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À Bron, des montagnes de récup au cœur d’un système de solidarité

Depuis mars 2020, l’association Agir (ex-DLC) à Bron récupère des tonnes de produits alimentaires tous les jours de la semaine dans la métropole de Lyon. Trois fois par semaine, les denrées nourrissent une trentaine de personnes sur le marché de la ville. Une organisation lancée au printemps 2020 quand le Covid et les confinements ont désorganisés certains réseaux et associations d’entraide. Plus d’un an plus tard, les besoins sont toujours là et l’organisation quelque peu « victime de son succès » face à l’ampleur du travail à effectuer.

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Récup au marché de bron

C’est une scène de solidarité peu banale qui est devenue habituelle à Bron. Le lundi, mercredi et vendredi, une trentaine de personnes se pressent vers des voitures garées à côté du marché, place de la liberté. Alors que les forains remballent leurs marchandises, les véhicules arrivent à 13h, remplis de nourriture.

« On évite d’amener des fruits et des légumes pour ne pas entrer en concurrence avec les commerçants, commente une habituée de l’association Agir (anti-gaspi initiative Rhône, anciennement DLC [Date limite de consommation]). Mais ils ne nous ont jamais dit que cela leur posait problème. Des fois, ils s’arrêtent même pour nous donner des choses. »

Ce vendredi matin, deux véhicules attendent les habitants, le coffre ouvert. Un à un, ces derniers viennent remplir leurs cabas. De la viande, des blettes, du fromage, beaucoup de pain… Dans la mesure du possible, les bénévoles ont mis les denrées, les viennoiseries notamment, dans des petits sacs séparés pour éviter des contacts superflus. Une application, à leur manière, des gestes barrières pour éviter propagation du Covid-19. La plupart se sont équipés de gants pour la distribution.

Annie, véritable « mère récup » et bénévole d’Agir lors de la distribution au marché de Bron.Photo : PL/Rue89Lyon

A côté du marché de Bron, une récup « de la solidarité » pour une trentaine de personnes

« Poussez pas, chacun son tour ! » Sur un marché où les commerçants sont obligés de remballer leurs invendus pour des raisons d’hygiène, ce moment est devenu un rendez-vous habituel de personnes (souvent âgées) en difficulté financière, ou non.

« J’ai préparé un sac pour la mamie qui ne mange que des sandwiches, nous montre une bénévole. Comme ça, elle n’a pas à attendre trop longtemps. »

En 30 minutes, les deux voitures sont vidées. Avant d’arriver, elles étaient pleines de produits récupérés le jour même ou la veille dans des commerces et grandes enseignes de la métropole de Lyon. Que de la « récup », laissée par des grands magasins ou de petits commerces.

Une trentaine de personnes se pressent devant les voitures arrêtées au marché de Bron.Photo : PL/Ru89Lyon

Au cœur de Bron : une maison au centre du processus de récupération

Pour comprendre un peu mieux l’organisation des lieux, il faut revenir quelques heures en arrière, autour de 11 h 30. Ce jour-là, une quinzaine de personnes s’activent dans le domicile d’une mère de famille de Bron. Dans la matinée, des voitures ont fait des allers-retours vers des épiceries solidaires, des enseignes de la grande distribution, pour récupérer les invendus du jour. Dans des grandes caisses vertes, les denrées s’agglutinent.

Ce jour-là, une caisse entière remplie de gnocchis est arrivée, ainsi que des sacs pleins de fromage fondu. A ceci s’ajoute un stock entier d’endives en sachet, des produits frais, des brochettes de viande… Bref, un stock énorme de nourriture à gérer.

Les retours de grandes surfaces s’accumulent à Bron.Photo : PL/Rue89Lyon.

Étudiant, retraité, salarié… Tous les âges se pressent dans cette drôle de ruche où l’on parle toutes les langues. A la tête de celle-ci, Emmy (le prénom a été modifié) la « reine-mère », comme la surnomme affectueusement une amie, tente de mettre de l’ordre dans le bazar.

« Le deal est simple. Tu viens, tu participes, et puis tu prends ce que tu veux », indique-t-elle.

Solidarité à Bron : « Avec le Covid-19, tout le monde était en galère »

Volovan, Hakim, Annie… Les prénoms illustrent la diversité des origines. « J’avais beaucoup de préjugés avant de commencer la récup, se souvient-elle. Ils ont vite disparu. » Peu à peu, elle a commencé à connaître toute la vie de ces habitués, à commencer par leur régime alimentaire.

