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Accueillir des jeunes migrants chez soi à Lyon : « Je n’héberge pas des idées, j’héberge des enfants »

A Lyon, les jeunes migrants qui attendent que leur minorité soit reconnue se retrouvent à la rue. L’association l’Appartage met en contact ces adolescents avec des habitants prêts à les héberger. Rencontre.

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« Moi je n’héberge pas des populations ou des idées, j’héberge des enfants », affirme Gaspard avec aplomb. Depuis 2016, cet habitant de la périphérie de Lyon a accueilli neuf jeunes migrants âgés de 15 à 17 ans. Tous sont originaires d’Afrique subsaharienne. Après un périple éprouvant, ils trouvent dans ce pavillon avec jardin, situé à Oullins, un cadre à la fois sécurisant et bienveillant.

Gaspard ne s’attendait pourtant pas à ouvrir un jour sa porte à des migrants. Le quadragénaire au sourire franc et aux tempes grisonnantes « ne se considère ni comme un militant, ni comme un manifestant ». Il explique ne pas avoir d’opinion au sujet des politiques migratoires mais croire en « l’action locale » :

Gaspard en randonnée dans le Vercors avec deux jeunes de l’association l’Appartage hébergés à son domicile.

« Ce qui m’a fait réagir c’est qu’il s’agit d’enfants qui dorment dehors, à quelques kilomètres seulement de chez moi. Lorsqu’ils arrivent en France, ces enfants ne sont rien : ils n’ont aucune existence légale ».

Directeur régional d’une association, Gaspard a décidé avec sa famille, composée notamment de deux enfants de 13 ans et 10 ans, de faire partie d’une « boucle d’hébergement » mise en place par l’association l’Appartage.

Quatre foyers accueillent chacun à leur tour, une semaine par mois, un ou deux adolescents suivis par l’association. Cette mise à l’abri dure entre quatre et cinq mois en moyenne. Une fois reconnus comme mineurs isolés étrangers, les jeunes migrants sont logés et pris en charge par la Métropole de Lyon.

L’Appartage : « un vrai système de relais » pour les jeunes migrants à Lyon

Gaspard poursuit :

« Quand on héberge seul sans passer par une association, le problème est lorsqu’on n’en peut plus. On est celui qui a ouvert sa porte mais qui doit remettre à la rue. C’est un crève-cœur. »

Si Gaspard tout comme Julie-Anne ont décidé de franchir le pas, c’est parce que l’Appartage propose aux bénévoles de s’impliquer sans s’engager sur le long terme. Les hébergeur·ses peuvent décider d’arrêter l’expérience ou de faire une pause, sans avoir besoin de se justifier. L’accueil des jeunes est alors assuré par d’autres membres de l’association.

Une sécurité qui a rassuré Julie-Anne, chercheuse à l’hôpital Lyon Sud :

« Beaucoup de gens ont la volonté d’aider mais ne savent pas vraiment comment faire. L’avantage de l’Appartage c’est que la structure propose des conseils et un vrai système de relai. »

Avant de se lancer, l’accord des enfants a été indispensable :

« Nous avons dit à nos enfants qu’ils allaient parfois devoir partager leurs parents et leurs espace. Au début, ça leur a fait bizarre puis ils ont compris. »

Au 2ème étage de leur maison, la famille a aménagé une pièce dédiée aux jeunes migrants en investissant dans un lit superposé.Photo : ED/Rue89Lyon

Saleh, 15 ans, du Tchad à Lyon en passant par la Libye

Privations, violences, esclavage… « Ces jeunes ont vu la mort en face », raconte Gaspard à propos de leur parcours migratoire. A Lyon, ils ont souvent été contraints de dormir dans la rue ou dans des squats comme celui de l’ancien collège Maurice-Scève, à la Croix-Rousse, ou celui baptisé « le Chemineur » qui se trouve actuellement à proximité du métro Hénon.

Lorsqu’ils arrivent pour la première fois chez la famille française, les jeunes migrants doivent réapprendre à faire confiance.

