Les syndicats de proviseurs, d’agents territoriaux et enseignants ont une vision hétéroclite de son mandat. Un faux plan Marshall, une politique sécuritaire, mais une bonne réactivité des services… Retour sur les six ans de l’ère Wauquiez.
C’est peut-être la compétence la plus connue des habitants d’une région, en Auvergne-Rhône-Alpes. Et pour cause, les 576 Lycées de la Région et leurs 320 000 élèves ont vu les couleurs du logo bleu ciel de la Région s’afficher partout.
Par les fameux panneaux, d’abord, s’affichant à l’entrée des établissements voire sur les tabliers de certains élèves. Par les portiques de sécurité, ensuite, mis en place lors de ce mandat. Et, enfin, par des SMS, des messages de vœux envoyés directement par la Région à certains lycéens en 2018, signés par son président lui-même, Laurent Wauquiez (LR).
Si aujourd’hui les lycéens ne connaissent pas la collectivité régionale, c’est vraisemblablement qu’ils ont séché les cours.
Mais qu’a fait l’exécutif régional concrètement ces six dernières années sur la gestion des lycées ? Depuis 2006, la Région est compétente sur l’entretien et la création d’infrastructures. Elle gère également les agents des lycées (nettoyage, cantine, etc.).
Pour les syndicats de proviseurs, le bilan de l’ex président de LR est considéré comme « plutôt bon ». Pour plusieurs enseignants et agents territoriaux, beaucoup moins. À moins d’un mois des élections régionales, retour en dix points sur le mandat du président de région.
1. Dotation de fonctionnement : la bonne note des proviseurs
Depuis son arrivée aux manettes, l’ex-président de Région a souhaité se présenter en bon gestionnaire des budgets de la Région.
Une chose plutôt réussie pour le SNPDEN-UNSA, syndicat majoritaire chez les proviseurs d’établissement.
« Le Fonds régional d’investissement (FRI) nous a aidés, indique Gérard Heinz, secrétaire académique du SNDPED-UNSA, à Lyon. Il a amené de la souplesse. Nous pouvons acheter véritablement ce dont a besoin l’établissement, sans passer par la région. En terme de simplification, c’est remarquable. »
En première ligne dans les relations avec la Région, le proviseur dresse un « bon bilan » du mandat de Laurent Wauquiez. Outre cette autonomie, il note une meilleure réactivité des services de la Région par rapport aux mandats de Jean-Jack Queyranne (PS). Une mécanique qui a fonctionné alors qu’elle n’allait pas nécessairement de soi avec la fusion technique difficile des deux régions Auvergne et Rhône-Alpes.
2. Le plan Marshall pour les lycées ? « De l’affichage budgétaire »
Pour le reste, le proviseur trouve les investissements menés par Laurent Wauquiez (LR) dans la continuité de ses prédécesseurs. Pourtant, l’exécutif avait lancé en grande pompe son « plan Marshall » en 2017. Un nom largement exagéré pour Gérard Heinz, complètement hors de propos pour son opposition.
« C’était de l’affichage budgétaire », abonde Cécile Cukierman (PCF). La candidate aux élections régionales, tête de liste « communiste – France insoumise », plaide pour des investissements importants avec la construction de nouveaux établissements plus petits, pour rester dans la proximité.
« On a la chance d’avoir un président qui a fait des économies, ironise-t-elle. Alors, oui, on peut augmenter légèrement le taux d’endettement. »
À l’attaque, l’ancienne ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, candidate du PS, tacle aussi la gestion de Laurent Wauquiez : « Rien n’a été fait sur ce sujet. »
Ambitieuse, elle annonce quatre nouveaux lycées sur le prochain mandat, qui seraient « neutres en carbone ». Et la réhabilitation de 38 établissements. Principale reproche des socialistes à Laurent Wauquiez : avoir arrêté des travaux deux ans avant d’annoncer ce plan Marshall.
« Il convient de distinguer la posture des faits », répond de son côté la Région. Elle renvoie l’opposition et les candidats adverses à une situation de « sous investissement » d’avant 2016.
« Dès 2016, le budget consacré aux travaux dans les lycées était supérieur aux années 2014 et 2015 et il n’a eu de cesse de croître au cours du mandat, pour atteindre 1,5 milliards d’euros cumulés entre 2016 et 2021 », veut encore marquer l’équipe de Laurent Wauquiez.
