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[PODCAST] Vers une santé collective ?

L’épidémie de Covid-19 a ébranlé l’édifice de la santé comme un capital individuel à préserver ou à faire fructifier pour augmenter ses performances. L’échelle mondiale de la pandémie et les principes mêmes de la contagion nous ont brutalement rappelé les interdépendances dans lesquelles nous vivons et la vanité d’un humain déconnecté du reste du monde.

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[PODCAST] Vers une santé collective ?

Dans quelle communauté la santé s’inscrit-elle alors ? Comment pouvons-nous prendre soin collectivement ?

Cette question du soin sera abordée dans le cadre de cette session des « Mercredis de l’anthropocène » ce mercredi 30 juin de 18h30 à 19h30. A écouter en podcast.
La séance se déroulera, pour la première fois, en présentiel à Hôtel71, 71 quai Perrache, Lyon 2ème . Inscription gratuite obligatoire ici).

Retrouvez ci-dessous le texte de Maria Grace Salamanca Gonzales, docteure en philosophie dans le cadre d’une codirection entre l’Université de Lyon et le Programme Actores Sociales de la Flora Medicinal en México del Instituto Nacional de Antropología e Historia (Mexique).

Depuis plus d’un an, nous vivons une pandémie, où nous avons vu se multiplier devant l’inconnu, des textes, des vidéos, et d’autres productions pour décrire, expliquer, rendre intelligible et juger ce qui nous arrive. C’est pourquoi je propose cette question pour aborder le domaine de la santé publique : qu’est-ce qui compte dans une pandémie ?

Santé publique et santé collective

Présentement, les politiques de santé publique au niveau mondial ont comptabilisé les cas, les tests et les morts. L’objectif était clair, l’épidémiologie et la santé publique considérant une variable comme décisive : la saturation hospitalière.

Au regard de cette conception de la santé publique, on peut esquisser ce qu’est la santé collective selon trois axes :

  1. Si pour la santé publique, les variables déterminantes sont les indicateurs d’incidence de morbi-mortalité et les statistiques, pour la santé collective, ce qui compte ce sont les conditions socioculturelles du « vivre » : l’expérience vécue de la vie et de la mort.
  2. La santé publique privilégie une approche fonctionnaliste et positiviste des personnes et des groupes sociaux. La santé collective prend au sérieux les dimensions symboliques de la vie humaine et accorde une place à la création notamment celle des conditions du « vivre ».
  3. La santé publique renvoie à la figure d’assistanat de l’État : les personnes et les collectivités y sont interprétées comme incapables de prendre leurs propres décisions de vie et de mort. La santé collective, elle, cherche de nouvelles configurations des rapports humains.

La santé collective est un savoir disciplinaire né des « luttes pour le buen-vivir » [bien-vivre], initialement portées par les peuples originaires en Amérique Latine. Elle a vocation à transformer nos mondes en sociétés du care [prendre soin] : elle œuvre pour la société dans sa globalité, parce que défendre la vie à l’hôpital, ou défendre le « droit à la santé » implique aussi de défendre la vie hors hôpital.

Elle envisage de réduire la souffrance des malades et contrôler les maladies contrôlables, en se centrant sur la vie du malade dans toute sa complexité, et non seulement sur quelques indicateurs biochimiques de la maladie.

Que signifie la santé dans une vie digne d’être vécue ?

Sans se passer des connaissances biohégémoniques – c’est-à-dire majoritaires et construites sur des indicateurs biochimiques -, la santé collective implique une compréhension qui les intègre et les élargit. Elle s’accompagne de technologies pour la santé, en les contextualisant, en même temps qu’elle inclut aussi d’autres voix et d’autres intérêts pour construire ce que pourrait signifier la santé dans une vie digne d’être vécue.

La finalité de la santé collective est ainsi le bonheur d’une vie vécue, ce qui implique de diminuer les dommages évitables et de différer – autant que possible – la mort. Mais elle souligne la dimension symbolique du besoin, du dommage, et bien sûr, du remède. Parce que l’efficacité thérapeutique est indissociable des dynamiques symboliques socioculturelles : on ne prend pas des médicaments auxquels on ne croit pas, par exemple. La croyance dans le remède est une composante fondamentale de la clinique, comme le montrent les placebos.

En santé publique, la réponse sur ce qui compte dans une pandémie est centrée sur quelques indicateurs, tandis que dans une approche de santé collective, la vie et la santé même ne peuvent se limiter à une rationalité instrumentale. Il y a des aspects nodaux de la vie qui sont démesurés. Parce que la vie et la santé même sont démesurées.

« le soin est politique »Photo : Collages féministes Montréal

La santé collective, une approche intégrée de l’expérience humaine sur Terre

Si nous visons à comprendre les chemins de la vie et de la mort, avec pour objectif la diminution du dommage évitable, il n’y a pas de raison de s’en tenir à une analyse de la santé dissociée des conditions et de la production du « vivre ». La santé collective nous propose de réfléchir à la globalité du « vivre » humain, c’est-à-dire de relier la construction du diagnostic, le remède et la pratique médicale, avec l’exposition à des substances toxiques, l’alimentation, l’organisation du travail et l’éducation émotionnelle liée à la perception de la maladie et de la thérapeutique.

On peut également approcher la santé dans une perspective communautaire, ce qui implique d’accompagner les processus de réflexion collective sur des questions comme : quelles maladies subissons-nous ? Quels remèdes sont accessibles et à qui ? Qui nous soigne et où ? Quels sont nos problèmes ? Quelles sont leurs racines et les racines de ces racines ?

Ces diagnostics de santé communautaire recourent aux savoirs locaux et aux stratégies centenaires de soutien de la vie. Ils utilisent également les connaissances et ressources biomédicales, les sciences sociales et humaines et, dans mon expérience particulière, l’accompagnement esthétique par la théâtralisation de l’expérience subie d’être malade et soigné.

En plus de chercher à accepter la mortalité humaine et donc le dommage inévitable, la santé collective parie sur la globalité et la complexité qui caractérisent l’expérience d’être humain sur Terre.

« Approche collective et communautaire » du soin une conférence en direct le 30 juin de 18h30 à 19h30 puis disponible en podcast.

Avec :

Benjamin Cohadon et Donia Sahtel. Tous deux travaillent au sein du Village 2 santé, un centre de santé communautaire autogéré à Échirolles, en périphérie de Grenoble, qui tente de répondre aux inégalités sociales de santé du quartier.

Maria Grace Salamanca Gonzales. Docteure en philosophie dans le cadre d’une codirection entre l’Université de Lyon et le Programme Actores Sociales de la Flora Medicinal en México del Instituto Nacional de Antropología e Historia (Mexique). Elle est parallèlement praticienne des esthétiques décoloniales (sociodrame, théâtre de l’opprimé, théâtre playback et théâtre spontané).

Animation :

Bérénice Gagne. Issue d’un parcours de formation pluridisciplinaire entre littérature, sciences du langage et sciences politiques, elle est en veille sur l’Anthropocène pour l’École urbaine de Lyon depuis 2019.


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Photo : Robert Pyka

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