« Le mépris de classe laisse des traces qui ne partent jamais complètement »
Rue89Lyon : Quel a été votre parcours avant de commencer les vidéos sur YouTube ?
Usul : J’ai un profil d’étudiant littéraire qui a abandonné ses études en cours de route. Avant YouTube, j’ai passé huit ans de ma vie a faire tous les petits boulots du précariat. McDonald’s, télémarketing, intérim, manutention : quand les autres faisaient des études, moi je travaillais la nuit dans des usines.
Maintenant que je suis à Mediapart et que je vis dans le centre-ville de Lyon, je suis un peu plus déconnecté de cette réalité. Mais se lever à 5 heures du matin pour aller travailler, je sais ce que c’est. J’en ai gardé une certaine colère, une certaine méfiance vis-à-vis de la bourgeoisie progressiste de gauche. Car même à gauche je ressens le mépris de classe, notamment envers ceux qui n’ont pas de diplôme.
Le mépris de classe laisse des traces qui ne partent jamais complètement.
Comment est né votre engagement politique ?
L’extrême droite me qualifie parfois de bourgeois ou présume que je suis fils de professeur. En réalité mon père était ouvrier et ma mère secrétaire médico-sociale. Je ne viens pas d’une famille communiste, mes parents votaient pour les socialistes.
L’usine de mon père a été délocalisée. Il fallait s’adapter car c’était « la marche forcée de la mondialisation ». Les ouvriers ont été abandonnés par les socialistes. La Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) était le seul soutien présent à l’époque.
Les militants venaient parfois à la maison, ils me prêtaient des livres. A 15 ans, j’ai découvert Marx. En classe de seconde, je suis devenu militant à la LCR.
Votre public vous a d’abord découvert à travers vos contenus dédiés aux jeux vidéos. Pourquoi êtes-vous passé à des vidéos plus politiques ?
En 2008, j’ai commencé à faire des petites vidéos de jeux vidéos sur Dailymotion. Ce n’était pas payé du tout, c’était vraiment un loisir. Le site jeuxvidéos.com recrutait des chroniqueurs vidéos. J’avais plein de complexes et je ne pensais pas y arriver, mais j’ai postulé.
Je ne suis pas un self-made man, heureusement que j’ai été entouré, encouragé et que grâce à cela j’ai pu apprendre à filmer et à monter. Je me suis retrouvé à faire des vidéos pour le premier site de jeux vidéos de France, tout en étant rémunéré.
Après deux années à réaliser une vidéo par semaine pour ce site, je savais mieux écrire mais aussi poser ma voix et monter des vidéos. Sauf que jouer aux jeux vidéos, c’est mon loisir. Alors j’ai eu envie de mettre ces compétences au service de ma vraie passion : la politique.
J’essayais déjà de faire passer des messages politiques dans certaines de mes vidéos : j’ai pu évoquer le taux de syndicalisation dans la sphère du jeu vidéo, le sexisme envers les joueuses….
Je recyclais mes angoisses et mes combats, en me servant des jeux vidéos comme cheval de Troie. Ensuite, je n’ai plus eu besoin de ce prétexte.
« Je n’ai pas toujours l’assurance qu’il faudrait derrière un micro »
Quels enseignements vous tirez de la création de votre chaîne YouTube et de votre série « mes chers contemporains » ?
C’était du tâtonnement. Au début j’étais mal à l’aise car je n’ai pas été énormément formé en politique. Je n’ai pas de diplôme, je n’ai pas fait Sciences Po.
J’avais l’assurance que je savais monter et écrire. Mais concernant mes jugements politiques, parfois je n’ai pas eu le nez creux. J’ai fait des erreurs, beaucoup même.
C’était une époque de prise de risques, qui a bien marché malgré tout. J’ai beaucoup appris. Maintenant je sais faire une bonne voix off et j’ai une meilleure élocution.
Chaque semaine, vous réalisez une vidéo sur l’actualité pour la série « Ouvrez les guillemets » de Médiapart diffusée sur YouTube. Qu’est ce que vous avez envie d’apporter au débat public avec cette chronique ?