« Quand nous avons du poisson, c’est un peu plus rare, mais on le met de côté pour ceux qui ne mangent pas de viande », relate Annie, 60 ans, une habituée des lieux.

L’association Agir (alors DLC) a débuté son activité en mars 2020. A cette époque, le réseau associatif est fortement désorganisé et les enseignes de la grande distribution se retrouvent avec une quantité importante d’invendus du fait du confinement. Beaucoup d’étudiants se trouvent également en difficulté. C’est en partie à eux que pense Emmy quand elle lance ce projet.

Des viennoiseries ont été mises dans des petits sachets avant la distribution.Photo : PL/Rue89Lyon.

« Avec le Covid-19, tout le monde était en galère. En cherchant un moyen d’aider, je suis tombé sur l’association DLC Nantes. J’ai demandé si je pouvais prendre leur nom pour Lyon, et j’ai lancé la machine. » 

La jeune femme décide alors de prendre sa voiture. Cette ancienne des éco-charlies pense qu’il faut pousser le concept initié par cette association (faisant de la collecte de frais, de fruits et légumes de magasins bio) en allant voir tous les magasins. Sous le conseil d’un de ses enfants, cette mère de famille nombreuse contacte les magasins pour développer des relations partenariales. 

« Quand je vois la quantité de pain qu’on récupère… Ça me déprime »

Aujourd’hui, elle est en contact avec sept magasins de la grande distribution, un stocker, huit épiceries solidaires de la métropole de Lyon et quatre boulangeries.

« Quand je vois la quantité de pain qu’on récupère… Ça me déprime », lâche-t-elle.

Quand on lui demande le nombre de personnes participant au projet, elle se retrouve incapable de répondre précisément. 

« Sur la conversation Messenger, nous sommes 260. Cela dit, je ne peux pas mettre plus de personnes. Sinon, sur le groupe privé, nous devons être autour de 1200. » 

Une chose est certaine, il y a du monde. Sept jours sur sept, une quinzaine de personnes doivent participer à la récolte. Le matin, trois voitures partent récolter la nourriture. Chaque voiture ramène une quinzaine de palettes de nourriture parfois pleines à ras bord. L’après-midi, il y en a souvent une.

Résultat : tout ne part pas. Des stocks entiers de produits non-périssables (vinaigres de riz, bières, etc.) sont gardés. Pourtant, la « mère-récup » cherche à tout redistribuer. Chaque jour, les bénévoles se servent (en abondance) en plus des distributions au marché. 

Les sacs de bénévoles repartant après une matinée de récup.Photo : PL/Rue89Lyon.

Emmy qui, de son côté, ne fait plus de courses depuis un moment, rappelle les règles : que des produits périmés de la veille, ou de l’avant-veille maximum. Une attention particulière est portée sur les produits frais. 

« Après, il existe aussi des boissons qui sont toujours consommables, même un an après », note-t-elle. 

Si elle ne prend pas le temps de mesurer la quantité récoltée, le nombre de bénéficiaires donne une petite idée des montagnes d’invendus collectés. Il faut compter entre 15 et 20 personnes par jour, plus, à peu près, 30 personnes tous les deux jours bénéficiant de la distribution place de la liberté. De quoi donner le tournis.

« Il y a toujours des choses qui vont être jetées »

Face à l’ampleur du phénomène, la Brondillante semble parfois un peu débordée. Depuis plusieurs mois, elle cherche avec ses amis un local pour structurer un peu plus l’association.

Elle essaye de déléguer aussi, histoire de prendre des vacances… Ayant du mal à lâcher, la quadra travaille 7 jours sur 7.

« Les magasins nous proposent toujours plus, mais je ne peux pas tout prendre, je suis obligée d’en laisser, lâche-t-elle. Il y a toujours des choses qui finissent par être jetées. »

Une réalité qui lui fait vivre un rythme de vie impossible.

A proximité, d’autres bénévoles tentent de la pousser à déléguer, et de prendre le relai, malgré l’ampleur du travail demandé.

« C’est un moment où je me sens vraiment utile », commente son amie Annie pour expliquer l’énergie qu’elle consacre à l’association, à 60 ans.

Cette force suffira-t-il à rendre la structure pérenne ? L’exemple montre en tout cas l’ampleur du gaspillage alimentaire. En France, 10 millions de tonnes nourriture sont gaspillées chaque année. Une réalité difficile à imaginer, qui prend toute sa mesure à travers cette initiative de Bron.


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