Le 31 mai dernier, la journaliste Fabienne Guedy intervient dans une classe de seconde SNT (Sciences numériques et technologique) au lycée Saint-Thomas d’Aquin-Veritas d’Oullins.
Ce centre scolaire catholique privé bien connu dans la région lyonnaise (lire par ailleurs), sous contrat avec l’État, doit l’accueillir pour trois séances de deux heures d’éducation aux médias. Le but de sa venue ? Décortiquer les mécanismes de manipulations numériques chez les jeunes. Deux heures après le début de son travail, celle qui fait de l’éducation aux médias depuis 2013 va être remerciée. En cause : une partie de son intervention concernant l’extrême droite.
« C’est la première fois que ça m’arrive ! », s’exclame-t-elle.
Quelques semaines après, elle s’interroge toujours sur ce qui a motivé l’établissement d’Oullins. Cette première séance à « Saint-Thom » s’était pourtant déroulée normalement, assure-t-elle.
« À la fin du cours, j’ai eu une rapide discussion avec la professeure de SNT et avec la professeure documentaliste. Elles avaient l’air satisfaites. Mais, quand je suis revenu à 13h, le discours avait changé. »
Trente minutes avant sa deuxième rencontre avec les élèves, les enseignantes lui expliquent que l’intervention de l’après-midi n’aura pas lieu. En cause : un contenu « trop politique », selon elle.
« Elles m’ont dit que certains élèves partageaient « ces idées » et que les parents risquaient de faire des vagues. »
Un reportage sur l’extrême droite gêne l’équipe enseignante d’Oullins
« Ces idées », ce sont des idées d’extrême droite. Durant son intervention, la journaliste est revenue sur l’action de groupes comme QAnon, le réseau conspirationniste d’extrême droite américain, mis sous le feu des projecteurs après l’attaque du capitole, le 6 janvier 2021. Selon le rectorat de Lyon, la séance a accroché sur la diffusion d’un reportage.
Contacté par mail, le rectorat explique :
« La journaliste a décidé d’utiliser comme support un reportage de « Complément d’enquête » consacré à l’ultra-droite, ce qui n’avait pas été évoqué avec la professeure au moment de la préparation de la séance. »
Interrogée à ce sujet, Fabienne Guedy confirme :
« J’ai utilisé le reportage de complément d’enquête car c’était l’actu, la petite Mia [enlevée dans les Vosges avec l’appui d’un militant d’extrême droite] venait d’être retrouvée, indique-t-elle. Mais j’avais eu l’accord des enseignants, à l’oral. »
Le 30 mai, veille de la séance, Rémy Daillet-Wiedemann, complotiste classé à la droite de la droite, soupçonné d’être impliqué dans l’enlèvement de la petite Mia, est arrêté en Malaisie. Revenir sur l’affaire paraît donc logique pour la journaliste. D’ailleurs, les enseignants ne lui font aucune réflexion à la fin du reportage.
Selon elle, personne ne s’est plaint de l’intervention sur le moment. Elle soupçonne les élèves en visio-conférence de s’être plaint de l’intervention.
« Je n’ai senti aucune hostilité dans la classe. Mais l’autre moitié des élèves étaient chez-eux, je ne sais pas ce qu’il s’est dit. »
Une intervention non « conforme aux modalités préalablement établies » ?
Les enseignants ont-ils considéré que la présentation n’allait pas dans le bon sens ? Ont-ils reçu des mauvais retours d’élèves ? De parents d’élèves ? Ou ont-ils même anticipé ces potentiels retours ?
Contacté par mail, le directeur général du centre scolaire, Xavier Gouët, s’est défaussé sur le rectorat :
« Je n’ai personnellement rien à ajouter à ce qui vous a été transmis [par le rectorat], tout étant clairement explicité. »
Un rectorat qui renvoie lui-même… à la responsabilité de l’enseignant le jour-même.
« L’intervention du professionnel [la journaliste] se déroule sous la responsabilité de l’enseignant qui peut interrompre à tout moment celle-ci, s’il estime qu’elle ne se conforme pas aux modalités préalablement définies ou que l’attitude est contraire aux engagements. »
Cabinet du recteur de l’Académie de Lyon
Avec ces réponses, difficile d’établir précisément le motif de l’arrêt des interventions. De son côté, Fabienne Guedy assure ne pas avoir eu d’autres échanges avec l’établissement depuis. La direction de Saint-Thom lui a payé les deux autres séances prévues, sans lui donner de nouvelles explications.
Celle qui est déjà intervenue dans les établissements Juliette-Récamier et Saint-Exupéry à Lyon a écrit au rectorat et au ministère de l’Éducation nationale. Sans réponse, elle a également posé une réclamation auprès du Défenseur des droits le 4 juillet.
La liberté d’expression mise entre parenthèse pour ne pas froisser les élèves ?
« Mon objectif n’est pas de faire le buzz, se défend-elle. Je veux montrer que ce qui s’est passé est grave, marque-t-elle. Ce que traduit cette situation : c’est que les élèves choisissent ce qui doit être enseigné. »
Elle rappelle le cas de Samuel Paty, assassiné par un terroriste islamiste en début d’année. Là aussi, l’enseignant avait été mis en difficulté par des paroles d’élèves, après avoir montré des caricatures du prophète Mahomet de Charlie Hebdo. Dans les deux cas, elle relève des atteintes à la liberté d’expression.
Fabienne Guedy a reçu des nouvelles du rectorat la veille de notre entretien, jour où notre demande presse a été traitée par l’Académie de Lyon. Le rectorat nous a précisé qu’elle prendrait attache prochainement avec la journaliste pour aborder la question en rappelant, une fois de plus, que la décision finale revient à l’établissement. Un nouvel échange entre l’intervenante et le centre scolaire « Saint-Thom » pourrait avoir lieu sous l’égide du rectorat.
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