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Vers une pénurie de sperme à Lyon ?

[Interview] La loi de bioéthique votée le 29 juin dernier prévoit entre autres la levée de l’anonymat des donneurs et donneuses de gamètes. A Lyon, les personnes qui souhaitaient donner leur sperme ou leurs ovocytes commencent déjà à se rétracter.

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bébé pénurie sperme Lyon

Le projet de loi bioéthique a été adopté le 26 juin dernier par l’Assemblée nationale. Parmi les mesures les plus importantes, on trouve l’élargissement de l’accès à la procréation médicale assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires ainsi que la possibilité de vitrifier ses gamètes pour préserver sa fertilité.

Ce projet de loi prévoit que les enfants issus d’une PMA en France – et donc d’un don de gamètes – pourront à leur majorité avoir accès à certaines caractéristiques de leur donneur (âge, situation familiale ou professionnelle…) ou connaître son identité. Présentée comme un droit d’accès à leurs origines pour les enfants nés d’une PMA, cette levée de l’anonymat pourrait pousser les personnes donneuses à se rétracter.

Photo by Omar Lopez on Unsplash.

Le professeur Bruno Salle est chef du service de médecine, biologie de la reproduction et préservation de la fertilité aux Hospices civiles de Lyon (HCL) où il exerce depuis une trentaine d’années. Pour lui, cette levée de l’anonymat risque de conduire à une pénurie de gamètes (sperme et ovocytes) à Lyon. En même temps qu’elle ne constitue pas la mesure la plus importante de cette loi de bioéthique.

Rue89Lyon : La loi de bioéthique a été votée le 29 juin dernier à l’Assemblée nationale. Elle a notamment ouvert la PMA à toutes les femmes. Comment est-ce que ça se traduit en consultation ?

Bruno Salle : J’ai fait mes premières PMA dans les années 1990. Je n’ai encore jamais vu de couple de femmes ou de femmes seules donc je n’ai pas encore le recul nécessaire pour répondre à cette question. J’ai quelques rendez-vous pour la rentrée. De toute façon, il n’y aura pas de différence selon l’orientation sexuelle, que ce soit en consultation ou pour la liste d’attente du don.

« Cette levée de l’anonymat risque d’entraîner une pénurie de dons qui va faire le jeu des cliniques étrangères »

Cette loi prévoit la levée de l’anonymat des donneurs ou donneuses sur demande de l’enfant à sa majorité. Qu’en pensez-vous ?

La levée de l’anonymat, cela m’inquiète énormément. Avant, l’anonymat était garanti totalement aux donneurs. Il ne pouvait être levé que sur demande médicale pour connaître certains antécédents médicaux par exemple. Avec cette loi de bioéthique, il pourra y avoir une levée totale ou partielle de l’anonymat du donneur, sur demande du receveur. Une levée totale, ça signifie le nom, le prénom… du donneur.

Cette levée de l’anonymat risque d’entraîner une pénurie de dons qui va faire le jeu des cliniques étrangères. Et donc une vraie sélection par l’argent. Les personnes qui en ont les moyens iront dans ces cliniques tandis que les autres devront attendre en France.

« Actuellement, 8 donneurs sur 10 se rétractent en raison de la levée de l’anonymat »

Existe-t-il un risque de pénurie de sperme à Lyon ?

Ce n’est pas pareil dans tous les CECOS (Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains, ndlr). Il y aura probablement une disparité selon les villes. Il est possible que Paris soit moins impacté, à Lyon nous sommes inquiets. Nous risquons de voir une diminution des donneurs.

Au CECOS de Lyon, 20 à 25 donneurs de sperme par an sont pris en charge.

Un donneur peut permettre l’obtention de dix naissances. Jusqu’à présent, nous n’avions pas de problème de recrutement, le délai dans notre centre était d’environ six mois.  Actuellement, 8 donneurs sur 10 se rétractent en raison de la levée de l’anonymat, engendrant un allongement des délais et potentiellement une pénurie de gamètes.

Et pour les ovocytes ?

Pour les ovocytes, 40 à 50 dons sont réalisés par an. Le délai de prise en charge est d’environ un an et demi à deux ans. Les couples sont inscrits sur une liste d’attente.

Pour diminuer ce délai, nous encourageons les personnes qui veulent recevoir des ovocytes à nous présenter quelqu’un qui accepte de donner les siens. Le délai d’attente se réduit à un an environ. Pour préserver l’anonymat, ces ovocytes iront à quelqu’un qui ne connaît pas la femme qui les a donnés.

Avec cette levée possible de l’anonymat, certaines femmes nous ont déjà dit qu’elles ne donneraient pas leurs ovocytes.

« La vraie révolution de cette loi de bioéthique, ce n’est pas l’ouverture de la PMA à toutes mais la vitrification ovocytaire sociétale »

Qu’apporte cette loi de bioéthique d’après vous ?

La vraie révolution de cette loi de bioéthique, ce n’est pas l’ouverture de la PMA à toutes mais la vitrification ovocytaire sociétale. C’est une vraie avancée pour les femmes. Il leur sera possible de congeler leurs ovocytes pour préserver leur fertilité et décaler leur projet parental.

Ça concerne les femmes seules, qui n’ont pas de conjoint et qui ont peur de perdre leur fertilité, mais aussi les jeunes femmes qui n’ont pas envie d’avoir un enfant tout de suite. En France, l’âge du premier enfant est en moyenne de 31 ans, et il recule.

Avant cette loi, il était impossible de congeler ses gamètes ?

C’était interdit jusqu’à présent en France, sauf dans le cas de certaines pathologies qui entraînaient ou risquaient d’entraîner une infertilité. Désormais, toute femme pourra congeler ses ovocytes. C’est la même chose pour les spermatozoïdes.

Comment cela va-t-il se passer, en pratique ?

On attend les décrets d’application pour savoir à partir de quel âge et jusqu’à quel âge nous pourrons proposer une préservation de fertilité. La PMA n’est plus remboursée au-delà de 43 ans donc la limite devrait être la même. 

Cette vitrification ne pourra se faire qu’en France, dans des organismes à but non lucratif. Dans notre région, ça concerne les CECOS de Lyon et de Grenoble. La congélation sera totalement gratuite.


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