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A Villeurbanne, le Tonkin en mal de médecins

A deux pas du 6e arrondissement de Lyon, le quartier du Tonkin, à Villeurbanne, où vivent quelque 20 000 personnes, serait-il en passe de devenir un désert médical ? S’inquiétant de la baisse du nombre de médecins généralistes, un collectif d’habitants n’est pas loin de le penser et réclame l’ouverture d’une maison de santé pluridisciplinaire. Une solution qui n’a pas les faveurs de la municipalité.

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Le quartier du Tonkin, à Villeurbanne, compte 22 000 habitants.

Etienne Coudié, membre du collectif d’habitants « Tonkin Pai(x)sible », et Guillemette Guillermin, pharmacienne : « Le nombre de généralistes dans le quartier s’est réduit comme peau de chagrin au cours des dernières années, notamment dans sa partie nord. »Photo : Hervé Pupier/Rue89Lyon

Au Tonkin, à Villeurbanne, des médecins partis à la retraite sans être remplacés

« Chaque jour, parmi les clients de la pharmacie, deux ou trois personnes me demandent si je connais un généraliste acceptant de nouveaux patients. »

Dans son officine, au cœur du Tonkin à Villeurbanne, Guillemette Guillermin se livre, non à des comptes d’apothicaires, mais à un décompte  qu’elle juge préoccupant.

« Au cours des dernières années, déplore-t-elle, plusieurs médecins de ce secteur de Villeurbanne ont pris leur retraite sans être remplacés, deux autres ont rejoint la maison de santé « Clos Caroline » située aux Buers, à plusieurs kilomètres d’ici. La problématique devient aiguë, notamment dans la partie nord du quartier. »

En écho, Etienne Coudié, qui réside à deux pas de la pharmacie, assure :

« C’est devenu un vrai casse-tête de trouver un généraliste. On en recense seulement quatre sur l’ensemble du Tonkin où vivent plus de 20 000 habitants. Et certains d’entre eux ne sont pas loin de la retraite. Faute de médecin référent, ma fille a été contrainte de se rendre dans le 6e arrondissement de Lyon. »

Au regard de la raréfaction de l’offre de proximité,  le quartier est en passe de devenir un désert médical.

La clinique du Tonkin a quitté le quartier fin 2018

D’autant que depuis fin 2018, la clinique du Tonkin, « une structure qui était à taille humaine »‘, regrette Guillemette Guillermin, a fermé ses portes pour se fondre, « rationalisation des soins oblige »,  au sein de Médipôle, un centre hospitalier privé où ont été regroupés, près du périphérique, sept  établissements de santé.

« Il est certain que le métier attire de moins en moins. Les problèmes de sécurité n’incitent pas à s’installer ici.

Denis Leblanc, médecin généraliste.

Exerçant depuis 27 ans  à proximité du campus de la Doua, « j’ai succédé au médecin de ma grand-mère », confie-t-il, Denis Leblanc a-t-il le sentiment d’appartenir à une espèce en voie de disparition ?

À cette question,  le généraliste répond par une autre question :

« De quel périmètre parlons-nous ?  Les frontières du Tonkin, où j’ai longtemps habité, n’ont jamais été simples à déterminer. Mais il est certain que le métier attire de moins en moins et que plusieurs de mes confrères sont partis récemment sans être remplacés. Les problèmes de sécurité, la présence de dealers notamment, n’incitent pas à s’installer ici. »

Une question de sécurité et un effet repoussoir ?

Un constat partagé par son confrère et voisin, Stéphane Béréni :

« Selon mon décompte, le quartier a perdu au moins cinq médecins au cours des cinq dernières années et finit par être sous-médicalisé. Cette évolution renvoie à la frilosité des jeunes praticiens devant l’exercice libéral de  la profession. Leur formation ne les y prépare pas et les charges non-médicales sont dissuasives. Mais cette désaffection est aussi liée aux problèmes de délinquance.

