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Etudiant à Sciences Po Lyon : « Je suis passé par le programme égalité des chances »

[Série] Après une enfance passée dans un HLM à Lyon et une partie de sa scolarité en réseau d’éducation prioritaire, Mehdi* (prénom modifié) franchit les portes de Sciences Po Lyon. Un « décalage », pour ce fils de mécanicien et d’aide soignante, issu d’un milieu modeste. L’ascension lui fait éprouver la sensation de grand écart, entre son milieu d’origine et celui dans lequel il tente de trouver sa place.

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Entrée Sciences Po Lyon Institut d'études politiques

Désormais en master en « affaires internationales », le jeune homme de 22 ans revient sur son expérience.

Dans les Instituts d’Etudes Politiques, 68% des étudiants sont issus de catégories socioprofessionnelles très favorisées, selon une étude publiée par l’Institut des Politiques Publiques en janvier 2021.Photo : Elena Do/ Rue89Lyon

« Dès l’école primaire, j’ai une envie de réussir et la volonté d’être le meilleur à tout prix. Je veux avoir un bel avenir, la possibilité de partir en vacances et ne pas devoir constamment choisir. Dans ma famille, on fait attention à nos dépenses, mais comme beaucoup de français. Je ne me suis jamais privé de rien. Au fond, je veux réussir pour rendre fiers mes parents et pour être fier de moi. J’ai envie de me dire que j’ai accompli quelque chose.

Dans mon collège, je constate rapidement que l’échec est la règle et la réussite l’exception. Malgré l’implication des professeurs, beaucoup de mes camarades ne décrochent pas leur brevet. A côté, je suis ce qu’on appelle un très bon élève. J’ai ce qu’on appelle des « facilités » et l’envie d’apprendre plein de choses.

« Sciences Po Lyon m’a aidé à me construire : je me suis souvent senti encouragé par mes professeurs »

Je change d’environnement social en rentrant au lycée Ampère Saxe (Lyon 3e). De nouveaux préjugés font leur apparition. Alors que je rentre en cours, un élève lance à haute voix : « Celui-là a réussi à se tromper le jour de la rentrée, il devrait être en STMG ! ».

Aux yeux de certains, c’est inconcevable qu’un petit arabe soit en première scientifique et non en filière technologique. Dans ma classe de 37 élèves, nous sommes seulement deux à être d’origine maghrébine.

En Terminale je découvre que mon lycée bénéficie du programme égalité des chances et démocratisation de Sciences Po Lyon. Cette grande école, on ne me l’a jamais présentée. Je me renseigne seul et je découvre que les débouchés sont nombreux. A la dernière minute, je décide de m’inscrire au programme. Pendant un an, un après-midi par semaine, je prépare le concours d’entrée aux Instituts d’Etudes Politiques (IEP). Le jour du concours je passe les épreuve en survêtement pour être à l’aise, tandis que d’autres candidats sont en costume trois-pièces.

Avec surprise, j’obtiens mon Bac mention très bien et le concours Sciences Po. J’ai du mal à y croire.

Le syndrome de l’imposteur

Je me sens à ma place à l’IEP. Les amis que je me fais me ressemblent par certains aspects mais je n’ai pas de mal à m’ouvrir aux autres. Je suis un peu comme un caméléon : je m’adapte. Parfois je ressens tout de même un décalage avec les autres élèves, surtout lors de mes premières années d’études. Le « syndrome de l’imposteur » m’est familier : particulièrement quand je rends un travail ou que je réussi quelques chose. Sans que cela soit intentionnel, certains étudiants peuvent me faire des remarques qui me font comprendre que c’est étrange que je sois dans cette école.

Mes références culturelles et ma manière de parler sont différentes de certains étudiants. Parfois je remarque le sourire de mes camarades lorsque je présente un exposé. On ne me prend pas toujours au sérieux. Je suis souvent en survêtement, mais ce n’est pas un manque de respect à mes yeux. J’ai tendance à m’exprimer de façon nonchalante devant les autres étudiants et je n’aime pas utiliser des termes pompeux. Moi je préfère aller directement dans le concret, en utilisant des mots simples.

