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Une ferme urbaine dans Lyon : « Si ça marche ici, on pourra le faire partout »

[Série] En juin 2020, Philippe Zerr a semé les premières pousses d’une agriculture au milieu des immeubles du quartier des États-Unis (Lyon 8e). Il souhaite que cette micro-ferme urbaine serve de « prototype » pour réussir à faire du maraîchage en ville de façon pérenne. Avec son associé, Nicolas Gauthier, ils incarnent un nouveau type de paysan. 

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Philippe Zerr

« Désolé, les derniers radis viennent de partir. » 

Jour de vente, ce mardi soir dans le quartier des États-Unis (Lyon 8e). Au pied des résidences Eugène-André et Cazeneuve, Philippe Zerr propose ses légumes aux habitants de passage. Chou Pak-choï, blettes, salades… À chaque fois, le maraîcher revient sur la spécificité de ses légumes et la manière de les préparer.

Une vente est organisée tous les mardis soir à la micro-ferme urbaine des Etats-Unis.Photo : PL/Rue89Lyon.

La particularité des lieux ? Tout a été cultivé à cinq mètres de là, sur une ancienne place bétonnée. Sur deux parcelles de terre couvrant, en tout, 600 m2, Nicolas Gauthier, associé de la micro-ferme urbaine, et Jennifer Pardieu, stagiaire, s’occupent de ce domaine agricole un peu particulier entouré de logements sociaux. À côté, les enfants jouent au foot dans le city-stade jouxtant le terrain agricole. 

« C’est bien que la micro-ferme soit là », commente Rayan, dix ans, entre deux courses avec ses copains. « Grâce à eux, j’ai appris que le ver de terre se nourrissait de peau de fruit et de légume pour faire de la bonne terre. » 

Entre deux ventes, Philippe Zerr sourit : « Je ne suis pas sûr que ce soit moi qui lui ai appris celle-là ». Depuis son installation en juin 2020, il travaille avec les enfants et adolescents du coin. Si certains sont curieux, d’autres, plus timides, passent juste pour récupérer le ballon, tombé dans le jardin. En règle générale, la cohabitation se passe plutôt bien avec eux, comme avec les habitants du quartier.

 « Nous n’avons jamais remarqué de dégradations sur le terrain », constate Léna Monfort, qui suit ce projet pour Grand Lyon Habitat. 

Le bailleur social, qui possède 80 % des logements sociaux du boulevard du quartier des Etats-Unis, met à disposition le terrain. C’est lui qui a monté le projet avec l’entreprise Place au terreau. Celui-ci est à présent suivi par le bureau d’étude le Grand romanesco, structure associée à Place au terreau. (lire par ailleurs).

Des prix pour la clientèle du quartier des États-Unis

Au compte goutte, les clients se succèdent. 

« C’est bien ce qu’ils font pour le quartier, commente Matei Irini, une habitante des États-Unis, venue faire les courses avec ses légumes. Les prix ne sont pas très chers. » 

Derrière son stand, Philippe Zerr a conscience que cet aspect est important. 

« C’est aussi une interface avec le quartier, rappelle-t-il. Si les prix devenaient trop élevés, cela pourrait être mal compris. » 

Le maraîcher Philippe Zer s’est reconverti en 2016.Photo : PL/Rue89Lyon.

Chemise à carreau, cheveux un peu ébouriffés, cet ancien de l’audiovisuel s’est reconverti dans le maraîchage en 2016. Il s’agit de sa troisième expérience en agriculture urbaine avec notamment à son actif une première activité sur un toit. 

« Je ne suis pas le seul du milieu artistique à aller vers le maraîchage, sourit-il. On n’est pas trop dépaysé dans le milieu. »

Selon lui, la moitié de ses clients viennent des 470 logements entourant sa micro-ferme urbaine. L’autre partie vient de Jean-Macé ou Monplaisir. « Globalement, ce sont plutôt des gens du coin. »

Avec sa production, il a donné un bon coup de verdure aux lieux. Mais pas que.

« Jusqu’à l’année dernière, ce lieu était une cour sans usage, bétonnée, reprend Léna Monfort. C’était plutôt propice au deal ou au squat. » 

Dans le cadre de l’initiative 8e cèdre (lire par ailleurs), les 1600 m2 ont été transformés. Adieu le parking, bonjour les choux : lors de la restructuration menée par Grand lyon Habitat, l’enrobé a été arraché.

