C’est un îlot de végétation situé à quelques pas du centre-ville de Lyon. À une vingtaine de minutes de la place Bellecour (sans bouchon), la verdure du site de la Roussille, à Francheville, tranche avec le gris de la ville. Calme, ce lieu bucolique accueille quelques marcheurs en ce premier lundi du mois d’août. « Si vous venez de Lyon, je ne suis pas sûr que vous connaissiez cet endroit », sourit Fabio Pagotto.
Habitant à proximité, ce Franchevillois de 57 ans est inquiet. Au milieu de cet espace boisé, il montre les conséquences que pourrait avoir la construction d’une retenue sèche sur l’Yzeron, coulant en contre-bas. Via ce barrage, le Syndicat intercommunal du bassin de l’Yzeron (Sagyrc) en charge du projet espère éviter des inondations dans les communes d’Oullins ou Sainte-Foy-lès-Lyon, en aval de la rivière.
« Les dégâts causés par le barrage de Francheville seraient irréversibles »
L’infrastructure a de quoi impressionner. Haute de 23 mètres, soit la hauteur d’un immeuble de huit étages, elle doit mesurer 195 mètres de long et avoir une épaisseur de 79 mètres pour contenir l’eau. Un édifice qui aura des conséquences écologiques. Selon Fabio Pagotto, membre du collectif « Tous Anti Barrage », 3000 à 3500 arbres sont menacés sur près de quatre hectares.
Au milieu de la verdure, Fabio Pagotto montre l’environnement que détruirait ce projet. Chênes, frênes, peupliers, sapins… Il serait une véritable « bombe » écologique pour le riverain.
« Un projet grand comme deux fois Buckingham palace, râle l’opposant. Regardez cet arbre, il a 130 ans. Il faut trois générations pour reconstruire un parc correct. Vous imaginez ? Les dégâts entraînés par le projet seraient irréversibles. »
Franchevillois depuis 37 ans, il assène :
« Ce projet a été pensé il y a 20 ans, mais on avait pas du tout la même conception des choses, notamment sur les questions écologiques. Il est encore temps de revenir en arrière. »
Il est vrai que le barrage a déjà fait des remous. Lors de la concertation de 2016, les « pros » et « antis » s’étaient déjà affrontés. À Francheville, on s’oppose à un projet qu’on juge destructeur d’écosystème alors qu’à Sainte-Foy-lès-Lyon ou Oullins, les habitant·es craignent surtout les inondations. Une quasi guerre de territoire.
« Mobilisez-vous à nos côtés, pour convaincre les élus et les habitants de Francheville qu’il faut soutenir la poursuite des aménagements et aussi pour donner de l’ampleur à notre mobilisation en faveur des barrages », indiquait ainsi une pétition lancée par des habitant·es des deux communes.
Ce n’est pas le seul projet qui semble opposer Franchevillois et Fidésiens. Ces derniers sont contre un potentiel téléphérique alors que les premiers seraient plus ouverts sur la question. Sur ce dossier, les habitants de Sainte-Foy mettent d’ailleurs en avant les conséquences environnementales qu’aurait le transport par câble. À quelques kilomètres, Fabio Pagotto, lui, serait plutôt pour ce dernier moyen de transport. Bref, l’entente entre territoires semble complexe.
« À Francheville, nous n’avons jamais construit en zone inondable, s’agace Fabio Pagotto en référence aux maisons construites à deux pas de l’Yzeron. Pourquoi devrions-nous payer pour tout le monde ? »
Des tensions entre territoires aux tensions politiques
Dans ce contexte particulièrement tendu, la position de la nouvelle Métropole de Lyon est scrutée attentivement. Les mouvements au sein du Sagyrc, syndicat mixte en charge des travaux, ont fait couler de l’encre. En octobre, le quotidien Le Progrès notait que la maire de Sainte-Foy-lès-Lyon, Véronique Sarselli (LR), pressentie au poste de vice-présidente de cette institution, s’était fait griller la priorité par une élue écologiste, au nez et à la barbe de son nouveau président, Jean-Charles Kohlhaas (EELV).
Le 7 juillet, l’élu écologiste a cherché à calmer le jeu en lançant une concertation baptisée « Concert ‘eau » sur le sujet. Contacté, il rappelle d’abord que les deux tiers des travaux initialement prévus entre Francheville et Oullins ont été faits. Plus petit, le projet de barrage à l’étoile d’Alaï de Tassin-la-Demi-Lune ne semble pas poser de difficultés (lire par ailleurs).