« Au départ cela peut être frustrant car ils sont timides, parfois prostrés et ils n’osent pas parler. Il ne faut pas les forcer, raconte Julie-Anne. »

A 15 ans, Saleh a été l’un d’entre eux. L’adolescent est originaire du Tchad, un pays qui selon lui « plonge chaque jour un peu plus et dans lequel il n’y a pas d’avenir ». Saleh est passé par la Libye et l’Italie, avant de se retrouver seul à Lyon début 2020. Face aux bras ouverts de la famille, le jeune garçon a d’abord été méfiant :

« Quand je suis arrivé chez Gaspard et Julie-Anne, je me suis demandé pourquoi ils voulaient m’héberger. Je pensais qu’ils étaient payés pour le faire, car durant mon voyage il fallait toujours payer les gens pour avoir quelque chose. »

Progressivement, les jeunes trouvent leurs marques et s’adaptent aux règles du foyer. L’opportunité pour eux de se remettre sur pieds :

« Notre maison n’est pas un point d’arrivée pour ces jeunes, précise Gaspard. C’est une étape pour reprendre leur souffle et se remettre. Ils peuvent ensuite peu à peu envisager un avenir. »

Des jeunes migrants « cabossés par leur passé »

Pendant plus d’un an, Saleh a vécu dans cette maison à Oullins, une semaine par mois :

« Petit à petit, j’ai compris qu’ils ne m’accueillaient pas pour l’argent. Ils étaient très à l’aise avec moi et je le suis devenu aussi. Tous les hébergeurs sont différents mais j’ai réalisé qu’ils veulent nous aider à nous intégrer et à trouver une vie meilleure. »

Gaspard ne cache pas non plus son admiration à l’égard de ceux qu’il surnomme affectueusement « les loulous » :

« Nous accueillons des enfants cabossés par leur passé. J’ai un respect infini pour eux car ils ont eu le courage de fuir et d’affronter l’inconnu pour sauver leur peau. Ces enfants sont des survivants. Ils sont déterminés. Sans cela ils n’en seraient pas là. »

Baskets aux pieds, à 16 ans Saleh ressemble à un adolescent comme les autres.Photo : ED/Rue89Lyon

Du côté des jeunes, comme du côté des hébergeur·ses, la cohabitation se révèle source d’apprentissage. Des horaires aux loisirs, en passant par les habitudes alimentaires, nombreuses sont les découvertes. Saleh revient sur son expérience :

« Au Tchad on ne mange pas à table, il y a un plat unique pour tout le monde et on mange avec les mains. En France, il faut manger avec des couverts et il y a une entrée, un plat, du fromage, un dessert… Moi, je me suis mis en tête qu’il ne fallait pas que je considère comme bizarres ces choses simplement différentes. »

Après quelques tâtonnements culinaires, Julie-Anne explique quant à elle avoir pris l’habitude de cuisiner sans porc, car les jeunes sont généralement musulmans. « J’ai aussi acheté une quantité incroyable de sauce piquante », raconte-t-elle en riant. Elle remarque que les adolescents se montrent particulièrement « aidants » et participent spontanément aux tâches ménagères. « Une manière pour eux d’exprimer leur reconnaissance », estime Julie-Anne.

« Maman Julie-Anne », « Papa Gaspard »

Au fil des semaines, la confiance s’installe entre hébergeur·ses et hébergés. Gaspard et Julie-Anne, ainsi que d’autres familles, ont même décidé de prêter un double des clefs de chez eux :

« Avant, les jeunes devaient partir et revenir en même temps que nous lorsque nous allions au travail. S’ils ne pouvaient pas aller en cours, ils passaient la journée dehors. Leur donner les clefs évite qu’ils aillent trainer dans des endroits où il y a des risques de mauvaises rencontres. Ils sont encore jeunes et influençables, donc on préfère qu’ils restent à la maison. »