En témoigne ma vaine recherche d’un successeur depuis quatre ans. J’ai enregistré plusieurs désistements accompagnés de réflexions du  type : « le centre-ville me correspond mieux’.  Il existe donc un problème plus spécifique d’attractivité pour le Tonkin, même si toutes les banlieues semblent concernées. »

Aide à l’installation des généralistes : la course à l’échalote

Après 40 ans d’exercice, Philippe Buffler a dû se résoudre, fin 2020, à fermer son cabinet sans avoir trouvé de repreneur. Crédit Hervé Pupier/Rue 89 Lyon

Philippe Buffer, quant à lui, a stoppé son activité fin 2020, sans avoir trouvé de repreneur (lire son témoignage livré par ailleurs à Rue89Lyon). Il donne un jugement nuancé :

« Même si le départ de la clinique et de plusieurs confrères ont effectivement créé un vide, l’accès aux soins m’apparaît encore possible pour tous. Un ‘effet repoussoir’ du quartier peut jouer mais à la marge. En revanche, les facilités d’installation offertes ici ou là ont des effets pervers. Il y a une concurrence malsaine et une forme de surenchère. »

Et de citer l’exemple récent d’une commune des environs de Vienne (Isère) ayant obtenu l’arrivée d’un médecin après lui avoir déroulé le tapis rouge.

Au-delà, il rappelle un élément de l’équation qui n’est pas propre au Tonkin :

« À la différence de ses devancières qui plaçaient l’activité professionnelle au-dessus de tout, la nouvelle génération n’est pas prête à sacrifier vie familiale et loisirs pour le travail. »

Une évolution prise en compte par Etienne Coudié. Membre du collectif d’habitants « Tonkin Pai(x)sible » né l’été dernier après la fusillade entre dealers (5 blessés) s’étant déroulée au pied de son immeuble, le retraité note :

« Les jeunes médecins ne veulent plus exercer en solo pour des raisons de confort de vie et de sécurité, en particulier au Tonkin.  La solution réside donc dans la création, avec le concours de la municipalité, d’une maison de santé pluridisciplinaire. A l’instar de celle fonctionnant aux Buers [autre quartier de Villeurbanne, ndl]. En novembre, nous avons adressé un courrier dans ce sens au maire de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael (PS), en soulignant que des locaux sont disponibles, par exemple en face de la pharmacie Guillermin.   Nous avons également interpellé l’Agence régionale de santé (ARS). »

Et de poursuivre :

« Quatre mois plus tard, nous avons été conviés à une visioconférence au cours de laquelle Agathe Fort, adjointe au maire (LFI) déléguée à la santé, et Pascale Colom, directrice de la santé publique de Villeurbanne, nous ont dit en substance être conscientes du problème mais dépourvues de solution. »

Pas de quoi satisfaire Etienne Coudié ni Guillemette Guillermin qui exhortent la municipalité à agir pour stopper la désertification  médicale du quartier.

A Villeurbanne, 12 médecins généralistes au Tonkin pour 20 000 habitants

 « Je comprends la position des habitants mais on pousse dans le même sens », affirme Agathe Fort.

Laquelle élue réfute tout fatalisme de la part des élus comme des services de la Ville face à une problématique bien réelle. Le secteur Charpennes-Tonkin compte ainsi, selon l’élue, une douzaine de généralistes pour 20 000 habitants environ. Et la « fragilité » d’accès aux soins concerne l’ensemble de Villeurbanne où sont recensés 119 praticiens pour 150 000 habitants, soit 79 pour 100 000 habitants.

Agathe Fort (LFI), adjointe au maire de villeurbanne déléguée à la santé : « Je comprends la position des habitants mais les services de la ville poussent dans le même sens. » Crédit DR/Rue 89 Lyon

Ce niveau insuffisant d’offre médicale a conduit, en mai 2018, l’Agence régionale de santé (ARS) à classer la seconde ville de l’agglomération en Zone d’action complémentaire (Zac). 