« Nous avons tout de même réduit la RD 42 pour élargir le lit de l’Yzeron, des berges ont été revitalisées, rappelle-t-il. Il reste des travaux que nous terminerons l’été prochain. »
Finalement, seul le barrage de Francheville, particulièrement conséquent, pose problème. Rapidement, l’élu rembobine. Initialement en faveur du projet, les élu·es du Sagyrc sont à présent partagé·es à 50/50 entre les partisan·es et opposant·es de la retenue d’eau du fait de l’arrivée de nouveaux et nouvelles élu·es écologistes. Signe de ce changement, si la présentation initiale du projet parlait de 1000 hectares détruits, le nouveau président évoque bien un chiffre allant de 3000 à 3500 arbres détruits. Une étude d’impact sur le projet est en cours.
« Il est assez peu probable de réussir à compenser écologiquement un ouvrage de la taille du barrage de Francheville »
Dans une situation potentiellement explosive entre « pros » et « antis », Jean-Charles Kohlhaas veut se poser en « conciliateur ». Pour cela, il a voulu donner se donner du temps.
« On a un travail de vulgarisation à faire pour trouver un consensus pour début 2022. »
Prudent, l’élu Oullinois ne prend pas clairement position sur le sujet. Mais, en creux, il laisse entendre que la construction de la retenue sèche s’annonce difficile. Voire trop difficile. En cause selon lui : l’évolution de la réglementation avec la mise en place des ERC (éviter, réduire et commencer).
L’élu sort sa calculette :
« Avec ce projet, nous aurons 4 hectares d’impact sur un espace boisé classé, reprend-il. Cela doit faire entre 12 et 15 hectares à trouver pour effectuer une compensation écologique. De plus, nous ne voulons pas que celle-ci soit virtuelle. »
Dans l’idée du vice-président de la Métropole de Lyon, elle passerait par un reboisement de terres, voire d’anciennes friches industrielles. Des terrains qui devront être trouvés dans un territoire plutôt dans la zone. En dehors, le prix du foncier dans l’Ouest lyonnais a un coût non négligeable.
« En l’état, il est assez peu probable de réussir à compenser un ouvrage de cette taille-là », euphémise l’élu.
Une concertation pour explorer les alternatives
Que faire dans ce cas ? Laisser les habitant·es (et leurs habitations) tomber à l’eau ? Quelques semaines après les inondations impressionnantes et meurtrières connues par l’Allemagne et la Belgique, la chose paraît impensable.
« Ces inondations sont justement liées au fait qu’un barrage a craqué en Allemagne », rétorque Fabio Pagotto.
Le Franchevillois rappelle que la retenue sèche prévue à Francheville doit éviter des crues centennales, soit une crue ayant un risque sur 100 de se produire chaque année.
Le risque paraît maigre, certes. Mais il est réel. Les simulations réalisées par la Sagyrc, de ce côté, font froid dans le dos.
De même, beaucoup ont en mémoire les grandes inondations de 2003. Cette année-là, 700 foyers ont été sinistrés sur Oullins, Sainte-Foy-Lès-Lyon, Tassin, Francheville et Charbonnières-les-bains. Selon le syndicat mixte, 3700 personnes seraient exposées au risque d’une crue centennale.
Pour Jean-Charles Kohlhaas (EELV), il faut étudier les conséquences du réchauffement climatique sur ce phénomène. Les dernières grandes crues se sont produites à des moments « étonnants », selon lui. Elles sont moins fréquentes, mais plus violentes par leur intensité. Il évoque notamment les inondations d’Oullins, en juillet 2020.
« Dans ce cas, le projet de retenue sèche sur l’Yzeron aurait été inutile, affirme-t-il. Tout ça le questionne. »
Plusieurs fois, l’élu rappelle qu’une solution doit être trouvée, mais que celle-ci ne passera peut-être pas par un barrage.
Que faire dans ce cas ? Construire de plus petits barrages ? Déplacer certains édifices qui se trouvent actuellement au bord de l’Yzeron ? La concertation « Concert’eau » aura la difficile tâche de répondre à cette question. D’ici là, la nouvelle étude d’impact lancée par le Sagyrc aura rendu ses conclusions. Objectif : aboutir à un consensus pour lancer le projet au printemps 2022. Quoi qu’il en soit, le président du Sagyrc rappelle qu’aucune solution ne permettra de prévenir à 100% les risques d’inondations. Restera à trouver un équilibre.
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