Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Campement de migrants à la Croix-Rousse : le retour de la realpolitik à la Métropole de Lyon

Après une période de mise à l’abri systématique, la Métropole de Lyon remet à la rue, depuis début mai, les jeunes migrants dont la minorité est contestée. Une trentaine d’entre eux ont trouvé refuge dans un campement dressé sur les pelouses d’un square de la Croix-Rousse (4ème arr.).

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Lyon migrants

Sur le plateau de la Croix-Rousse (4ème arr. de Lyon), le square du général Gustave Ferrié a des allures de camping improvisé. Depuis plus d’une semaine, des jeunes migrants originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne y dorment dans des tentes, faute d’hébergement.

La première nuit, vendredi 28 mai, il y avait 16 jeunes étrangers dans ce campement dressé dans le square. Ce lundi 7 juin, ils sont 27 à dormir dans les tentes, et 20 logés à droite et à gauche chez des habitant·es de Lyon. Chaque jour qui passe voit une nouvelle tente s’ajouter aux autres.

Le campement improvisé dans le square du général Ferrié, à la Croix-Rousse (Lyon 4ème).Photo : OM/Rue89Lyon

Pourtant, à l’automne 2020, la Métropole de Lyon dirigée par les écologistes et la gauche avait assuré la mise à l’abri systématique des jeunes migrants, quelque soit leur statut juridique.

Depuis le 3 mai 2021, la collectivité est revenue sur cette pratique et remet à la rue tous les jeunes dont la minorité a été contestée lors de l’évaluation assurée par l’association Forum réfugiés, qu’ils fassent appel devant le juge des enfants ou pas. Les organisations qui soutiennent ces jeunes – le collectif de soutien Maurice Scève, le collectif AMIE (Accompagnement des mineurs isolés étrangers), La Cimade, le Secours populaire… – ont donc fait le choix de ce camping improvisé, pour mettre à l’abri ces jeunes et alerter sur leur situation.

« J’ai dormi à la gare et après ici »

« Je suis né en 2005 en Guinée Conakry. Je ne suis jamais allé à l’école. En 2021, je suis parti avec un ami mais je l’ai perdu. On est allés au Mali puis à Marseille et à Lyon. J’ai dormi à la gare et après ici. »

Youssouf (prénom d’emprunt) déclare avoir 16 ans. Avec ses traits enfantins, sa petite taille, sa voix fluette et son sourire hésitant, on lui en donne facilement moins. Pourtant, après un entretien avec l’association Forum réfugiés, il a été décidé que Youssouf ne pouvait être mineur. L’adolescent s’est donc retrouvé dans les rues de Lyon jusqu’à être hébergé par une habitante.

Aujourd’hui, Youssouf dort sous une toile de tente dans un square public de la deuxième agglomération de France en attendant que son recours auprès du juge des enfants aboutisse.

En expliquant son parcours, le garçon serre précieusement sur ses genoux des polycopiés froissés des cours de français dispensés aux jeunes par le Secours populaire. Ce soir encore, il révisera ses leçons sur un banc public, entre les toiles de tente, les packs d’eau entassés et les caisses de nourriture déposée par les habitant·es du quartier.

Comme Youssouf, les jeunes qui dorment dans ce square, en grande majorité originaires de Guinée, ont vu leur minorité contestée.

Youssouf révise ses leçons de français à quelques pas de sa tente.Photo : OM/Rue89Lyon

La « Métropole hospitalière »

Cet automne, la Métropole de Lyon avait fait le choix de prendre quand même en charge ces jeunes migrants, peu importe leur statut juridique flou.

Cette politique a été mise en place au moment de l’expulsion des derniers occupants du squat Maurice Scève. La Métropole de Lyon s’était engagée à héberger tous les jeunes migrants, y compris ceux dont la minorité n’avait pas été reconnue.

Renaud Payre, le vice-président de la Métropole en charge du logement, lançait alors le concept de « Métropole hospitalière » qui tranchait avec les années Collomb et Kimelfeld (voir infographie ci-dessous) :

« La fermeture de ce squat est un premier signal pour aller vers une autre culture de l’hospitalité, une autre politique de l’accueil des réfugiés. La Métropole doit être accueillante. »

Le 2 novembre 2020, la Métropole de Lyon a également inauguré « La Station ». Situé dans le 3ème arrondissement de Lyon, ce lieu géré par l’association Le Mas peut accueillir jusqu’à 52 jeunes migrants reconnus majeurs, en procédure de recours ou non. Depuis son ouverture, 91 jeunes sont passés par La Station d’après les chiffres de la Métropole. La majorité d’entre eux ont vu leurs recours aboutir et ont ensuite été pris en charge par les services de la protection de l’enfance.