« Lors du mandat précédent (2014-2020), souligne l’adjointe Agnès Thouvenot, élue alors en charge de la Santé, cela avait ‘pesé’ pour obtenir ce zonage ». Il est synonyme de mesures incitatives de la part de l’assurance maladie et de l’ARS : soutien à l’installation, aides contractuelles et conventionnelles, exonérations fiscales, etc.

« En tant que collectivité, précise l’adjointe au maire, nous accompagnons les médecins dans leurs démarches : montage de dossier, recherche de locaux…  Nous les mettons en lien avec l’ARS et pouvons, au cas par cas, subventionner des travaux. »

A en croire Clément Prat, l’huile manque quelque peu dans les rouages. En compagnie d’un associé, cet ostéopathe lyonnais a ouvert, sur l’agglomération, une dizaine de lieux pluridisciplinaires (70 professionnels) dont le « pôle santé Museum Tête d’Or », à la lisière du Tonkin. Il s’étonne :

« Nous avons aménagé six cabinets médicaux. La mairie de Villeurbanne nous a demandé de réserver deux d’entre eux à des généralistes. Mais la recherche de locataires traîne en longueur depuis un an. Nous sommes renvoyés d’un interlocuteur à l’autre. Est-ce lié au fait qu’il s’agit d’un projet privé ? Nous n’attendons pas un soutien financier de la Ville mais qu’elle joue son rôle d’intermédiaire, comme ce fut par exemple le cas à Craponne où la commune nous a permis d’entrer en contact avec plusieurs jeunes praticiens. »

A cet égard, l’élue villeurbannaise Agathe Fort rappelle :

« Nous utilisons tous les leviers pour renforcer l’attractivité de nos quartiers mais nous sommes attachés à l’identité populaire de Villeurbanne. Les médecins s’inscrivent dans un cadre libéral, ils disposent de la pleine liberté d’installation et sont libres de juger le 6e arrondissement de Lyon plus attirant.

Le numérus clausus n’est pas de notre fait et la mise en concurrence des territoires ne joue pas en notre faveur. En outre, au regard de l’évolution des pratiques, on sait que lorsqu’un généraliste part à la retraite, deux doivent s’implanter pour retrouver le même nombre de consultations. » 

Un nouveau centre de soins d’ici fin 2021 ?

Sans oublier que la population de Villeurbanne continue d’augmenter : + 3 500 habitants au cours des cinq dernières années.

Le secteur Charpennes-Tonkin compte 12 généralistes pour un peu plus de 20 000 habitants.Photo : Hervé Pupier/Rue 89 Lyon

Pour améliorer la situation du Tonkin, l’élue écarte l’idée d’une maison de santé soutenue par Etienne Coudié et « son » collectif d’habitants.

« Aux Buers, observe-t-elle, le projet du « Clos Caroline » a été très chronophage puisque huit ans de concertation entre les professionnels et la Ville avaient été nécessaires avant d’aboutir. Ce n’est donc pas une réponse très adaptée à l’urgence des besoins. »

 En revanche, le classement en Zac (Zone d’action complémentaire) a attiré plusieurs investisseurs.

« Nous n’avons pas donné suite à toutes les sollicitations car certaines relevaient d’une démarche exclusivement lucrative », indique Agathe Fort.

Laquelle mentionne une opération en voie de finalisation : un centre de soins « Inwe’care »  qui devrait réunir, sur le boulevard Stalingrad, généralistes, spécialistes, infirmières, paramédicaux et dont l’ouverture est annoncée d’ici la fin de l’année.

Mais l’adjointe au maire ne cache pas une certaine inquiétude :

« Notre identification en tant que Zac commençait à porter ses fruits. Mais le zonage avait été établi par l’ARS pour une période de trois ans. Sa révision est en cours et au regard des implantations récentes, elle pourrait nous être défavorable et faire, par exemple, capoter l’installation de deux généralistes que nous accompagnons actuellement. »

22 000 habitants vivent au Tonkin qui compte 28% de logements sociaux.Photo : HP/Rue89Lyon

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Photo : HP

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