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Grève des agents municipaux de Lyon : les écologistes pris entre deux feux

Augmentation du temps de travail et limitation du droit de grève des agents de la Ville de Lyon : des mesures qui ressemblent bien peu à la nouvelle majorité écologiste ? C’est pourtant les écolos et leurs alliés de gauche qui, aux manettes de la municipalité, les feront appliquer au 1er janvier 2022. Du côté des agents municipaux, une semaine de grève se prépare.

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Ville de Lyon agents grève

Perturbations à prévoir dans les écoles, les crèches ou encore les bibliothèques lyonnaises pour cette semaine de rentrée. Une intersyndicale regroupant les six syndicats de la Ville de Lyon (CGT, SUD, UNSA, CFDT, CFTC, FO) a déposé un préavis de grève du lundi 30 août au vendredi 3 septembre et une manifestation est prévue le 2 septembre devant l’hôtel de ville et les mairies d’arrondissement.

En cause : l’augmentation du temps de travail pour les près de 8300 agents de la municipalité ainsi que la modification des modalités de leur droit de grève.

Des mesures qui passent d’autant plus mal qu’elles sont portées par une majorité municipale de gauche réunissant écologistes, insoumis et membres du Parti socialiste.

« On ne savait pas qu’il y avait l’augmentation du temps de travail dans le programme d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) ou de La France Insoumise (LFI) », ironise Sébastien Douillet, secrétaire général de la CGT Ville de Lyon, le syndicat majoritaire.

Grégory Doucet, à la préfecture du Rhône, au soir du second tour des élections régionales 2021 –Photo : OM/Rue89Lyon

Faire travailler les agents de la Ville de Lyon 1607 heures

De fait, l’augmentation du temps de travail de ces fonctionnaires ne fait pas partie du programme d’EELV ou de LFI mais bien de celui d’Emmanuel Macron. Lors de sa campagne présidentielle, il avait promis de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, dont 70 000 dans la territoriale.

Une fois devenu Président de la République, c’est la loi de transformation de la fonction publique, votée en août 2019, qui lui permet de parvenir à son objectif. Celle-ci supprime les journées de congés et les réductions du temps de travail hebdomadaire exceptionnelles ou « extra-légales », acquises par les salariés de la municipalité.

A Lyon, les agents disposent ainsi de 3 jours de congés payés en plus des cinq semaines réglementaires.

« Deux de ses jours ont été conquis suite au mouvement de Mai 1968. Le troisième c’est ce qu’on appelle le « jour du maire » : un jour supplémentaire offert aux agents », explique Vincent Gras, secrétaire général de la section CFDT de la Ville de Lyon. 

S’ajoutent à cela différentes journées de repos occasionnelles comme les trois jours de congés payés acquis après l’obtention d’une médaille d’honneur et des réductions journalières du temps de travail comme celle d’une demi-heure accordée aux femmes ayant des enfants de moins de deux ans. Finalement, les agents de la Ville de Lyon, qui ont pour l’heure une base annuelle de travail de 1582 heures, devront désormais en travailler 1607.

La réforme a été évoquée avec eux depuis le printemps lors de réunions informelles, les comités de dialogue social, crispant sévèrement les syndicalistes qui y assistaient. Les municipalités ont jusqu’au 1er janvier 2022 pour faire appliquer cette loi de transformation de la fonction publique, la délibération du conseil municipal la validant sera donc prise avant la fin de l’année. D’où l’urgence de la situation à la mairie de Lyon et le déclenchement de cette grève de rentrée.

Laurent Bosetti, adjoint en charge de la Promotion des services publicsPhoto : AB/Rue89Lyon

La Ville de Lyon s’oppose à la loi mais la fait appliquer

Au sein du conseil municipal, on ne peine pas à afficher son désaccord avec cette loi, sans aller toutefois jusqu’à la refuser.

« Nous pensons que c’est une mauvaise loi car elle stigmatise les fonctionnaires en laissant penser qu’ils ne travaillent pas assez. Les députés Insoumis ont voté contre à l’Assemblée nationale. Néanmoins une fois la loi votée nous sommes tenus de la faire appliquer sous peine de voir notre décision retoquée, voire attaquée au tribunal administratif, par la préfecture », soutient Laurent Bosetti, adjoint chargé de la promotion des services publics et élu France insoumise.

Pour les syndicats, hors de question de sacrifier les jours de congés d’agents aux conditions de travail difficiles, mal payés et qui sont en première ligne durant cette crise sanitaire.

« Il est possible de ne pas appliquer cette loi. Un certain nombre de municipalités l’ont déjà fait et c’est ce que demande l’intersyndicale », soutient Vivent Gras de la CFDT.

Il rappelle l’initiative de certaines mairies communistes notamment en banlieue parisienne.

« Même Gérard Collomb n’avait pas touché au droit de grève des agents de la Ville de Lyon »

Autre mesure inattendue mise en place par des élus de gauche : la modification des modalités du droit de grève pour les agents municipaux, permise elle aussi par la loi de transformation de la fonction publique.