Le 26 avril dernier, la Métropole de Lyon a voté un budget de 8,6 millions d’euros pour faire de la deuxième agglomération de France « une Métropole accueillante et hospitalière » (lire encadré). Dans le dossier de presse correspondant, Renaud Payre annonçait des actions fortes :

« Nous nous sommes engagés dès les premiers jours du mandat pour répondre à l’urgence sociale exacerbée par la crise sanitaire. La sortie du squat Scève ou encore la mise à l’abri de plus de 800 personnes en sont des exemples concrets. Faire de notre territoire une Métropole accueillante et hospitalière, c’est renforcer nos capacités d’accueil de tous et toutes dans la dignité. »

Face à un « appel d’air », la Métropole de Lyon fait machine arrière

Depuis le 3 mai, l’exécutif écologiste fait machine arrière, débordé par le nombre de nouvelles arrivées de migrants qui se disent mineurs.

D’après les chiffres que la Métropole de Lyon a fourni à Rue89Lyon, 560 jeunes migrants ont ainsi été mis à l’abri par la collectivité (dans des hôtels principalement, où ils se trouvent toujours) entre le 17 octobre 2020 et le 3 mai 2021. Rien à voir avec le premier confinement, où, en raison de la fermeture des frontières, il n’y avait eu que 70 jeunes majeurs à héberger, explique-t-on au cabinet du président de la Métropole, Bruno Bernard (EELV) :

« Cet appel d’air est normal sur la métropole de Lyon. Il faut ouvrir d’autres lieux comme La Station, mais avec le soutien de l’État et de la Ville de Lyon. Cette question ne peut pas être travaillée qu’à l’échelle de la Métropole de Lyon. »

Cette argument de l’appel d’air, que l’on retrouvait chez Gérard Collomb, surprend pour une Métropole dirigé par une majorité écologiste et de gauche. La décision forte de cette mise à l’abri systématique n’aura pas fait long feu.

Une semaine après avoir voté cette délibération « pour une métropole accueillante et hospitalière », ladite Métropole a estimé que finalement, les jeunes migrants reconnus majeurs à la suite de l’évaluation conduite par Forum réfugiés doivent être remis à la rue et pris en charge par les services de l’Etat, compétent en matière d’hébergement d’urgence.

Une mise à l’abri systématique durant les confinements

Début mai, lorsque le cabinet de la Métropole de Lyon a annoncé cette nouvelle aux collectifs et associations, il leur a également fourni quelques chiffres : au premier trimestre 2021, entre 16 et 19 % des jeunes migrants ont été reconnus mineurs, contre 29 % en 2020 et 50 % en 2019.

Or, s’ils sont majeurs, l’hébergement se fait beaucoup plus compliqué, voire illusoire pour ces jeunes, reconnaît-on au cabinet de la Métropole :

« On veut travailler avec l’État pour une poursuite de prise en charge. On connaît la problématique de l’hébergement d’urgence sur notre territoire. Ces jeunes hommes isolés ne sont pas prioritaires, il y a plus d’un an et demi d’attente pour une place d’hébergement. »

Au cabinet, on précise surtout, aujourd’hui, que cette mise à l’abri systématique des jeunes migrants à l’hôtel, initiée fin octobre 2020 par la Métropole, n’était prévue que le « temps de la crise sanitaire » :

« Au deuxième confinement, le président de la Métropole de Lyon a décidé de mettre à l’abri systématiquement ces jeunes jusqu’au déconfinement. Il n’y a pas eu de remise à la rue entre le deuxième et le troisième confinement. Cette dynamique est très exceptionnelle, elle est unique en France. »

A noter que, dans ce contexte inédit de crise sanitaire, dès le printemps 2020, la justice avait enjoint des départements à héberger les jeunes dont la minorité avait été contestée, jusqu’à la réponse du juge des enfants ou la fin de l’état d’urgence sanitaire si celle-ci arrivait avant.

Ces jeunes migrants, dont la minorité a été contestée, sont en attente d’une réponse du juge des enfants dans le jardin du général Ferrié, Lyon 4ème.Photo : OM/Rue89Lyon

La Métropole veut refiler les bébés à la préfecture

Contactée par Rue89Lyon, la préfecture du Rhône explique avoir lancé avec les collectivités en fin de semaine dernière un diagnostic social auprès des jeunes du square Ferrié. Pour elle, la situation est claire juridiquement parlant : la présomption de minorité s’impose jusqu’à ce que le recours formulé par les jeunes ait reçu une réponse.

Or, le délai moyen d‘un recours auprès du Juge des enfants est de trois mois. Pendant ce laps de temps, la préfecture affirme que c’est à la Métropole de Lyon qu’il incombe de s’occuper de ces jeunes, conformément à ses compétences juridiques.