« Des débats entre étudiants de Sciences Po Lyon dont je ne saisis pas l’utilité au début »

En troisième année, je dois partir comme les autres pour étudier à l’étranger. J’ai peur parce que je ne me suis jamais projeté ailleurs qu’à Lyon. Je perçois encore plus le contraste entre mes camarades et moi : eux ont l’habitude de voyager depuis longtemps, même en France. Moi ce n’est pas dans mes codes. Je redoute de ne pas pouvoir m’en sortir seul. Finalement, je pars un an au Royaume-Uni et je réalise que j’en suis capable.

C’est aussi au sein de l’école que je découvre de nouvelle choses. Il y a des débats entre étudiants dont je ne saisis pas vraiment l’utilité au début. Pourtant ils peuvent me concerner, notamment ceux sur le racisme. Grâce à ces échanges, je commence à me forger mes propres opinions et je m’ouvre à de nombreux sujets comme le féminisme. Je réalise l’ampleur des discriminations et du sexisme.

Maintenant j’arrive à mieux comprendre certains phénomènes, alors qu’avant je n’avais même pas conscience de leur existence et de leur importance.

« Cette réussite sera toujours en construction, tout au long de ma vie »

Je n’ai pas la sensation d’être enfermé à Sciences Po Lyon. J’habite toujours dans le même immeuble à Lyon avec ma famille et je continue de voir mes anciens amis du quartier. Mais parfois ils ne comprennent pas ce que je vis et ce que je fais. Beaucoup de mes proches ne connaissent pas vraiment Sciences Po. J’ai des amis qui ne sont pas au courant de l’existence de grandes écoles et qui sont allés en BTS. Peut-être qu’ils auraient pu avoir un parcours similaire au mien si ils avaient été mieux informés.

Ce qui nous différencie, c’est juste la valeur symbolique du diplôme. Mais je fais des études comme les autres, je ne veux pas prendre la grosse tête. Je veux rester le même. Avant d’étudier à l’IEP, quand j’entendais parler un politique ou un journaliste à la télévision je pensais : « Waouh ça a l’air compliqué ! ». Maintenant je me dis : « tout ça pour dire ça ». J’espère ne pas devenir comme eux, car c’est comme si ils ne s’adressaient qu’aux « meilleurs », avec un certain mépris.

Jamais je n’ai eu honte de ma famille ou du travail de mécanicien et d’aide soignante de mes parents. Au contraire, c’est une fierté. Comme eux, j’aimerais avoir une profession utile. Faire Sciences Po, c’est un moyen pour moi de rendre quelque chose à ceux qui font un travail essentiel et qui sont ignorés ou méprisés. Je suis fier d’être dans cette école, mais je crois que cette réussite sera toujours en construction, tout au long de ma vie.

Avec le temps et grâce aux professeurs, j’ai pris conscience que je ne suis pas là par hasard ou par chance.

« liberté, égalité, fraternité : quand je dis que je suis français, c’est cette devise que je revendique »

Mes deux parents sont nés en France de parents algériens. Si je comprends un peu l’arabe, je ne le parle pas couramment. La langue est une barrière. On me dit parfois que je ne suis pas « un vrai arabe ». On me fait aussi remarquer cette capacité à être « un pied dedans un pied dehors » vis-à-vis de mes origines. Je suis fier d’être algérien, mais je ne m’en sens pas moins français pour autant. Pour moi ces deux identités se complètent.

« Je suis passionné par l’histoire, particulièrement par la Révolution française. Je me reconnais dans le projet de liberté, d’égalité et de fraternité. Quand je dis que je suis français, c’est cette devise que je revendique ».

En dehors de l’école, j’ai l’habitude de faire profil bas lorsque je passe devant la police et que les vigiles me demandent d’ouvrir mon sac dans les magasins, plus souvent que les autres. A Sciences Po Lyon, on ne m’a jamais dit que je ne méritais pas ma place parce que je suis arabe. C’est lorsque je raconte des situations survenues à l’extérieur, au cours desquelles j’ai été victime de racisme, que certains étudiants me répondent que je me fais des films ou que cela peut arriver à tout le monde.

Alors parfois je me retiens de raconter certaines choses, car je me dis qu’ils ne comprendront jamais vraiment. »


#étudiants

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Photo : OM/Rue89Lyon

Photo : PL/Rue89Lyon

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