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Dans l’Ouest lyonnais, des mobilisations fleurissent contre la bétonisation des terres agricoles

[Série] Dans la campagne de l’Ouest lyonnais,

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Autoroute A89

une bataille se joue entre deux visions du développement d’un territoire. Plusieurs collectifs s’opposent aux projets d’artificialisation des terres agricoles. En face, les élus jouent la carte de l’emploi pour expliquer ces choix.

Des champs, des vaches et des chèvres. Dans la commune de Les Sauvages, où cohabitent une vingtaine de producteurs, le décor d’une campagne tranquille inspire le calme. Ici, le chant des oiseaux est roi, loin de la furie de l’autoroute A89, à une quinzaine de kilomètres. Au travail, Sylvain Morel, habitant des lieux, aimerait bien que cela reste le cas.

« On a une belle nature, on se bat pour la préserver », marque-t-il.

Dans ce village de 650 habitants situé dans l’Ouest lyonnais, à une cinquantaine de kilomètres de Lyon, cet éleveur de vaches et chèvres est un membre actif de trois regroupements : l’association Quicury, le collectif des paysans du Val-de-Turdine et l’association contre le projet de route de Les Sauvages à l’A89 (Acrosa).

« Et ce n’est pas parce que j’ai du temps, lâche-t-il. C’est parce que je veux préserver mon environnement. » 

Les associations Quicury et Acrosa s’opposent chacune à un projet urbain spécifique. Mais toutes ont un but commun : protéger cette campagne de l’Ouest lyonnais de projets d’artificialisation des sols.

A89 : le début de grands changements pour l’Ouest lyonnais

Pour comprendre la situation, il faut légèrement rembobiner. En 2013, la dernière portion de l’autoroute A89 est inaugurée à l’ouest du département du Rhône. Son mot d’ordre ? « A89, une autoroute qui nous rapproche. » Permettant de se rendre en campagne en vingt minutes de Lyon, elle est vue par les élus comme un moyen parfait de promouvoir l’économie du territoire.

« Une autoroute sans l’attractivité économique du territoire qui va avec, ce serait la double peine »

commente à Rue89Lyon Bruno Peylachon (divers droite) maire de Tarare, conseiller départemental di RHône et vice-président de la communauté d’agglomération de l’ouest rhodanien (COR), en charge du développement économique.

Côté pile : des emplois dans une zone de l’Ouest lyonnais souffrant d’un fort taux de chômage depuis les débuts de la désindustrialisation. Côté face : des projets menaçant des hectares de terres agricoles et détruisant les paysages de Saint-Romain-de-Popey, Les Olmes, Sarcey et Les Sauvages. De plus, du fait de cette activité, ces projets risquent d’amener un nombre importants de camions. 

L’autoroute A89 a apporté beaucoup de changements à l’ouest de Lyon. Photo PL/Rue89Lyon.

Rapidement, les habitants ont vu les conséquences de l’arrivée et des modifications du territoire avec l’installation des laboratoires Boiron. Grand bâtiment logistique blanc et gris de 18 000 m2, haut d’une quinzaine de mètres, il est venu se poser au milieu d’un territoire de verdure en 2019.

Pour empêcher que ce type d’installation se reproduise, plusieurs mouvements se sont organisés. L’association « Collectif Quicury, prenons soin de notre territoire », du nom d’un lieu-dit de Sarcey menacé par l’installation d’une zone logistique, a été créé à la suite de l’installation de Boiron, en mai 2019.

« Les quatre premiers mois, notre travail a surtout été d’informer les habitants, reprend Alain Chizat, membre de l’association Quicury. Personne n’y connaissait rien. » 

À la suite de Quicury, un collectif paysan s’est constitué début 2020. D’abord nommé « collectif paysan contre le projet de zone logistique de l’ouest rhodanien » (Ozlor), il a été rebaptisé « collectif paysan du Val-de-Turdine ». Une manière de montrer que ces derniers ne sont pas seulement « contre » un projet industriel, mais défendent aussi une autre vision du territoire, plus agricole. Florence Subrin, vigneronne du domaine le Crêt de Bine, en fait partie. Pour elle, la présence de Boiron est centrale dans la mobilisation :

« Pourquoi on n’exproprie pas Boiron qui a constitué une réserve foncière de 16 ha alors que des paysans cherchent des terrains ? Les élus écoutent une grande entreprise comme Boiron mais pas les paysans locaux. »

L’installation de la plateforme logistique des laboratoires Boiron a surpris beaucoup d’habitants de l’Ouest lyonnais. Photo LB/Rue89Lyon.

