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Moustiques tigres à Lyon : « Il n’y a pas de solution miracle »

Pour sa série d’été, Rue89Lyon interroge la prise en compte et la gestion de la faune sauvage en ville. Pour ce premier épisode, on aborde les moustiques tigres : insectes peu sympathiques qui font leur apparition dès le début de l’été. Qui sont-ils, quels risques représentent-ils, et surtout, comment s’en débarasser ?

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Un moustique tigre. Une image libre de droit par Pixabay.

Florent est un jeune consultant en stratégie. Début 2020, il s’est installé avec son conjoint dans un appartement qui donne sur la place Bir-Hakeim (Lyon 3e). Il était alors très enthousiaste à l’idée de profiter de son grand balcon. Malheureusement, les moustiques ont contrecarré ses plans :

« Dès les premiers beaux jours, le balcon est devenu impossible à utiliser tellement il y avait de moustiques, majoritairement des moustiques tigres. » 

Florent est allergique aux piqûres de moustique, mais ne se laisse pas démonter. Avec son conjoint, ils étendent une moustiquaire géante sur tout leur balcon.

« Le syndicat de l’immeuble nous a immédiatement écrit pour nous dire que cette moustiquaire nuisait à la qualité visuelle de l’immeuble. » 

A contrecœur, le couple retire le filet géant.

« C’était vraiment dangereux pour moi, quand je me faisais piquer sur la paupière par exemple, j’avais de gros cocards… »

Alors, Florent et son conjoint placent des spirales collantes sur le balcon, mais face au nombre de moustiques, celles-ci ne sont pas d’une grande efficacité. Florent indique avoir signalé à la mairie et à la Métropole de Lyon la présence préoccupante d’un grand nombre de moustiques. Il n’a constaté aucun changement et ne sait pas si des opérations ont été menées.

« En haut de l’immeuble, il y a un immense toit-terrasse et les appartements qui y avaient accès se sont mis au vert dès le premier confinement. Il y a vite eu de l’eau stagnante. C’est peut-être de là que venaient les moustiques. »

« Ce ne sont pas les mares qui sont favorables au développement des moustiques tigres »

Les moustiques tigres ne se développent pas partout. Leurs larves doivent être déposées dans un petit réservoir d’eau stagnante, comme les moustiques européens. Quentin Brunelle, fondateur de l’association lyonnaise Des espèces Parmi’Lyon qui vise à sensibiliser à la protection de la biodiversité explique :

« Contrairement à l’idée reçue, ce ne sont pas les mares qui sont favorables au développement des moustiques tigres, mais les micro et macro réservoirs. »

Où trouve-t-on ces réservoirs ? Ce n’est pas compliqué : partout. Il peut s’agir d’une toute petite flaque sur le toit d’un immeuble ou sous une dalle de terrasse. Il faut les surveiller dès les premiers jours du printemps, car même si les moustiques tigres n’apparaissent que lors des premières chaleurs, leurs larves, elles, peuvent patienter dans leurs flaques un certain temps.

Présent dans 64 départements français et remontant à grande vitesse vers le nord du pays, l’Aedes albopictus autrement appelé « moustique tigre » est devenu une question centrale durant l’été en France. Pourtant plus petits que les moustiques européens, les diptères originaires d’Asie du sud-est sont bien plus dangereux. Non seulement leurs piqûres sont douloureuses, mais en plus, ils sont susceptibles de transporter des maladies tropicales, les « arboviroses » comme la dengue, le chikungunya ou même le zika.

Carte envoyée par l’ARS d’Auvergne Rhône Alpes à propos de la colonisation des moustiques tigres en France.

Les insectes ne se déplacent pas sur des distances suffisamment grandes pour ramener directement ces maladies des pays où elles sont répandues. En revanche, si une personne atteinte d’une arbovirose arrive en France et se fait piquer par un moustique tigre, il peut transmettre la maladie. Le moustique européen ne peut quant-à-lui pas être porteur d’arboviroses.

Un risque durant l’été 2021 à Lyon ?

Depuis une petite dizaine d’années, les cas de personnes atteintes d’arboviroses restent relativement faibles. En 2016 par exemple, 98 cas de zika ont été déclarés en Auvergne Rhône Alpes :

« Ce sont pour la plupart des personnes qui reviennent de zones où il y a des épidémies. » 

En réalité, il y a eu très peu de cas dits « autochtones ». C’est-à-dire des personnes qui ont attrapé des maladies tropicales sur le territoire.