Elle évoque, notamment, le début de 179 chantiers en 2017 contre 89 en 2015, année précédent l’arrivée de Laurent Wauquiez. Elle annonce également un budget de 201 millions d’euros pour les travaux des lycées en 2016.
3. Aucun nouveau lycée sur le mandat
Sauf que, l’opposition le maintient : aucun établissement n’a été construit sur le mandat. Alors que, côté syndical, on souligne la persistance de problèmes liés au développement démographique de la population.
« C’est la conséquence du baby boom de l’an 2000. C’est un élément qui aurait pu être anticipé en amont », pointe Ludivine Rossot, du Snes, à Lyon.
Aucune rentrée n’a été effectuée dans un établissement sorti de terre sous ce mandat. Reste que des travaux ont tout de même commencé. « On a plutôt l’impression que la Région gère correctement les choses sur ce point », note ainsi le proviseur Gérard Heinz.
Certains projets ne devraient ainsi pas tarder à aboutir, fait d’ailleurs valoir la Région. Le lycée de Lyon 7e devrait ouvrir à la rentrée de septembre 2021.
« Il s’agit du premier nouveau lycée sur Lyon depuis 25 ans », assure l’équipe de Laurent Wauquiez. Elle annonce aussi un lycée à Meyzieu pour 2024 et à Meximieux pour 2025 ainsi que trois autres établissements en projet. Côté privé, un établissement doit aussi ouvrir à Meyzieu en 2021.
« À ceux-ci s’ajoutent des lycées reconstruits et en extension ».
En ligne de mire : le lycée clermontois de Saint-Jean (lire ci-dessous) et Pierre Brossolette, à Villeurbanne.
« Il aurait dû être ouvert il y a deux ans », lâche à propos de ce dernier établissement Bruno Bonnell, candidat tête de liste En Marche et député de Villeurbanne.
« Pour une histoire de 800 000 euros, le dossier est resté sur la table entre la Métropole, la Région et la ville. C’est là qu’il faut avancer. »
Pour lui, un retard a été pris du fait de querelles politiques entre ces différents acteurs. Et Laurent Wauquiez n’y est pas étranger.
4. Le lycée du quartier Saint-Jean à Clermont : une réussite pour la Région mais…
Symbole de la guerre des chiffres et projets entre l’exécutif régional et son opposition : le lycée du nouveau quartier Saint-Jean, à Clermont-Ferrand. Dans la réponse mail adressé à nos questions (lire par ailleurs), la collectivité prend l’exemple de ce chantier. Une réussite, selon elle.
Vieux serpent de mer, dont l’origine remonte à 1987, ce chantier cristallise les tensions. En jeu : la fusion des établissements Marie Curie et Camille Claudel pour la construction d’un seul lycée professionnel dans un nouveau quartier de la capitale auvergnate. Une fierté de la région.
Selon elle, la réécriture du projet a permis des économies considérables, passant de 76 millions d’euros à 55 millions d’euros. De plus, elle aurait permis de réintégrer un internat de 400 places, non prévu dans la construction initiale. Selon elle, la construction n’a connu aucun retard.
« La livraison était prévue pour la rentrée 2021, la crise sanitaire a ralenti le chantier et reporté la livraison à la rentrée scolaire suivante. » Une contre-vérité absolue pour les syndicats enseignants.
5. …un échec et de la communication selon les syndicats enseignants
Du côté du SNES, on s’étrangle face à cette affirmation.
« Il n’y a rien à dire sur les matériaux utilisés ou sur la conception, mais l’établissement n’a pas d’internat le site », indique Philippe Leyrat, syndiqué enseignant au SNES à Clermont-Ferrand.
Or, contrairement à ce qu’affirme la Région, le précédent projet en possédait bien un. Et celui-ci avait pour avantage d’être dans l’aire de l’établissement.
Sur ce point : non seulement la date d’ouverture de ce nouvel internat n’est pas connue, mais il va être installé dans un bâtiment à plus de 1,5 kilomètre. Un choix probablement moins cher, mais moins pratique pour les élèves. « Cela va poser des problèmes de logistique pour les récupérer », s’agace le syndiqué.
Il doute également que les 400 places de l’internat soient réservées aux lycéens sachant que, selon lui, le lycée n’a besoin « que » de 250 places pour ses internes. Le lieu pourrait être partagé par d’autres personnes, hors du lycée, suppose le syndiqué enseignant. De simples suppositions étant donné que, pour lui, les informations sur le sujet sont encore très partielles.
Enfin, la reprise du projet a entraîné des retards. Prévu pour 2020, l’établissement n’ouvrira ses portes qu’en 2022.