« Nous ne voulons pas garder trois morceaux de verdure au milieu des camions »

Outre la question de Boiron, les collectifs d’opposants sont surtout focalisés sur les projets d’urbanisation du syndicat mixte d’études d’aménagement et de développement économique de l’Ouest rhodanien, le Smadeor. Regroupant les deux communautés de communes, la COR et la CCPA (communauté de communes des pays de l’Arbresle), cette entité cherche à développer une zone d’activité de 47 ha. Un temps, ID logistics devait s’installer sur place sur une zone de 20 ha. L’entreprise est finalement allée voir ailleurs. 

Actuellement, Quicury et le collectif paysan se battent particulièrement contre la construction d’une plateforme logistique de 20 000 m2. Portée par le promoteur Argan, elle est destinée à la Smad, entreprise spécialisée dans la dialyse. 

Une photo d’une partie du terrain que devrait occuper la Smad en mai 2020.Photo : PL/Rue89Lyon.

À la clef encore une fois, 22 emplois mais aussi la destruction de lieux de vies de nombreuses espèces comme l’oiseau le petit gravelot, le triton crêté, etc. Plus largement, c’est un territoire dans son ensemble qui serait détruit. 

« Les élus locaux veulent qu’on devienne comme Lentilly avec de grosses entreprises, de grosses taxes foncières et de grosses écoles. Nous, nous revendiquons une vision alternative du développement du territoire basée sur l’agriculture, l’autonomie alimentaire et le tourisme, explique Florence Subrin, vigneronne du domaine le Crêt de Bine, qui fait partie du collectif paysan. Nous ne voulons pas être des paysagistes du territoire qui gardent trois morceaux de verdure au milieu des camions ».

Difficile d’imaginer le développement d’un tourisme viticole, par exemple, dans un paysage parsemé de bâtiments gris sur son territoire et sur les terres environnantes. 

A l’automne 2020, les opposants ont semé du blé sur la parcelle où pourrait s’implanter la Smad. Photo de mai 2021Photo : LB/Rue89Lyon.

Un projet de route entre l’A89 et Amplepluis  

Un peu plus à l’ouest, c’est contre des projets similaires que se mobilise l’association contre le projet de route qui passerait par Les Sauvages. Depuis 2013, l’association se bat contre la construction d’une route départementale qui permettrait de faire la liaison entre l’A89 et Amplepuis. Cette dernière pourrait emprunter la route « Napoléon », ancienne voie mise en place sous l’empire, détruisant au passage un écosystème important. 

« 30 à 40 hectares de terres agricoles pourraient disparaître sur les Sauvages, selon Sylvain Morel, membre actif de l’association. Cela va conduire à des expropriations et sûrement couper des fermes en deux. Tout ça alors que nous sommes une vingtaine de producteurs sur la commune. » 

De même, le projet de carrière à Joux, situé à l’ouest de Tarare, pose problème (lire par ailleurs). 

Malgré l’avis défavorable d’une enquête publique en 2015, le projet de route est revenu sur le devant de la scène avec l’arrivée de Patrice Verchère (LR), à la tête de la COR. Ancien député, ce dernier a remplacé l’ancien ministre Michel Mercier (UDI), déjà défenseur de cette route, à la présidence de la COR. 

En jeu pour les tenants du projet : développer économiquement la zone, mais aussi alléger la circulation dans Tarare. L’ancienne capitale textile est saturée par la circulation de poids lourds en tout genre. Pourtant, le maire de la ville, Bruno Peylachon, également bras droit de Patrice Verchère à la COR, est revenu sur ce projet. Pour lui, cette dernière n’est plus d’actualité. 

« Je suis lucide. Il paraît certain que l’État ne financera pas ce projet et ce n’est pas les collectivités qui mettront les 15 millions manquants, précise-t-il. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème de circulation. Ma position se veut seulement pragmatique. » 

Selon l’élu, les trois tracés à l’étude n’ont également pas apporté satisfaction. Un étonnant point de désaccord avec Patrice Verchère (LR), président de la COR. Pour lui, ce projet reste central pour le développement économique du nord du territoire.

Deux visions opposées du territoire

Concernant les projets portés par le Smadeor, Bruno Peylachon s’oppose à la vision défendue par les collectifs. Président du syndicat mixte depuis 2014, il se pose comme le défenseur « d’un territoire équilibré » avec du maraîchage, de l’agriculture mais aussi des emplois industriels.

« C’est un tout, il n’y a pas qu’une seule option », veut-il appuyer.

Selon lui, l’artificialisation des terres serait plus liée aux logements qu’à l’activité économique. Il insiste aussi sur le fait que le projet ne fera que 47 hectares.

« Après, de toute façon, nous n’aurons plus de place ».

Un élément qui ne convainc pas l’association Quicury. Cette dernière estime que ce chiffre pourrait monter jusqu’à 70 ha. Elle pointe ainsi des projets parallèles, comme l’extension d’un Intermarché sur 4 ha, sur la commune de Les Olmes.