« Les premières transmissions autochtones de la région ont eu lieu en 2019. Deux personnes ont attrapé la dengue à Caluire-et-Cuire. »  

Depuis, aucun autre cas de transmission autochtone n’a été déclaré dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Christophe Bellet, responsable opérationnel de l’EID de l’antenne de Décines, s’inquiète tout de même pour cet été :

« Il y a une épidémie de zika à la Réunion, il va sûrement y avoir beaucoup de personnes qui vont en revenir porteuses du virus. » 

L’EID ou les ghost busters de moustiques tigres de Lyon

Comment lutte-t-on contre les moustiques tigres à Lyon et ses alentours ? Un peu comme partout où la petite bête zébrée sévit : c’est l’EID (l’Entente Interdépartementale de la Démoustication) qui est chargée d’en limiter la présence. Christophe Bellet, responsable opérationnel de l’EID de l’antenne de Décines explique :

« On a deux volets d’action : la lutte contre la propagation des arboviroses [maladies tropicales] et la lutte contre la nuisance, c’est-à-dire la gêne représentée par les moustiques tigres. » 

Les zones d’intervention pour limiter la nuisance sont délimitées par des arrêtés préfectoraux. Dans le Rhône, toutes les communes du département sont inscrites dans cet arrêté à l’exception de Lyon. Christophe Bellet précise qu’à Lyon intramuros, la lutte contre les moustiques nuisants est menée par le service d’écologie urbaine.

Pour lutter contre la nuisance que représente les moustiques tigres, l’EID réalise des opérations de prévention, et pose des larvicides dans des micro-réservoirs. Ceux-ci se présentent sous forme de petites pastilles à mettre dans l’eau. En revanche, la lutte contre les « moustiques vecteurs » concerne uniformément tout le territoire.

« La stratégie de lutte contre les moustiques vecteurs est définie par l’État. Dès qu’une personne est déclarée atteinte d’une arbovirose dans une région où il y a des moustiques tigres, l’Agence Régionale de la Santé nous envoie un signalement des lieux qu’elle a fréquentés. »

Alors, l’EID se rend à ces endroits pour voir s’il y a une présence de moustiques tigres.

« S’il y a des moustiques tigres, l’ARS décide quasiment à chaque fois de procéder à une lutte anti-vectorielle. Évidemment avant de procéder, on étudie la zone : est-ce qu’il y a des écoles, des crèches, des hôpitaux, des Ehpads… »

L’étude de la zone va conditionner le programme de lutte contre le moustique tigre de l’EID : l’utilisation de biocides, larvicides ou piégage.

La pose de larvicides consiste en l’épandage d’un traitement biologique à base de bacille de Thuringe dans les citernes, bidons, vases et pots. La bactérie élimine toutes les larves de moustiques tigres. Christophe Bellet déclare que le piégeage n’est pour l’instant pas très répandu. Il s’agit de poser des appareils qui attirent et piègent les moustiques en diffusant du CO², simulant la respiration humaine ou animale.

Pulvériser des biocides à Lyon « ce n’est pas efficace à 100% »

C’est l’épandage de biocides qui est la solution majoritaire dans le cadre de la lutte anti-vectorielle. Christophe Bellet raconte :

« On prévient la population avec des flyers 48 heures auparavant, on prévient aussi personnellement les apiculteurs. » 

Et, deux jours après, les démoustiqueurs reviennent dans le quartier entre 4 et 5 heures du matin à bord d’un gros 4×4. Sur leur véhicule est hissé un imposant canon qui pulvérise un produit à base de deltaméthrine.

« On pulvérise tous les endroits où des moustiques tigres pourraient se reposer sur un rayon de 150 mètres autour de notre point de départ. »  

Christophe Bellet temporise :

« Évidemment ce n’est pas efficace à 100%. »

« Pulvériser des biocides ça tue les abeilles sauvages »

Pour Quentin Brunelle, fondateur de l’association lyonnaise Des espèces Parmi’Lyon qui vise à sensibiliser à la protection de la biodiversité :

« Cette pulvérisation d’insecticides de nuit est un désastre écologique. Par exemple, ça tue toutes les abeilles sauvages. » 

Un moustique tigre. Une image libre de droit par Pixabay.