« Toute la terre n’était pas polluée de la même manière, se remémore Olivier Menahem, directeur général de Place au terreau et cofondateur du bureau d’étude le Grand romanesco. De la terre végétale a été remise sur les actuelles parcelles, puis une bonne épaisseur de compost. »

À côté de la micro-ferme urbaine, une parcelle est destinée à des ateliers avec l’entreprise Place au terreau. Un dernier lieu, rempli de coquelicots, est en train d’être dépollué. 

Pour une agriculture urbaine rentable à Lyon

À 38 ans, le nouveau producteur Philippe Zerr s’est fixé un objectif en s’installant : montrer que le maraîchage urbain peut être pérenne. Contacté par Place au terreau et Grand Lyon habitat pour intégrer 8e cèdre, ce porteur de projet a pour objectif de dégager l’équivalent d’un temps plein au Smic pour 1000 m2 de terrain via la vente directe à des clients de marchés, ou à de plus grandes structures comme Le Marché lyonnais. 

« Si j’arrive à montrer que ça marche ici, ça veut dire qu’on pourra le faire de partout », assure Philippe Zerr. 

Comme il n’occupe que 600 m2 de terrain, il cherche à dégager, via la vente, l’équivalent du salaire d’une personne travaille aux deux tiers d’un temps plein.

En parallèle, l’expert en maraîchage urbain fait un peu de conseil, des animations pour une école voisine, organise, aussi pour Place au terreau, la vente de fleurs sur la parcelle en voie de dépollution et fait un peu de culture « in-door ».

« Philippe avait déjà, du fait de ses précédentes expériences, un réseau et un modèle économique sérieux, reprend Olivier Menahem, directeur général de Place au Terreau et cofondateur du bureau d’étude le grand Romanesco. « De notre côté, on essaye de lui ramener, via nos activités, un public pour son marché. »

Le projet se fonde aujourd’hui sur ce modèle économique. Mais l’objectif est bien de laisser les activités annexes de côté pour ne vivre que du maraîchage. Ce qui n’est pas encore le cas.

La micro-ferme urbaine du quartier les États-Unis (Lyon 8e)Photo : Photo PL/Rue89Lyon

Néanmoins, le nouveau paysan se rapproche de son but. Il observe l’évolution des ventes, et s’en réjouit. 

« On n’est pas très loin des objectifs annuels », pour l’instant. Optimiste, il espère atteindre son objectif cette année : dégager les deux tiers d’un Smic via l’exploitation de ses 600 m2 de parcelle dans l’année. Pour pousser le concept, il faudra développer d’autres parcelles potentiellement dans d’autres projets (lire par ailleurs). Cela étant, cette rentabilité économique reste une performance en soi. En agriculture « classique », il faut, en général, au moins un hectare pour dégager un Smic pour un maraîcher.

Les radis plus rentables que les courges

La clef pour parvenir à cela ? La diversité des légumes d’abord. Salades, légumes en bottes, betteraves, blettes, des oignons nouveaux, chou pak-choï, coriandre, ciboulette, etc. les jeunes producteurs ont une grande diversité de pieds. L’endroit ressemble plus à un grand jardin qu’à une production classique maraîchère.

Le choix de ces derniers est ensuite essentiel. « L’idée est d’avoir des légumes qui demandent beaucoup de travail au kilo », indique Philippe Zerr. Comprenez : il ne s’agit pas d’avoir des produits mettant du temps à sortir de terre et que l’on regarde pousser. Il faut qu’ils puissent être récoltés plusieurs fois par an et, donc, que l’on travaille régulièrement dessus. Exemple : le maraîcher privilégie les radis, pouvant sortir de terre quatre à cinq fois par an plutôt que des courges, ne pouvant être ramassées qu’une fois par an. 

Vient ensuite une partie plus technique. Sans capacité d’investissement importante, l’équipe reste sur des outils plus petits et pratiques. « Par exemple, on fait du « binage » régulièrement indique Nicolas Gauthier, travaillant avec Philippe Zerr. Cela nous permet d’éviter l’arrivée des mauvaises herbes. »

Ex-consultant dans l’optimisation des coûts de production, ce dernier a laissé la veste et la chemise bien repassée au placard pour les vêtements des champs. À 34 ans, il fait ressortir ses tatouages et traîne ses pieds dans la terre, sans regret pour la vie de bureau. Il est actuellement en « stage test » avec Philippe Zerr. Un statut un peu particulier qui devrait lui permettre de devenir prochainement pleinement son associé.