Des membres de Quicury et du collectif paysan en lutte contre les projets de bétonisation dans l’ouest lyonnais lors d’une réunion en mai 2020. PL/Rue89Lyon

Quicury comme le collectif paysan s’agacent d’une vision centrée sur l’emploi industriel. 

« On ne lutte pas contre le développement économique, mais contre l’apport de zones logistiques », commente Sylvain Morel. 

Pour lui, le secteur agricole peut être le fournisseur principal d’emplois. Des membres du collectif estiment ainsi qu’il serait possible de créer cinq à six emplois par hectare. Ce chiffre prend en compte le travail agricole mais aussi la transformation de produits.

Faire de l’Ouest lyonnais le grenier de la métropole

Entre tourisme, agriculture locale, artisanat, etc. Les associations travaillent sur un vrai projet « local » d’emploi. Pour cela, Quicury va à la rencontre de porteurs de projets ou de coopératives agricoles comme Bio à pro. Objectif : faire en sorte que l’Ouest lyonnais devienne le grenier alimentaire de la métropole de Lyon afin de favoriser des cultures locales, en circuit-court. Pour cela, ils veulent développer le maraîchage.

Or, beaucoup de paysans ne trouvent pas de terrains, en raison de l’urbanisation et des projets en cours, selon Sylvain Morel.

« Si la COR ou la CCPA en ont la volonté, cela pourrait aussi servir pour les cuisines locales », commente-t-il. 

Sur ce point, la mise en place de la loi EGalim sur la restauration collective joue en leur faveur. Via son application, les établissements devront proposer d’ici le 1er janvier 2022 50% de produits locaux ou issus du commerce équitable, et 20% de produits bio.

« L’industrie locale aussi est importante, marque de son côté Bruno Peylachon (UDI). On aimerait bien pouvoir de nouveau produire en France ! »

Sur l’activité logistique non voulue par les habitants, il rappelle que le nouveau centre d’Action à Belleville-sur-Saône aurait créé 500 emplois. Cette plateforme logistique de la chaîne de hard-discount Action permet d’alimenter près de 180 magasins.

Reste que la logistique à mauvaise presse et suscite parfois l’opposition des élus, notamment dans l’Ain. En cause : l’arrivée de poids lourds. Quicury estime à 800 le nombre « minimum » de passages par jour de poids lourds au rond-point de la Croisette, situé près de la potentielle zone d’activité. D’après le quotidien Le Progrès, l’installation de la Smad amènerait 128 passages de camions supplémentaires. Avec des projets d’implantations similaires, ce chiffre pourrait vite grimper. Concernant la plateforme Action de Belleville, une centaine de camions circulent chaque jour entre les différents magasins et le site de stockage.

La Smad : un projet en pause à Saint-Romain-de-Popey

En attendant, plusieurs de ces projets sont à l’arrêt.

« Pour que le projet de la Smad avance, il faut déjà que le plan local d’urbanisme de Saint-Romain-de-Popey soit modifié », rappelle Bruno Peylachon.

Par ailleurs, les opposants multiplient les recours. Dernièrement, Quicury a été suivi par la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) après un recours gracieux porté contre l’aménagement d’un carrefour giratoire et de l’élargissement d’une route à Saint-Romain-de-Popey. 

« Le préfet a répondu favorablement en disant qu’il fallait une évaluation environnementale globale sur l’ensemble du projet du Smadeor, ce que nous demandons depuis le début », se satisfait Alain Chizat, membre de Quicury.

Selon lui, les travaux ne pourront pas commencer tant que cette étude ne sera pas faite. En attendant, les élus ont le temps de retrouver le collectif. De son poste de vice-président, Bruno Peylachon regrette que l’association Quicury ne lui réponde pas. L’association assure, elle, avoir voulu se rendre à une réunion du Smadeor le 24 février mais que celle-ci n’a pas pu se tenir en public. Au dernier moment, cette dernière s’est tenue à huis-clos, en raison de la crise sanitaire.

Le collectif paysan a rencontre ses élus. Florence Subrin, membre du collectif, dénonce des élus qui « campent » sur leurs positions.

« Les élus ne remettent jamais en cause le projet d’implantation de la Smad. Leur discours est toujours : ‘laissez nous faire ce projet et on s’occupe de vous’. On ne les croit pas. On veut des actes concrets également sur le Plan d’alimentation territoriale ou le tourisme visant à la préservation des terres agricoles. Ils ne garantissent aucune terre et l’urbanisme continue, notamment à Saint-Romain-de-Popey ».

Autant dire que, dans l’Ouest lyonnais, ce combat contre l’artificialisation des terres agricoles n’est pas prêt d’être terminé.


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