Il a réalisé un état des lieux après une opération de démoustication nocturne à Villeurbanne. Il a notamment publié une vidéo sur facebook à ce sujet :

« Il y avait plusieurs dizaines d’espèces d’insectes mortes dans les caniveaux, souvent des pollinisateurs. » 

Il ajoute :

« Le moustique tigre est crépusculaire. À 4 heures du matin il est caché pour dormir. »

Marc Maisonnet est co-président du syndicat d’apiculture du Rhône, il déclare lui aussi être inquiet de ces opérations de démoustications nocturnes :

« Sur 200 mètres, il y a tout qui meurt, y compris les oiseaux qui mangent les insectes. On aimerait bien qu’ils se mettent plutôt aux pièges électroniques, qui sont beaucoup moins néfastes pour la biodiversité. »

Il pointe les dangers de cette technique de démoustication pour les ruches :

« En 48 heures, on ne peut pas déplacer une ruche qui contient du miel, et tous les étés il y a du miel dans les ruches. »

Philippe Garin est apiculteur dans la métropole de Lyon, il installe des abeilles dans les jardins privés avec son entreprise « Les abeilles du Lyonnais ». L’été dernier, il a été prévenu qu’une opération de démoustication aurait lieu près d’un de ses ruchers, à Tassin-la-Demi-Lune :

« J’ai eu peur mais aucune ruche ne m’a semblé dépeuplée au lendemain de l’opération. Cependant, je ne sais pas à quelle distance se trouvait la pulvérisation. De plus, mes abeilles dorment la nuit. » 

« Il va falloir obliger les Grands lyonnais à mettre du gravier sur les toits terrasses »

Pour les associations comme pour les élus de Lyon et de la Métropole, il est primordial d’abattre le cliché selon lequel les moustiques tigres prospèrent dans les mares.

Quentin Brunelle explique :

« Dans une mare saine, il y a tous les prédateurs du moustique tigre : des coléoptères, des libellules, des mouches, des araignées d’eau qui mangent les larves du moustique… »

Il ajoute :

« S’attaquer aux mares, c’est se tromper de cible. Il y a des personnes qui n’en sont pas informées qui vont jusqu’à vider du liquide lave-vitre dans les points d’eau, c’est grave. »

Pierre Athanaze est vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l’environnement, la protection animale et la prévention des risques. Il aimerait s’attaquer aux toits de la métropole pour raréfier les lieux de ponte du moustique tigre :

« Il va falloir obliger les Grands lyonnais à mettre du gravier sur les toits terrasses ou mieux, végétaliser les toits. Ajouter du substrat, et planter des végétaux. »

Pierre Athanaze est le 11e vice-président de la Métropole. Il a à sa charge l’environnement, la protection animale et la prévention des risques.Photo : LS/Rue89Lyon

Nicolas Husson est adjoint au maire de Lyon en charge des questions de biodiversité, de nature en ville et de protection animale. Pour lui aussi, un travail de responsabilisation des concepteurs d’immeubles doit être mené, mais ce n’est pas sa priorité :

« Pour l’instant, ce n’est pas le plan. On communique déjà les mesures de protection contre les moustiques tigres aux citoyens, on leur demande par exemple de couvrir tous leurs réservoirs d’eau par au moins une bâche. » 

« Il va falloir apprendre à apprécier l’utilité des araignées »

Il souhaite en revanche lutter contre les moustiques tigres en favorisant le développement de ses prédateurs.

L’élu écologiste a suivi attentivement le projet de la Ligue de Protection des Oiseaux, qui a creusé une mare au cimetière de Loyasse (Lyon 5e) en 2016. L’association y a aussi installé des perchoirs à oiseaux et la tonte de l’herbe n’est plus effectuée que deux fois par an pour que les petites bêtes s’y épanouissent.

Le 11 juillet dernier, un autre refuge labellisé par la LPO a été inauguré dans le cimetière de la Guillotière en partenariat avec la Ville. Nicolas Husson explique que ces îlots de nature dans les cimetières lyonnais sont voués à se multiplier, toujours en partenariat avec la Ligue de Protection des Oiseaux :

« C’est grosso-modo toujours la même idée. La mare fait à peine la taille d’une grosse table, mais ça fait partie d’un tout, ça participe à notre projet de trame verte qui régulera la présence des moustiques tigres. »

Nicolas Husson, 16è adjoint à la Mairie de Lyon. Il s’occupe des questions de biodiversité, de nature en ville et de protection animale.Photo : LS/Rue89Lyon

Pour le président de la LPO, Patrice Franco, il faut garder à l’esprit que les premiers prédateurs des moustiques tigres ne sont pas les oiseaux et les chauve-souris :

« Les moustiques tigres volent généralement à deux mètres du sol. L’altitude de chasse habituelle des hirondelles ou des martinets est bien plus haute. »

Quant aux chauve-souris, elles sortent chasser quand la majorité des moustiques tigres n’est plus active. Patrice Franco conclut :

« Il va falloir apprendre à apprécier l’utilité des araignées par exemple, non seulement les araignées d’eau dans les mares, mais aussi les araignées de maison. » 

En effet, les moustiques sont un des mets préférés des araignées, particulièrement quand ils sont gorgés de sang.


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