Dans le détail, il revient sur l’intérêt de travailler aussi en pépinière. « On n’a à peu près 50% des pieds qui poussent directement ici et 50% en pépinière », commente-t-il. 

Grâce à cela, une pousse peut commencer en pépinière quand l’une est en train de se développer sur le terrain. Une manière de gagner du temps et d’augmenter la production.

Seule contrainte de ce procédé : les maraîchers, bien qu’ils assurent suivre les préceptes de l’agriculture biologique, ne peuvent demander la fameuse certification « bio » du fait du passage. Celle-ci ne peut être donnée quand la plantation ne se fait pas directement en terre. Or, contrairement aux apparences, une partie des plants commencent à pousser « hors-sol » (en pépinière) avant d’être remis en terre.

Nicolas Gauthier a rejoint l’équipe de Philippe Zerr. Crédit : PL/Rue89Lyon.

À la recherche de la semaine de 35 heures

Grâce à cette optimisation de leur temps de travail, les deux trentenaires espèrent toucher un salaire tout en respectant une semaine de 35 h. Un sacré défi quand on connaît les difficultés connues par le monde agricole rural. 

« Il y a certains paysans pour lesquels la situation est presque inhumaine, commente Jennifer Pardieu, leur stagiaire, en formation au lycée horticole de Dardilly-Écully. C’est pour ça que je suis venu voir comment ça se passait. C’est intéressant. »

Pour y arriver, tous les gestes sont comptés, afin d’éviter les déplacements et travailler de la façon la plus efficace possible. Un travail astreignant et un peu précaire mais dans lesquels les deux nouveaux agriculteurs se retrouvent.

 « Dans le milieu artistique, la précarité, on connaît » », plaisante Philippe Zerr. 

L’entrepreneur ne se rémunère pas encore totalement. « On est dans une démarche d’entrepreneur classique, on n’est pas rémunéré dès le début. »

Tant que le maraîcher n’aura pas la surface nécessaire pour dégager plusieurs salaires, il ne pourra pas se rémunérer totalement. Comme souvent en matière d’agriculture urbaine, et d’autant plus dans la ville centre, la pénurie de foncier est montrée du doigt.

« Mais en vrai, ce qui manque ce n’est pas vraiment pas le foncier, assure Philippe Zerr. Des parcelles comme les nôtres ne sont pas exceptionnellement grandes. Il y en a des centaine dans la Métropole et encore, je ne parle pas de la place disponible sur les toits ! Ce qui est compliqué, c’est d’avoir le feu vert pour rendre disponible ces espaces. »

Cependant, il se montre confiant pour la suite. Il suit actuellement plusieurs « pistes sérieuses ». « Végétaliser un terrain, sans s’occuper de l’entretien, ça peut être intéressant pour certains », constate-t-il.

Micro-ferme urbaine à Lyon : des avantages insoupçonnés

De quoi aider à croire dans ce type d’agriculture. D’autant que, derrière ses difficultés, l’agriculture urbaine possède certains avantages insoupçonnés. 

Par rapport à une production « classique » en milieu rural, cette dernière est moins soumise aux forts aléas climatiques. Si l’impact de leur météo est rapidement visible sur leur, plus petite, production, cette dernière a, par exemple, moins souffert des épisodes de grêles de ce printemps. De même, l’eau reste accessible en permanence. Alors que certains bétonnent des zones agricoles dans l’ouest lyonnais, cela pourrait donner des idées à d’autres partisans d’un retour à la terre en ville. 

« Sur les prochaines années, beaucoup de projets vont naître, assure Olivier Menahem, de Place au terreau. Clairement, il y a un marché. Plutôt dans les projets de réaménagement. »

De quoi donner un peu d’espoir aux adeptes de la verdure en ville et aux maraîchers désirant tirer un salaire complet de cette activité. Sous le béton, il semble encore possible de faire pousser de nouvelles idées. 

La micro-ferme du quartier les États-Unis dans le 8ème arrondissement de Lyon. Crédit Photo PL/Rue89Lyon

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