6. Effectifs et contractuels dans les lycées : le point noir pour les syndicats d’agents territoriaux
Autre motif de discorde entre les syndicat territoriaux, enseignants, et la majorité de Laurent Wauquiez : la gestion des contractuels. Un élément que ne manque pas de rappeler Fabienne Grébert (EELV), candidate tête des listes des écologistes.
« Quand on a des besoins, il faut embaucher », lâche-t-elle.
Même constat pour la candidate tête de liste PCF-LFI, Cécile Cukierman :
« Quand vous êtes seulement un travailleur de passage, à quoi bon s’investir sur des projets ? »
Sur ce point, les candidats se basent souvent sur les retours de syndicats. Or, ces derniers se plaignent souvent de manquer de chiffres. « Malheureusement, on est plus sur un ressenti », constate Ludivine Rosset, secrétaire du syndicat enseignant Snes à Lyon.
Le seul à en donner est Philippe Duverny, co-secrétaire de la FSU des agents territoriaux, dont la Région a la charge. En se basant sur les bilans sociaux rendus chaque fin d’année, il note une augmentation du nombre de contractuels entre 2015 et 2018 (413 en 2017, 575 en 2018), avant une baisse progressive de ceux-ci.
« Or, un contractuel ne doit pas bénéficier de ses droits à congés payés, etc. Son emploi du temps hebdomadaire est donc fixé à 32 heures, indique-t-il. Contre 40 h hebdomadaires pour un titulaire. »
De ce fait, un contractuel travaille moins d’heures que le titulaire qu’il remplace. Mathématiquement, le nombre d’heures effectuées par les agents baisse donc.
Là encore, les chiffres de la Région diffèrent totalement. L’équipe de campagne de Laurent Wauquiez assure que l’exécutif a mis un plan « sans précédent » de dé-précarisation avec l’embauche de 150 agents par an à partir de 2018. Elle déroule ses chiffres : de 834 en 2015, le nombre de contractuels est passé, selon elle, à 758 en 2016, avant de baisser jusqu’à 643 en 2020.
Des chiffres qui ne correspondent en rien à ceux du syndiqué des agents territoriaux. S’il reconnaît un plan de titularisation, négocié, avec les syndicats, celui-ci n’a pas permis de combler l’ensemble des départs classiques (retraites, arrêts maladies, etc.).
« Les embauches liées au plan se faisaient naturellement sous Souchon et Queyranne [les anciens présidents, tous deux socialistes, des régions Auvergne et Rhône-Alpes, ndlr] », grince-t-il.
Selon ses chiffres, la Région comptait 5808 agents titulaires au 1er janvier 2016, date de l’arrivée en fonction de Laurent Wauquiez. Ce chiffre est passé à 5646 au 31 décembre 2017. Il remonte depuis. Mais trop lentement, pour Philippe Duverny.
7. Des portiques de sécurité sans utilité ?
Ces portiques sont une image forte du mandat du président de Région. Pas moins de 90 millions ont été investis pour les mettre en place.
« On a l’impression de vivre dans des bunkers », souffle la syndicaliste Ludivine Rosset. Cette « sécurisation », peu appréciée par l’association de parents d’élèves la FCPE, a été accompagnée par la mise en place de vidéosurveillance et de systèmes d’alarmes. Encore une fois, le président de Région a joué la carte de la sécurité, bien que celle-ci ne soit pas une compétence régionale. Une communication en pure perte pour son opposition.
« J’ai vu des lycées avec des portiques ouverts car pas adaptés aux flux, souffle Fabienne Grébert (EELV). On agit sur ces questions avec de la présence humaine, or Laurent Wauquiez l’oublie parfois. »
Un point sur lequel abonde Bruno Bonnell (LREM) :
« La politique de la communication, c’est intéressant mais ça a ses limites. C’est dans la tête qu’il faut changer les choses. »
La plupart des candidats et adversaires mettent en avant la nécessité de mettre en place des moyens humains. Sur ce point, le PS cible également l’absence de travail sur le soutien et l’accompagnement scolaire. Bruno Bonnell (LREM), lui, vend un nécessaire travail sur le civisme avec la mise en place d’un service national universel pour la classe d’âge des 16 ans.
Côté Région, la question arrangerait presque Laurent Wauquiez, qui met la sécurité au centre des débats pour cette campagne électorale. L’équipe de Laurent Wauquiez assure que ces installations ont été faites « avec le soutien » des directeurs d’établissements.
