Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Du théâtre documentaire pour retourner au spectacle à Lyon

Le théâtre des Célestins (Lyon 2ème) a donc décidé d’ouvrir « le monde d’après », avec LA pièce documentaire du monde d’avant, « Je m’en vais mais l’État demeure » de, par et avec Hugues Duchène et sa valeureuse troupe de comédien·ne·s rencontrés comme stagiaires à la Comédie Française.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Spectacle au théâtre des Célestins. ©S.Gosselin

Spectacle fleuve de 5 fois 1 heure (sans compter les entractes), ce feuilleton théâtral mettant en scène – grosso modo – les années Macron, sera visible en intégralité ce samedi 26 mai et on peut conseiller cette sortie comme retour au théâtre.

Voilà un spectacle très bien fichu, l’équipe est virtuose dans ces changements de rôles et de costumes, le tuilage entre les séquences est virevoltant, empruntant au cinéma des effets de fondu enchaîné, d’accélération, de ralenti etc. Le tout avec deux portants, quelques chaises moches, l’inévitable batterie et l’orgue des familles.

On évitera pas le sweat-shirt adidas, marque de tout spectacle jeune qui se respecte -mais comme c’est pour jouer François Ruffin, on supporte. Toute cette adresse dans l’adresse (au public) va bien et justifie l’engouement pour cette production.

Spectacle au théâtre des Célestins. ©S.Gosselin

Des profils artistiques qui viennent de Sciences Po

Sans douter une seule seconde de la sincérité du chef de troupe du Royal Velours, à y regarder de plus près, l’ensemble se révèle plutôt conventionnel. Par le choix d’articuler le spectacle sur la relation entre l’auteur et son neveu, né au début de la période évoquée, la pirouette de scénario éculée donne à voir ce que le bébé puis l’enfant ne peut voir ni comprendre. Par la naïveté à la Tintin (référence assumée) de Hugues Duchêne qui met à plat ou plus exactement à l’horizontale, un fatras d’évènements – extrêmement graves – qui amènent le délitement de la gauche et de la société française.

Passionné de la chose publique, photographe à ses heures, l’auteur vient -aussi- de Sciences Po (en l’occurrence Lille), à l’instar de nombre de profils artistiques qui traversent nos territoires théâtraux. On est d’abord séduit par cette leçon de politique contemporaine. Quelques rappels bien documentés sur Eric Dupont-Moretti (actuel ministre de la Justice), laissent entrevoir des informations de première main au sein du barreau parisien ou encore une lecture assidue de pages politiques.

Mais, sympathie à part, quelque chose reste fondamentalement surplombant chez cet Alexis Michalik de l’assemblée nationale.

A l’évidence, il a pris quelque chose d’Emmanuel Macron (tiens, un autre Sciences Po ?), dont il retrace l’ascension. En a-t-il un peu conscience quand il profère en fin de 3ème partie, « des fois il vaut mieux se taire » ? On passera sur les 4ème et 5ème épisodes qui tirent un peu à la ligne et se perdent dans l’autobiographie et la géopolitique (une séquence « Liban » relève néanmoins le propos).

Hugues Duchêne est-il un militant déçu et sans parti ?

Alors qu’est-ce qui coince ? Il y a quelques semaines, Olivier Neveux, le brillant intellectuel de l’ENS, tenait conférence sous les arcades de l’Opéra de Lyon face à une bonne troupe d’occupants de l’institution. Le thème ? Le théâtre politique certes, c’est son sujet, mais aussi l’émanation contemporaine du sujet, le théâtre documentaire, dont il s’est fait une spécialité.

Conseillant la lecture de l’ouvrage éponyme d’Erwin Piscator, il constatait qu’aujourd’hui, sur toutes nos scènes, aucun spectacle ne pouvait être chose que politique sous peine de disqualification esthétique. Évidemment, ce « tout politique » lui apparait surtout politiquement correct. Nous y sommes. Un théâtre documentaire sans doctrine ? Hugues Duchène revenu des jeunesses socialistes, mettant dos à dos les « écolos-fachos » et le cercle vicieux des extrêmes n’est-il qu’un militant déçu, un militant sans parti ?

Le Brecht des dernières années s’est posé cette question dans « Turandot ou le congrès des blanchisseurs » : dans cette œuvre inachevée, les TUI (contraction de Tellect-uel-in), sont réunis pour justifier, « blanchir » la disparition du coton, étoffe indispensable à l’économie d’une Chime (c’est ainsi que Bertold Brecht désigne la Chine) imaginaire.

A l’école des TUIs (voir la définition plus haut), comme dans les exercices de HEC, on s’emploie à justifier un avis et son inverse. Au Congrès réuni, les intellectuels rivalisent d’intelligence pour expliquer la disparition du précieux tissu, dissimulé en fait par l’empereur pour s’assurer d’une confortable plus-value à la revente. Il ne reste plus qu’au tyran d’opérette Gogher Gog qu’à se saisir de cette controverse stérile (les véritables raisons de la crise restant inconnues), pour prendre le pouvoir et plonger le pays dans le chaos.

La position des intellectuels de Brecht relève donc soit de « l’accompagnement » en passant par-dessus toute morale pour accomplir leur mission (défendre des idées), soit de la « collaboration » (quand ils savent ce qu’il se passe et qu’ils agissent quand même). Dans tous les cas, les forces de l’intelligence laissent passer le démagogue, le capital, ce que vous voulez.

Faut-il jouer nos spectacles sur les ronds-points ?

Le spectacle de la compagnie « Velours Royal » (pourquoi pas les « ors de la République » ?) est lui aussi traversé par des figures dévoyées de l’intellectuel : notamment Stéphane Braunshweig, directeur de l’Odéon, ayant demandé l’intervention des forces de l’ordre lors de l’hommage à Mai 68 organisé au théâtre en 2018, ou encore un Jean-Michel Ribes allumé, sorte de pantin complètement déconnecté.

Les occupations de théâtres qui aujourd’hui s’achèvent dans notre pays, montrent bien ce clivage entre ce que certains considèrent comme « les gilets jaunes » de la culture et la plupart des directions des théâtres qui veulent reprendre leur programmation, mais on ne comprends pas, à fustiger les uns et les autres, (au risque de perdre ses amis avoue-t-il) la position de Hugues Duchêne. On documente certes, mais on dit quoi ?

Finalement, l’ensemble atteignant presque les 6 heures, imposant, va se révéler assez inoffensif.

Et comme par ailleurs, la diffusion de ce spectacle sur nos scènes est plutôt pléthorique, on donne raison à Olivier Neveux quand il souligne l’innocuité de certaines programmations « politiques » proposées dans nos institutions. Peut-être faudrait-il jouer nos spectacles sur les ronds-points ?

« Je m’en vais mais l’État demeure », de Hugues Duchêne, cie le Royal Velours. Au théâtre des Célestins (Lyon 2è), Première partie le jeudi 27 mai à 17h30 et seconde partie le vendredi 28 mai. En intégralité le samedi 29 mai. Durée totale 5h45.


#Théâtre

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

À lire ensuite


Photo : LS/Rue89Lyon

Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile