Mercredi 30 juin à 19 heures, la salle Edouard Herriot est bondée au Palais de la Mutualité à la Guillotière (Lyon 7è). De nombreux habitants se sont déplacés pour assister et tenter de participer à la réunion publique organisée par la Ville de Lyon autour du « plan d’actions pour la place du Pont ». La réunion est organisée en partenariat avec la Métropole.
C’est le maire de Lyon Grégory Doucet, qui prend la parole en premier. Son ton est grave :
« Je sais votre attachement au quartier, mais je comprends le sentiment de danger, les nuisances, le fatalisme… parfois même la peur. »
Il aborde ensuite la richesse multiculturelle du quartier. La Ville de Lyon a d’ailleurs réutilisé le vieux nom « place du Pont » plutôt que « place Gabriel Péri » pour communiquer autour de son plan d’actions et insister sur ces racines historiques.
Grégory Doucet insiste sur la volonté de la Ville de ne pas gentrifier cette place.
Le micro est ensuite donné aux deux maires du 7è et du 3è, Fanny Dubot et Véronique Dubois-Bertrand. Elles expliquent certaines plaintes, demandes et idées qui ont émergé des 9 ateliers de consultation menés cette année. Ces thématiques sont regroupées en quatre catégories : « Une place centrale qui relie les quartiers », « Une place investie par et pour les riverains » , « Une place tranquille » et « Un carrefour de la solidarité ».
L’animateur de la soirée demande de choisir la catégorie que le public souhaite aborder en priorité. C’est la catégorie « Une place tranquille » qui reçoit le plus de votes.
Le maire de Lyon, Grégory Doucet prend donc la parole pour énumérer les dispositifs policiers qui ont été mis en place depuis son élection, tout en listant le nombre d’amendes, d’arrestations et d’interventions policières qui ont été conduites sur la place Gabriel Péri.
« Je veux que ça change sur la place Gabriel Péri »
Une dizaine de minutes après le début de la prise de parole du maire, une voix s’élève du fond du balcon de la salle :
« Je n’en peux peux plus ! Il y en a marre ! C’est un vrai coupe-gorge. Je suis commerçant de la place et je craque. J’ai voté pour vous. Ce n’est même pas que la situation est de pire en pire, c’est que c’est devenu invivable ! »
La silhouette qu’on distingue mal vocifère, sa voix déraille. Sur la scène, l’animateur tente de reprendre la parole, Grégory Doucet déclare comprendre et connaître la souffrance qu’exprime l’homme debout sur le balcon, il explique qu’il va préciser les dispositifs mis en place par la ville dans quelques instants. L’homme le coupe :
« On en a marre d’écouter, je veux que ça change, on veut tous que ça change ! »
Une salve de hourras et d’applaudissements accueillent la prise de parole. Grégory Doucet reprend sous quelques huées. Le maire aborde une nouvelle fois le déficit de police nationale à Lyon, ainsi que l’aide de la préfecture pour mener jusqu’à deux interventions par jour pour lutter contre les incivilités et la délinquance :
« Sur un an, 560 procès verbaux ont été dressés pour non-respect des mesures sanitaires, 517 pour stationnements illégaux et il y a eu 86 interpellations sur la place Gabriel Péri. »
Alors une autre voix s’élève, de la fosse cette fois :
« On parle d’un quartier multiculturel depuis le début, mais il n’y a pas de multiculturalité dans la salle, on est entre blancs ! »
L’animateur s’agace :
« On attend la fin de la présentation s’il vous plaît, vous aurez 45 minutes pour parler. »
Un autre voix s’élève encore :
« Pas de censure s’il vous plaît ! »
L’animateur répète alors que les habitants pourront s’exprimer à leur guise durant la deuxième phase de la réunion publique. La salle, prend son mal en patience.
« On veut déplacer la population de la place Gabriel Péri »
Au bout d’une heure et demie de discours et de présentations tenus par Grégory Doucet mais aussi par Béatrice Vessiller, la deuxième vice-présidente de la Métropole de Lyon, chargée de l’urbanisme et du cadre de vie, le débat public débute.
Un homme au premier rang prend le micro et fait une déclaration :
« Moi j’aimerai bien pouvoir acheter du poisson frais et commerce équitable, avoir des magasins zéro déchets. Je trouve que le quartier manque de concept store qui sont à vocation écologique. »
et, ajoute en se tournant vers la foule :
« Les jeunes, est-ce que vous êtes prêts à faire des quartiers verts ? »
Silence. Le maire de Lyon, lui, répond tout sourire :
« Je suis très sensible à ce que vous me dites, on va élargir le trottoir et laisser la place à d’autres types de commerces. »
Grégory Doucet détaille pendant de longues minutes le projet de diversification des commerces, d’élargissement du trottoir notamment sur le cours Gambetta, en supprimant les places de parking. Il passe ensuite la parole à son adjointe à l’emploi, l’économie durable et locale et l’insertion, Camille Augey qui précise le projet.
Quand l’animateur reprend le micro il annonce :
« On va prendre trois dernières questions en même temps. »
Un grognement de colère parcourt l’assistance. Au final, le débat public aura été bien court.