« Si les jeunes sont reconnus majeurs par une décision de justice, on les prendra en charge », affirme la préfecture.

Dans le cas contraire, ce sera aux services métropolitains de la protection de l’enfance de s’en occuper.

En attendant, la préfecture n’hébergera pas ces jeunes migrants. Pour le moment, le campement improvisé du square Ferrié semble toléré par les habitant·es comme par les forces de l’ordre.

« Ils se renvoient la balle de la même manière qu’ils le font au niveau politique »

Les collectifs de soutien à ces jeunes migrants craignent un retour à la situation de l’été 2018, où de nombreux jeunes dont la minorité avait été contestée dormaient dans les rues de Lyon. Cette situation avait conduit à l’ouverture du squat Maurice Scève, expulsé fin octobre 2020 et dont les occupants ont été relogés.

Les militant·es, galvanisé·es par cette décision de mise à l’abri systématique prise par la Métropole de Lyon à l’automne 2020, avaient placé beaucoup d’espoir dans ce nouvel exécutif métropolitain. Aujourd’hui, épuisé·es, celles-ci et ceux-là regardent d’un air las leurs jeunes protégés monter les toiles de tente, s’organiser pour prendre des douches à tour de rôle et bûcher leurs cours de français tant bien que mal, entassés sur un banc public.

La déception est grande pour Sébastien, du collectif de soutien aux migrants de Maurice Scève :

« Les élus sont passés pour dire qu’ils nous soutiennent. Ils discutent beaucoup mais ils se renvoient la balle entre la Métropole et la mairie. Par exemple, le club de foot à côté voudrait bien prêter ses douches aux jeunes, mais les douches appartiennent à la mairie du 4ème qui, elle, veut l’accord de la mairie centrale… »

« Ils se renvoient la balle de la même manière qu’ils le font au niveau politique », soupire Benjamin, du collectif AMIE.

Pour eux, il faudrait d’autres dispositifs comme La Station, au moins deux ou trois pour suivre le rythme des arrivées.

Ce n’est pas si facile, rétorque le cabinet de la Métropole de Lyon qui sort la calculette :

« Ce n’est pas des petites sommes. Pour La Station par exemple, la Métropole débourse 500 000 euros par an. C’est un vrai choix politique. »

Silence radio dans les rangs de gauche de la majorité métropolitaine

Que va-t-il advenir ce campement improvisé ? En une semaine, le nombre de tentes a presque doublé. Qu’en sera-t-il dans trois mois, date à la quelle les premier recours formulés par ces jeunes devraient théoriquement avoir reçu une réponse ? A cette question, comme à celle de savoir ce que vont également devenir les 560 jeunes mis à l’abri dans des hôtels avant le 3 mai, la Métropole de Lyon se contente de répondre, laconique :

« On y travaille. »

Dans les rangs des élu·es métropolitain·es de gauche et écologistes, c’est silence radio. D’après les collectifs, plusieurs d’entre eux se sont quand même fendus d’une visite au jardin du général Ferrié pour les assurer de leur soutien.

Nathalie Perrin-Gilbert, aujourd’hui adjointe au maire de Lyon à la culture, avait largement œuvré pour la prise en charge de ces jeunes migrants quand elle était maire du 1er arrondissement de Lyon et qu’elle siégeait dans l’opposition à la Métropole. En avril dernier, elle affirmait à Rue89Lyon que les remises à la rue étaient la ligne rouge à ne pas franchir par le nouvel exécutif métropolitain (lire ici).

« Pour l’instant, il y a une mise à l’abri. Ça pourrait être remis en question, ce que Lyon en commun trouve inacceptable. »

Pourtant, ce lundi 7 juin, c’est au moins 29 jeunes qui ont déjà été remis à la rue et dorment désormais dans le square du général Ferrié. Sans compter ceux hébergés par des habitant·es.

Sollicitée à ce sujet par Rue89Lyon, Nathalie Perrin-Gilbert n’a pas souhaité s’exprimer.

A deux pas du jardin du général Ferrié, les collectifs lorgnent un bâtiment vide depuis sept ans, qui pourrait être mis à disposition par un conventionnement associatif comme ça a été le cas d’un squat du 3ème arrondissement de Lyon.

En attendant, cette nuit, Youssouf et les autres dormiront encore sous la tente dans ce nouveau squat à ciel ouvert à Lyon.


#Bruno Bernard

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

À lire ensuite


Photo : H.Haddouche/Rue89LyonilMunicipal10-07-2020_H.Haddouche-Rue89-9

Photo : GB/Rue89Lyon

Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile