Un travail novateur pour l’époque et une manière pour ses collègues enseignants et les universités de Lyon 2 et Lyon 3 de rendre hommage à un ami et à un ancien « étudiant brillant ».
Le 16 octobre 2020, Samuel Paty est assassiné et décapité à quelques pas du collège de Conflans-Sainte-Honorine, en banlieue parisienne, où il enseigne l’histoire-géographie.
Près d’un an après les faits, ce jeudi 23 septembre, les Presses universitaires de Lyon (PUL) publient le mémoire de maîtrise de Samuel Paty, qui portait sur la couleur noire.
Publier le mémoire : un hommage à Samuel Paty depuis Lyon
Christophe Capuano est historien. Après avoir longtemps enseigné à Lyon 2, il est désormais professeur à l’Université de Grenoble Alpes. C’est dans les années 90, sur les bancs des universités Lyon 2 et Lyon 3 qu’il fait la connaissance de Samuel Paty, alors en maîtrise (l’équivalent de la première année de master. Alors que tous deux sont devenus professeurs d’histoire-géo en collège, Christophe Capuano se lance dans une thèse et rejoint le monde de l’enseignement supérieur. Samuel Paty, lui, choisit de continuer sa carrière d’enseignant dans le second degré.
« Il avait beaucoup hésité avec la recherche, se souvient Christophe Capuano. Une fois professeur, ça l’a beaucoup absorbé et il n’a jamais remis le pied à l’étrier de la recherche. Il aimait beaucoup le contact avec les élèves. »
C’est pour rendre hommage à son collègue, et à l’étudiant qu’il a été, que Christophe Capuano a pensé au mémoire de Samuel Paty.
« J’ai souhaité solliciter les PUL et mes collègues pour rendre hommage à Samuel de manière universitaire. Un hommage intellectuel. Qu’il puisse entrer dans les bibliothèques. »
Un mémoire « vraiment très novateur » sur la couleur noire
Malgré les reprises et les annotations inhérentes à tout mémoire d’étudiant, il semble que celui de Samuel Paty ait toute sa place dans les bibliothèques universitaires. Le jeune Paty avait choisi en 1995 un thème de recherche pas banal : la couleur noire, sa symbolique et ses usages sociaux aux XIXe et XXe siècle.
« C’était vraiment très novateur, à l’époque il y avait très peu de choses sur la couleur noire, explique Christophe Capuano. Son mémoire reste d’un apport très intéressant. Pourquoi le noir ? Il voulait interroger les croyances, la spiritualité d’une société. Cette dimension métaphysique l’intéressait. »
Le travail de recherche est riche, avec un corpus d’œuvres allant des écrits de Balzac aux tableaux expressionnistes de Franz Marc, en passant par le groupe de rock britannique The Cure ou encore le perfecto de Marlon Brando. Samuel Paty a tenté d’étudier le noir sous toutes ses coutures.
Ses analyses ont été laissées en grande partie telles quelles, annotées parfois par Christophe Capuano et Olivier Faure, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Lyon 3.
Au-delà du contenu universitaire de ce travail, les président·es des universités Lyon 2 et Lyon 3 ont souhaité introduire ensemble le mémoire de leur ancien étudiant, pour « réaffirmer avec force les missions et les valeurs de l’Université » :
« La démarche intellectuelle ne se satisfait d’aucun tabou, qui interdirait d’interroger et d’analyser le monde qui nous entoure. Les croyances, les idéologies, les religions, les débats et parfois les tensions qu’ils suscitent font évidemment partie des objets de science et de savoir critique. Publier le mémoire de Samuel Paty, c’est aussi rappeler l’importance de ces principes et de ces valeurs, pour une École qui forme des citoyens ouverts et émancipés. »
L’ouvrage de 152 pages, publié aux PUL ce jeudi, est vendu au prix de 10 euros. Les bénéfices des ventes seront reversés à la famille de Samuel Paty.
Un prix Samuel Paty pour les collégiens
Afin de marquer l’assassinat de Samuel Paty dans les mémoires, l’association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) a lancé en 2021 le prix Samuel Paty. Ce dernier vient récompenser le travail collectif de collégiens de toute la France, en lien avec leur programme d’éducation morale et civique (EMC). Le thème choisi pour cette première édition est, en toute logique, la liberté d’expression : « Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? »
Encadrées par leurs professeurs, les classes qui le souhaitent ont jusqu’en mai prochain pour rendre leur travail. Un jury, présidé par Christophe Capuano et composé d’une des sœurs de Samuel Paty, Mickaëlle Paty, de professeurs d’histoire-géographie, d’un représentant des anciens combattants et de quelques universitaires, remettra le premier prix Samuel Paty à l’automne 2022.
« L’idée, c’est de poursuivre la mission et la réflexion de Samuel Paty avec ce prix, en mobilisant les élèves pour les inciter à réfléchir sur cette notion de liberté d’expression », conclut Christophe Capuano.
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