Je me base sur l’actualité et la volonté d’ajouter quelque chose qui n’est pas encore dans le débat public. Quitte à prendre le contre-pied de la pensée des gens de gauche.
Si c’est des sujets qui peuvent particulièrement diviser la gauche, alors c’est encore plus intéressant.
La critique que je propose part du principe que nous ne sommes pas impuissants. L’espace médiatique et l’espace électoral sont les espaces liés à la bourgeoisie, mais ce ne sont pas les seuls dans lesquels nous pouvons agir.
J’essaye de mobiliser et de dire que la gauche n’a pas perdu d’avance. Le mouvement pour le climat et les luttes féministes : il y a plein de combats portés par les jeunes générations. C’est à nous, la gauche, de les soutenir et de les intégrer.
C’est pour ça que la gauche réactionnaire, qui se prétend de gauche, mais qui combat les féministes ou les anti-racistes est un contre-sens. La gauche doit être capable d’autocritique. En interne, elle doit aussi faire face aux éléments et aux discours qui justifient l’ordre patriarcal et raciste. Elle doit être capable de les virer.
« Mediapart, c’est la gauche sérieuse, mais quand même bourgeoise. C’est normal vu les études qu’ils ont faites »
Comment se passe votre collaboration avec Médiapart pour « Ouvrez les guillemets » ?
C’est la sixième année que je travaille avec eux donc ça se passe bien. Il y a malgré tout une distance géographique puisque je suis à Lyon et eux à Paris et aussi une distance sociale. Mediapart, c’est la gauche sérieuse, mais quand même bourgeoise. C’est normal vu les études qu’ils ont faites. Ce n’est pas rempli de gens comme moi à Mediapart.
Mais à Mediapart, ils ne m’ont jamais supprimé un sujet. J’ai toujours eu une liberté importante.
Ils ont aussi une bonne influence sur moi. J’ai pu acquérir une certaine rigueur grâce à eux. C’est très formateur et je suis fier de travailler avec une rédaction qui a tant apporté à l’espace public français. Dans les moments critiques, Médiapart arrive à fournir un bon travail.
Par exemple avec les Gilets jaunes. En allant sur le terrain, en discutant longtemps avec les manifestants et en écrivant des papiers longs, les journalistes ont pu saisir les logiques sociales complexes et contradictoires du mouvement. Cela leur a évité de tomber dans l’écueil qui consisterait à penser « c’est des beaufs qui ne veulent pas payer l’essence ».
« Avant je pensais que la violence était nécessaire, maintenant je fais tout pour l’éviter. Alors je dirais que je ne suis plus d’extrême-gauche »
La critique politique est au centre de vos vidéos et vous assumez ouvertement votre positionnement à gauche. Comment décririez-vous plus précisément vos engagements politiques actuels ?
Je suis un homme de gauche et un militant a-partisan. Pourtant, j’ai été formé au marxisme-léninisme à l’ancienne. Je suis rentré dans la politique par l’extrême-gauche, mais je ne suis plus d’extrême-gauche.
La situation actuelle ne permet pas de plaquer certains modèles de Marx, Lénine ou Trotski. Le contexte a beaucoup changé. Nous sommes dans une société où les valeurs démocratiques et de liberté sont largement implantées. La dictature du prolétariat ne passerait pas, par exemple. On ne fera pas la révolution en prenant les armes.
Je persiste à penser que l’assentiment de la population est nécessaire pour le changement. Si cela peut passer par les urnes alors tant mieux.
Le dérèglement climatique est un catalyseur qui peut aider à la prise de conscience politique. Il y a aussi un sentiment anti-élitaire mobilisable.
Des choses peuvent être changées dans le cadre démocratique sans avoir besoin de « fusiller Macron ». Moi je n’ai pas envie que ça dégénère. Je trouve aussi que le dégoût des citoyens envers la violence est sain.
Vous avez parfois témoigné une forme de soutien à Jean-Luc Mélenchon. Quel est votre lien avec son mouvement La France Insoumise (LFI) ?
Si je me retrouve dans beaucoup de positions de ce parti, je veux aussi rester dans une posture critique. Je ne suis pas un militant LFI, je n’ai pas d’attaches. Il y a des gens que j’admire dans d’autres partis de gauche, comme Sandrine Rousseau. Il y a des gens biens dans tous les partis… de gauche ! Du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) à Europe Ecologie les Verts (EELV).
