132 écoles enclavées dans les vignes en Gironde, avec des gosses qui sont exposés à des perturbateurs endocriniens tous les ans, d’avril à septembre.
Ce n’est pas difficile à mettre en place et en plus ça permettrait de faire des économies parce que, les pesticides, ça coûte cher !
Chargement des commentaires…