« Maman Julie-Anne », « Papa Gaspard », comme les appellent certains adolescents, font bien plus que fournir un toit à ceux qui ont souvent manqué de sécurité affective. Le père de Saleh est décédé lorsque qu’il était enfant. Quand le jeune migrant évoque la complicité qui s’est créée entre Gaspard et lui, il est enthousiaste :

« On jouait au basket ensemble, je n’en avais jamais fais avant. D’ailleurs, j’ai surnommé Gaspard « LeBron James ». On écoutait aussi de la musique et chacun a fait découvrir des rappeurs à l’autre. Gaspard m’a aussi beaucoup aidé pour mes devoirs, même si il fallait y passer la journée. »

Scolarisé en classe de première au lycée La Martinière Diderot, dans le 1er arrondissement de Lyon, Saleh a obtenu son bac de français cette année. Une réussite scolaire loin d’être isolée. Parmi les adolescents passés par l’Appartage, plusieurs ont décroché des diplômes puis des emplois stables. Une persévérance qui s’explique, selon Gaspard, par une volonté de s’intégrer :

« Ces jeunes ont une soif d’apprendre incroyable. Ils savent qu’ils jouent gros. C’est très satisfaisant d’avoir une oreille aussi attentive. »

Un lien qui perdure après le départ des jeunes

Reconnu mineur isolé étranger, Saleh a quitté la boucle d’hébergement en mars 2021. En l’espace d’une journée, il a dû déménager dans une colocation mise à disposition par la Métropole de Lyon. Un soulagement, mais aussi un déchirement, pour les familles d’accueil comme pour les jeunes :

« C’est difficile de les voir partir. Nous sommes très contents mais cela fend le cœur, reconnaît Julie-Anne. De leur côté, ils sont replongés dans l’inconnu alors qu’ils avaient trouvé un cocon familial. Donc on les rassure et on leur dit qu’on est toujours là pour eux. »

Julie-Anne continue d’échanger régulièrement avec les adolescents qu’elle a accueillis. Certains, à l’image de Saleh, rendent même quelques visites à Oullins :

« Revenir chez eux, c’est comme revenir dans ma maison auprès de ma famille », affirme l’adolescent.

Après leur départ, les anciens hébergés ont l’opportunité de devenir référents auprès des jeunes migrants arrivant à l’Appartage. Un véritable « maillage » qui perdure dans le temps, remarque Julie-Anne :

« Nous n’hésitons pas à rappeler les anciens pour qu’ils expliquent aux nouveaux comment se passe le système d’hébergement. Ils s’épaulent et une forme de fraternité naît entre eux. »

L’Appartage en quête de bénévoles à Lyon

L’aîné des enfants de la famille évoque le « lien fort » qu’il continue d’entretenir avec certains des jeunes :

« Je me suis très bien entendu avec Saleh, qui était plus jeune que les autres. Il faut apprendre à les connaitre, la plupart sont très sympas. La seule chose qui change lorsqu’ils sont là, c’est qu’il y a plus d’animation à la maison. »

A cause de la pandémie de Covid-19, le nombre d’hébergeur·ses au sein de l’association a diminué. De nouvelles personnes, motivées par la volonté d’être utiles, sont devenues bénévoles lors des confinements. Mais l’Appartage est toujours à la recherche de référent.es et d’hébergeur·ses, rappelle Gaspard, alors que de nouveaux jeunes migrants arrivent chaque jour à Lyon et se retrouvent à la rue.

« Essayer juste une nuit, c’est déjà formidable. Il faut avoir confiance en cette voix qui vous dit que ça va bien se passer. Et si ça ne va pas, vous pourrez arrêter. »

Malgré un quotidien bien rempli, Gaspard souhaite continuer d’ouvrir sa porte, aussi longtemps que possible :

« Dans un monde où nous sommes encouragés à avoir peur des uns et des autres, cela fait du bien de voir que la solidarité existe : c’est un carburant. Lorsqu’on s’entraide, nous arrivons à faire des choses pour ces jeunes qui peuvent changer leur vie. »


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Photo : PL/Rue89Lyon.

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