Jusqu’alors, ceux-ci avaient la possibilité de se mettre en grève 1 heure à 24 heures par jour et d’être payés en conséquence. Au 1er janvier 2022, les agents perdront automatiquement un jour de salaire, quel que soit le temps de grève effectué dans une journée. Autrement dit : ils n’auront plus la possibilité de faire moins d’un jour de grève.

« Casser notre droit de grève, c’est nous priver de la possibilité de revendiquer de nouvelles avancées à l’avenir. Même Gérard Collomb n’y avait pas touché », s’indigne Sébastien Douillet de la CGT.

A cela s’ajoute l’obligation faite aux agents de prévenir de leur mouvement de grève 48 heures à l’avance.

« C’est déjà ce que nous faisons. L’intersyndicale est d’accord pour rendre ce délai de prévenance obligatoire. C’est une concession que nous faisons. En contrepartie, la majorité doit renoncer à ôter une journée de salaire pour toute heure de grève. Pour l’heure, on nous refuse toute discussion sur ce point », regrette Vincent Gras de la CFDT.

La majorité contre « la grève à moindre frais » dans les cantines lyonnaises

Mais pour l’élu Insoumis, principal interlocuteur des syndicats représentants les agents de la Ville de Lyon, la question de la modification du droit de grève est un point crucial. Notamment parce qu’elle permettrait de mettre fin aux grèves à répétition dans les cantines scolaires.

Laurent Bosetti développe :

« Dans les cantines, une seule heure de grève posée à midi par quelques agents suffit à paralyser le service. Les parents sont obligés de venir chercher leurs enfants à l’école, ce qui coupe leur journée. Ils sont à bout, se sentent pris en otage et nous envoient des lettres de plaintes et des pétitions. Certains nous disent qu’ils vont envoyer leurs enfants dans le privé, d’autres qu’ils risquent le licenciement à force de manquer le boulot.

Il ajoute :

« Comme ces grèves sont particulièrement visibles et impactantes à peu de frais, elles sont devenues le principal levier syndical que ce soit pour des mots d’ordre locaux mais aussi pour des mots d’ordres nationaux auxquels la municipalité ne peut pas répondre. Or la grève doit être un dernier recours ».

Aux syndicalistes qui soulignent le paradoxe de voir un élu insoumis dénoncer des grèves auxquelles son parti à lui-même appelé (par exemple contre la réforme des retraites en 2019) Laurent Bosetti répond : qualité du service public.

« Oui, ce n’est pas une position confortable pour moi, mais en tant qu’élu en charge du service public je dois m’assurer que celui-ci fonctionne le mieux possible. Or ces grèves à répétition lui nuisent « .

Rassemblement des agents des écoles de la Ville de Lyon devant l’hôtel de Ville le 14 janvier 2021, à l’appel de la CFTC, SUD et Unsa qui avaient déposé un préavis de grève qui courait depuis mi-décembre pour dénoncer les conséquences des protocoles sanitaires Covid sur les conditions de travail.Photo : LB/Rue89Lyon

Grève des agents de la Ville de Lyon : quelle porte de sortie ?

Dans cette atmosphère de confrontation frontale entre syndicats et élus, on aperçoit néanmoins une porte de sortie. Si elle supprime les jours extra-légaux, la loi de transformation de la fonction publique permet en revanche de prendre en compte le calcul de la pénibilité des métiers et de la compenser en attribuant des jours de congés. Les jours de congés extra-légaux supprimés par la loi seraient alors remplacés par des jours légaux accordés aux métiers pénibles.

« Il est possible de reconnaître tout un tas de métiers comme pénibles, notamment les métiers de terrain. La municipalité s’engage à avoir la définition la plus extensive de la pénibilité. Tout cela sera l’objet de discussions lors de réunions avec les syndicats », avance Laurent Bosetti.

Reste à savoir quelle part des 8300 agents bénéficiera de cette reconnaissance de pénibilité. A Paris, Anne Hidalgo a elle aussi choisi d’en faire bénéficier un maximum d’agents. Pour ce faire, elle a octroyé des jours de repos « au titre de l’intensité et l’environnement de travail induisant une pénibilité spécifique à la ville-capitale », une décision retoquée par la préfecture au début du mois d’août.

Pour ce qui est du droit de grève, en revanche, la municipalité écologiste ne semble pas vouloir revenir sur sa décision. Bien au contraire. La Ville de Lyon semble décider de passer en force. Dans une note de service « à l’attention des agents de la Direction de l’Education et de la Direction de l’Enfance » datée du 23 août dernier, le directeur général des services annonce que les nouvelles modalités de l’exercice du droit de grève sont mises en application « à compter du 31 août 2021 ». Soit un jour après le début du préavis qui court jusqu’au 3 septembre.


#Cantines scolaires

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