On donne le micro à une femme :
« Il y a des gens qui ont été mis à l’écart : pourquoi la moitié du quartier n’est pas au courant de cette réunion ? J’ai l’impression que ce plan d’action a été réalisé pour plaire à un certain type de personne et en exclure un autre. On veut déplacer la population, et c’est grave. »
« J’ai peur que la Place du Pont devienne la place Dupont. »
Et l’habitante de déclarer avec ironie :
« Vous êtes écologistes, donc forcément, vous ne pouvez pas être racistes… »
Grégory Doucet et Béatrice Vessiller s’offusquent mais le micro est déjà à un autre habitant : Nourredine, qui déclare être commerçant sur la place depuis 33 ans :
« Le problème, c’est le tramway et le métro. On déplacerait ça de la place Gabriel Péri, ça irait mieux. »
Il veut raconter une histoire qui lui arrive souvent dans son magasin :
« Des jeunes poursuivis par la police viennent régulièrement se cacher dans mon magasin. Alors, quand un policier passe le pas de ma porte, je n’imagine même pas qu’il puisse vouloir m’acheter quelque chose, je demande directement : « vous venez chercher qui ? »»
Mais il se fait couper plusieurs fois pendant son intervention par l’animateur de la réunion :
« Monsieur, il fallait parler pendant les ateliers. »
Et Nourredine de répondre :
« J’ai fait huit ateliers sur les neuf. Maintenant c’est mon moment. »
Il aborde l’inquiétude que provoque l’agrandissement du périmètre de préemption adopté par la mairie de Lyon avec la mairie du 7è en mars dernier, qui donne la priorité à la Ville sur le rachat des fonds de commerce, et donc, le droit de remplacer les échoppes qui partent par celles de leur choix. Il conclut par :
« J’ai peur que la Place du Pont devienne la place Dupont. »
« On ne peut pas se loger dans le quartier »
Un autre homme est interrogé :
« Le problème c’est le marché sauvage, les dealers, les vendeurs de cigarettes. Il faut évacuer tous ces gens, cette population qui rôde au coude à coude. »
Les élus répondent à une question sur deux, Béatrice Vessiller se trompe de droit de préemption et parle du droit de préemption urbain alors qu’il s’agit de celui commercial. Grégory Doucet déclare que la répression ne doit pas être envisagée comme seule réponse :
« Je veux bien envoyer tous les jours des cars de CRS, mais les problèmes seront revenus le lendemain. »
Alors que l’animateur clôt la séance, d’autres voix fusent :
« Ce n’est pas un débat ! »
Ou :
« Vous n’avez donné la parole qu’à une seule femme ! »
Une dernière habitante prend la parole :
« Vous parlez beaucoup de répression, qu’en est-il de la répression des locations Airbnb ? On ne peut pas se loger dans le quartier, l’exemple de la conciergerie Luckey est criant ! »
Grégory Doucet met alors en avant la lutte contre l’habitat insalubre entreprise conjointement avec la Métropole, qui a racheté deux bâtiments rue Paul Bert et rue Moncey pour en faire des immeubles de logements sociaux.
De nombreux habitants ont quitté la réunion la mine soucieuse fâchés. Dans le brouhaha du départ, des critiques fusaient sur la courte durée du débat et les prises de paroles très longues des élus.
Retour sur le plan d’actions pour la place Gabriel Péri
La Ville de Lyon a organisé 9 ateliers de concertation entre janvier et mai 2021. 110 habitants y ont participé, selon la Ville. Chaque atelier avait un thème différent : habitat, bien vivre, hygiène… Le neuvième atelier, ajouté en dernière minute, s’interrogeait sur la place des femmes dans l’espace public. Sur 300 propositions, la Ville en a gardé 50 qui continueront d’être étudiées : des toilettes écologiques aux espaces d’expression participatifs en passant par les festivals de cinéma (lire quelques propositions en encadré).
Grégory Doucet a tout de suite mis en avant trois axes de prise en charge des problématiques de la place : intensifier la présence policière, intensifier la vidéoverbalisation et renforcer l’accompagnement social avec le CCAS.
A propos du marché à la sauvette entre l’arrêt de tram et la bouche de métro, la Ville prône l’accompagnement social comme première réponse à ce « marché de la misère ». Il va aussi être proposé aux vendeurs à la sauvette d’aller vendre leurs marchandises sur une brocante légale organisée une à deux fois par semaine dans la ville. Le lieu n’a pas encore été décidé.
Une maison de projet va être installée dans l’ancien poste de police pour recueillir la parole habitante. Une autre maison, cette fois-ci des services publics sera aussi implantée dans le quartier : elle aura pour but la médiation vers des services de santé et un accompagnement social et professionnel.
Pour ce qui est de l’hygiène, la Ville veut installer des urinoirs écologiques, ce qui a déjà été fait place Raspail, mais cette fois-ci il s’agira de toilettes mixtes installées sur les berges du Rhône.
« Les commerçants prendront sous leur aile les femmes »
A propos de la place des femmes dans l’espace public, Fanny Dubot, la maire du 7è a tenté de modérer ses récentes sorties :
« Il y a des femmes qui se sentent vulnérables et d’autres non sur la place Gabriel Péri. »
Cette phrase a été répétée plusieurs fois par la maire du 7è mais aussi Grégory Doucet.
Le maire et la maire du 7e ont fièrement brandi la solution pour lutter contre le harcèlement de rue, le dispositif « Angela ». Fanny Dubot a déclaré :
« Nous allons demander aux commerçants de protéger les femmes qui se font harceler. »
Gregory Doucet a déclaré quant à lui :
« Les commerçants prendront sous leur aile les femmes qui rencontrent des difficultés. »
Outre des expressions qui interrogent comme « protéger », « prendre sous son aile », des questions se posent sur la mise en pratiques : les commerçants sont-ils d’accord ? Comment faire après minuit ?
Le plan d’action « dessiné par la Ville de Lyon pour la place Gabriel Péri » doit désormais entrer dans une phase de concrétisation.
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