Est-ce que vous envisagez de vous consacrez un jour à la politique en tant qu’élu ?
Jamais de la vie. Le pouvoir ne m’intéresse pas.
J’ai tendance à dire que les politiques, ça va et ça vient. Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel les ont vu passer et sont toujours là. La position qui vise à produire des commentaires est confortable, mais ces gens-là ont tout de même un effet sur le débat public depuis une dizaine d’années.
La politique n’est pas un milieu que j’aime. C’est un milieu de requins qui peut être très violent. Bien plus violent que les clashs entre youtubeurs.
Dans votre première vidéo de présentation en 2017 pour « Ouvrez les guillemets » vous évoquez votre rapport à la presse. Vous vous présentez avec ironie comme une « merdialope ». Quelle est votre posture face au journalisme et aux médias aujourd’hui ?
Même si je ne me définis pas comme journaliste, mon rôle est assez similaire. Dans la division de travail journalistique, je me situe entre le présentateur télé et l’éditorialiste, entre David Pujadas et Christophe Barbier.
Je me considère plutôt comme un éditorialiste. Mais j’ai certaines exigences qui collent à celles du journalisme et je travaille avec des journalistes pour « Ouvrez les guillemets » .
Mon cheminement a fait que, maintenant, je suis beaucoup plus proche des journalistes. Cela ne m’empêche pas d’être toujours très dur à l’égard des médias dominants. Mais j’ai affiné ma critique.
Aujourd’hui, au lieu de dire qu’il y a un problème avec les journalistes, je dirais qu’il y a un problème avec le champ journalistique et certaines de ses logiques, plus qu’avec des individus.
Expliquer n’est pas excuser, mais cela permet de ne pas tenir pour responsable des individus qui sont pris dans des dynamiques.
A tel point que lorsqu’on me traite de « journalope », je trouve ça injuste. Quand je vois une manifestation qui prend à parti un pauvre journaliste avec sa propre caméra, je n’apprécie pas qu’on s’en prenne à lui de cette façon là. Oui, il y a des gens très biens qui travaillent chez BFMTV !
La notion de « champ journalistique » que vous venez d’évoquer est issue des analyses du sociologue Pierre Bourdieu. En quoi ses théories nourrissent votre réflexion politique ?
C’est le penseur qui m’a le plus influencé et bouleversé. Je découvre Bourdieu à 16 ans, après avoir intégré le lycée du centre-ville. Issu des classes populaires, je me retrouve parmi les enfants de la petite bourgeoisie de centre-ville.
Moi qui vient de la campagne périphérique, je suis confronté à de nouvelles pratiques culturelles. Lorsque une personne de ce milieu me conseille de lire Bourdieu, je lis ses livres et je comprends mieux.
C’est mon penseur de référence, ma grille de lecture principale. Je suis marxiste-bourdieusien. Les logiques que ce sociologue dévoile me paraissent difficilement contestables.
Pour être anti-bourdieusien, il faut être sacrément de droite ou alors de mauvaise foi.
« A Lyon je n’ai jamais subi de violences physiques mais j’ai déjà été pris à parti »
Vous habitez à Lyon depuis 2014, quel intérêt portez-vous à l’actualité politique lyonnaise ?
Je suis un peu la politique lyonnaise. Il m’arrive de croiser certains politiques à des évènements, d’échanger avec d’autres.
J’ai été présenté parfois à des élus. Mais Bruno Bernard [président EELV de la Métropole de Lyon, ndlr] par exemple, je pense qu’il n’était pas vraiment au courant de mon existence. Un youtubeur radical, ce n’est pas passionnant.
Le seul sujet à Lyon que je suis avec une grande attention, c’est les fachos. On a une réputation nationale sur ce sujet. Dans les milieux de gauche, tout le monde sait qu’à Lyon c’est relativement préoccupant.
C’est pour ça que je me suis rapproché de la Jeune Garde Lyon et des antifascistes lyonnais, pour être au courant de ce qui se passe.