Ce système « global » de sécurisation aurait « permis de limiter le travail de surveillance à l’entrée des établissements et de redonner au personnel (…) du temps à consacrer à leurs missions. »
Pour ceux qui aimeraient prendre la place de l’élu LR, il s’agirait maintenant de donner plus de moyens à ce dit personnel.
8. Lycées privés : 120 millions d’euros qui ont du mal à passer
Autre marqueur classique attribué à la droite : les budgets consacrés aux établissements privés, qui tendent à exaspérer les syndicats enseignants. 120 millions avaient été accordés dans le cadre du plan Marshall. Ce reproche est aujourd’hui repris par les candidat·es écologistes, communistes et socialistes.
Encore une fois, Laurent Wauquiez utilise l’argument des « sous-investissements » des deux précédents mandats.
« La Région a donc produit un effort équitable pour l’ensemble des lycéens de la Région, affirme son équipe de campagne. Il pourra être utile de rappeler que, dans certains départements de la Région, l’enseignement privé sous contrat d’associations accueille plus de 40 % des lycéens. »
Une « complémentarité » qui ne convainc pas les syndicats enseignants et adversaires politiques.
« La Région est toujours dans la légalité, mais elle joue avec la loi pour donner un maximum au privé », estime le syndiqué SNES Philippe Leyrat, à Clermont-Ferrand.
En règle générale, ces derniers lui reprochent d’investir dans des bâtiments ne lui appartenant pas. Une chose que nuancent cependant les proviseurs. « Je n’ai pas vu de preuve réelle de cela », estime Gérard Heinz. Pour lui, ce financement rentre dans un processus de concertation avec la Région.
9. Gratuité des manuels scolaires : des débuts difficiles
Particularité de ce mandat, l’exécutif régional a dû gérer la fusion entre la région Auvergne, présidée auparavant par René Souchon (PS), et la région Rhône-Alpes, menée autrefois par Jean-Jack Queyranne (PS). Ainsi, la mise en place de la gratuité des manuels scolaires a été faite côté Rhône-Alpes, avec quelques difficultés.
« La première année, ça a été un peu la pagaille, constate Gérard Heinz, pour le syndicat SNDPED-UNSA. Néanmoins, il y a eu une bonne capacité d’écoute. Ça s’est mieux passé l’an passé. »
Un cafouillage toujours connu, par les lycées professionnels.
« Nous travaillons avec des fichiers d’activités, et non avec des manuels », commente à propos François Clément, syndiqué SNUEP-FSU et enseignant en lycée professionnel. Ces derniers n’entraient pas toujours dans les budgets alloués pour ces ouvrages. En ce sens, la transition a été un peu difficile. »
« Le bon point, c’est que la Région ne s’est pas immiscée dans les choix des équipes », constate Ludivine Rosset côté lycée général, secrétaire du Snes, à Lyon. Pour elle, l’initiative n’en reste pas moins, in-fine, une bonne chose pour les familles.
10. Transparence : la bonne note des proviseurs, la mauvaise des agents
Sur la communication, une différence forte se fait entre la vision des proviseurs et des agents territoriaux. Les premiers remarquent la bonne réactivité de la nouvelle région et la bonne communication entre eux et Béatrice Berthoux, vice-présidente de Laurent Wauquiez en charge des lycées, se présentant cette année comme candidate aux élections départementales.
De l’autre côté, on regrette au contraire une plus grande « opacité » sur la dotation de fonctionnement pour chaque établissement.
« Avant, nous savions comment elle était calculée, commente Ludivine Rosset, du Snes. Maintenant, nous ne savons pas sur quels critères celle-ci est faite. »
Du côté Laurent Wauquiez, on assure que les établissements n’ont pas connu de baisse des dotations de fonctionnement. « La situation financière s’est améliorée », assure-t-elle. Là encore, Gérard Heinz assure n’avoir pas constaté de baisse.
« On est dans une gestion plus rationnelle où les établissements n’ont pas thésaurisé », indique-t-il. Un point sur lequel les autres syndicats enseignants et territoriaux font la moue.
« Auparavant, en Auvergne, nous avions un travail de dialogue social avec une carte des emplois cibles, revue tous les ans, indique Philippe Duverny (FSU). Nous avions une visibilité plus forte. »
Globalement, il regrette un manque d’informations en provenance de la collectivité régionale. Un point que ne manquent pas de souligner régulièrement les actuels adversaires de Laurent Wauquiez.
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