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Vigneronne dans le Beaujolais : « Inadmissible de polluer les sols pour un produit de plaisir »

En amont du salon Sous les pavés la vigne à Lyon, que Rue89Lyon co-organise avec Nouriturfu, nous sommes allés à la rencontre de vigneronnes du Beaujolais, pour parler de l’évolution de la profession et des vins. À Chenas, au nord du vignoble, Elisa Guérin nous a fait découvrir une exploitation passée progressivement en bio.

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Elisa Guérin dans ses vignes, à Chenas. ©PL/Rue89Lyon

Dans la lumière orangée de ce début d’automne, les couleurs de la vigne brillent particulièrement du côté de Chenas, dans le Beaujolais. A l’horizon, le Moulin à vent permet de situer tout de suite le vin produit ici. Entre ses pieds de vigne, Elisa Guérin montre la végétation qui a poussé sur la première parcelle passée en bio.

« On n’est pas sur un sol lunaire ici ! »

En balayant les lieux du regard, elle ausculte avec méfiance les « peillons », des touffes d’herbes qui se sont mises à pousser entre les vignes.

« Les sols peuvent être assez pauvres. Certes, c’est en partie à cause d’engrais chimiques mis dans le passé mais c’est aussi structurel. Il faut éviter qu’il y ait une trop forte concurrence pour l’azote ou l’eau. Et les peillons en consomment. »

Un à un, elle donne les noms de toutes les (micro)plantes présentes dans le sol. La jeune vigneronne est une habituée de la partie « technique » et agronomique des vignes. À Lyon, elle a d’abord passé un DUT en génie biologique et agronomie. Puis, elle est allée à Agrosup Dijon pour un diplôme d’ingénieur avant un stage de six mois en Angleterre pour étudier l’impact du réchauffement climatique sur les vignes anglaises.

« Ils pensent là-bas qu’ils pourront faire du rouge comme en Bourgogne dans une vingtaine d’années », commente-t-elle.

Elisa Guérin dans ses vignes, à Chenas.Photo : PL/Rue89Lyon

Une vigneronne du Beaujolais baignée dans les vins de la bande de Morgon

Sensibilisée aux questions écologiques, la jeune femme découvre le vin nature au lycée. Là, elle rencontre Ophélie Dutraive, Jules Métras, Alex Foillard… Autant de descendants de la bande du Morgon.

« Ils ont eu une influence énorme sur le secteur, constate Elisa Guérin. Depuis une dizaine d’années, on commence à les considérer réellement comme des révolutionnaires. »

Introduite dans ce milieu-là, elle commence à ramener du vin nature à la maison. A l’époque, son père est dans le conventionnel. Attiré par le concept, il craint un peu les risques d’une possible transformation. Il ne passera finalement le pas qu’avec sa fille. En 2018, après avoir travaillé à temps plein en tant que commercial pour le distributeur Terroirs d’avenir à Paris, elle s’installe officiellement avec lui et fait sa première cuvée.

« J’ai toujours trouvé inadmissible de polluer les sols pour un produit de plaisir », note-t-elle.

Depuis, l’exploitation est en pleine mutation. À l’image de plusieurs membres de sa génération, cette vigneronne change les manières de faire dans le Beaujolais. Avec son père, elle a fait passer une première parcelle en bio. Deux autres suivront l’an prochain. Progressivement, les 4,5 ha du domaine devraient suivre, sans label.

« Je ne suis pas très « label. » Je préfère faire visiter directement les vignes à mes clients », précise-t-elle.

Elisa Guérin dans ses vignes, à Chenas.Photo : PL/Rue89Lyon.

L’écologie : du vin nature à la capsule d’étain des bouteilles

Si elle cherche à éliminer les pesticides et les produits de synthèse, elle ne s’interdit pas d’ajouter un peu de souffre, dans la limite des doses autorisées en bio.

« On est toujours dans des doses dix fois moins importantes que du vin plus « industriel. » »

Via une cuve installée dans la maison familiale, elle fait goûter un vin qui veut rassembler un maximum d’arômes en bouche. Un travail qui se fait via une macération carbonique à froid, typique du Beaujolais. Suivent les questions autour de la fermentation.

« On cherche de la rondeur, de l’équilibre, indique-t-elle. Et à faire des vins fruités. »

Un des facteurs qui explique le retour actuel du beaujolais sur les tables de Lyon.

Philippe Guérin travaille en binôme avec sa fille.Photo : PL/Rue89Lyon.

La nouvelle vigneronne du Beaujolais : moins de vrac, et plus de bouteilles

A côté de ce retour au « nature », la jeune femme se détache de quelques traditions du cru. À commencer par la production du vin… En vrac. De plus en plus, elle passe par une vente à la bouteille.

« Cela dit, il y a sûrement un travail à faire pour réduire l’empreinte carbone de la bouteille », réfléchit-elle.

La bouteille de « sa mère », une bouteille de Chiroubles, n’a, par exemple, pas de capsule d’étain. Une façon d’éviter une pollution inutile.

Autre changement par rapport à la précédente génération : une manière de travailler. La benjamine de la famille Guérin a conservé un métier à mi-temps, à Paris, à Terroirs d’avenir. Une chose inconcevable dans l’ancienne génération.

Des vignes du nord Beaujolais, du côté du Moulin à vent.Photo : PL/Rue89Lyon

Vigneronne en Beaujolais : « Si tu accordes de l’importance aux mecs misogynes, ils ont tendance à l’être encore plus »

Son père gère, pour l’instant, le travail de la vigne. De son côté, elle s’occupe de la partie commerce et vinification. Une partie longtemps réservée aux hommes, comme nous le faisait remarquer Claire Chasselay, mais qu’elle aime bien.

Dans la famille, elle est la seule à avoir voulu reprendre, très tôt, le domaine familial, sans ses deux frères. De quoi casser pas mal de clichés sur le machisme chez les vignerons.

« Si tu accordes de l’importance aux mecs misogynes, ils ont tendance à l’être encore plus », écarte-t-elle quand on évoque le sujet.

Elle préfère relever que ces derniers « t’écoutent encore plus » quand ils ont compris que tu maîtrisais le sujet. Dans un milieu qu’elle juge « pas plus misogyne qu’ailleurs », elle note tout de même quelques vannes par-ci par-là.

« Bien sûr, on m’a déjà demandé ‘Est-ce que tu sais conduire un fourgon ?’ »

Dans une fratrie composée de deux fils et d’une fille, « il n’allait pas de soi » que ce soit elle qui reprenne l’exploitation familiale. Reste que c’est Elisa qui reprend les rênes.

« Mais on a pris le nom de « Famille Guérin », commente-t-elle. Comme ça, mes frères pourront aussi me rejoindre. Si jamais. »

En fin d’entretien, en regardant ses bouteilles, elle parle d’une autre femme, sur le fil :

« Zut, j’ai oublié de te parler de ma mère ! »

Cette dernière a travaillé longtemps avec son père, à mi-temps à l’exploitation. Aborder le rôle des mères dans les vignes n’est toujours pas le premier réflexe. Alors que, comme Claire Chasselay, autre vigneronne du Beaujolais, nous le disait lors d’une rencontre aussi riche, « il y a eu des mères » avant elles, qui n’ont jamais bénéficié de lumière ni même de titre.


#Beaujolais

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