Dans certains quartiers, comme le Vieux-Vieux (5e), je ne me sens pas tranquille. Un jour un inconnu s’est approché de moi en me traitant de « grosse merde ». Une autre fois, un autre homme a fait un salut nazi devant moi en déclarant « le fascisme vaincra ».
Au cours des derniers mois, une librairie libertaire a été attaquée par l’extrême droite radicale lyonnaise, également impliquée dans les violences rue Mercière après le match France-Suisse. Rue89Lyon traite de la question de longue date. Quelle analyse apportez-vous sur ces violences dans l’espace public lyonnais ?
La dissolution de Génération identitaire a fait que ses anciens membres n’ont plus de vitrine médiatique et d’image publique à maintenir.
Donc ils sont revenus aux fondamentaux sur le terrain : bagarre, ratonnade et occupation physique de certains quartiers. Leur objectif est d’aller défoncer des militants de gauche, des noirs et des arabes.
Ces groupes d’extrême droite ont toujours un important pouvoir d’attraction. Ce ne sont pas des petites brutes débiles qui les composent : ce sont des jeunes hommes issus la bourgeoisie lyonnaise radicalisée.
Ils veulent défendre et justifier un société d’ordre hiérarchisée et un système inégalitaire. Ces groupes étant en grande majorité masculin, ils sont confrontés au virilisme des jeunes années et à une certaine volonté de prouver qu’il sont des « bonshommes » .
Quels sont vos prochains projets politiques en dehors de YouTube ?
J’ai commencé à animer l’émission politique « Backseat » sur Twitch avec Jean Massiet et Léa Chamboncel. Pour ce projet, nous avons pu rassembler plus de 75 000 euros grâce au financement participatif.
Nous voulons en faire le rendez-vous politique de la rentrée sur Twitch tous les jeudis.
Pour la première émission, nous avons accueilli Clémentine Autain. La semaine dernière c’était Mathilde Imer, de la Primaire Populaire. Nous aimerions aussi recevoir les futurs candidats et candidates à la présidentielle.
L’inconvénient de la plateforme Twitch c’est qu’on touche moins de monde que sur YouTube. Twitch permet néanmoins de créer un rendez-vous régulier. Lors de la dernière émission de « Backseat », 8 000 personnes étaient connectées simultanément.
L’avantage sur cette plateforme c’est la possibilité de créer une petite communauté avec un public qui peut réagir en temps réel.
J’ai aussi une chaîne personnelle sur Twitch. Les gens recherchent une contre-discours. N’étant pas encore invité sur les plateaux mainstream, je fais mon truc de mon côté.
L’étendue des opinions qu’il est possible de partager à la télévision est très étroite, tout comme les sujets sélectionnés. Ce sont souvent les sujets qui préoccupent la bourgeoisie.
Vous envisagez de nouvelles activités en dehors des réseaux sociaux ?
J’ai 35 ans, je ne peux pas être « le jeune » toute ma vie. Sans doute qu’à un moment je vais me tourner vers des positions plus « traditionnelles ». Lesquelles, je n’en sais rien.
Pour l’instant tout ce que j’ai à dire, j’ai l’espace pour le dire.
Écrire un livre dans ma situation serait un accomplissement personnel un peu narcissique. Je ne sais pas si j’ai vraiment besoin de ça.
Intégrer une autre rédaction un jour, être sur un plateau télé, pourquoi pas. On m’a déjà proposé une place sur une grande chaîne d’information en continu, mais il y avait trop de contraintes. En plus il faut être à Paris. J’ai déjà donné, je ne veux pas retourner dans cette ville.
« A Paris j’aurais peut-être peur de devenir trop mondain »
Rester vivre à Lyon pour le moment est dans vos prévisions ?
Oui, j’aime le fait que Lyon soit une ville à taille humaine. J’y ai mes habitudes, un appartement sympathique et pas trop cher. Je suis fait pour vivre en ville, j’aime sortir, aller boire des verres dehors.
J’aime aussi le fait qu’à Lyon j’ai des amis, youtubeurs pour certains. Mais à Lyon je ne fais pas trop de mondanités. Je me contente de suivre, de loin, les mondanités « youtubesques » de mes amis parisiens.
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