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Arnaque à la location Airbnb à Lyon : « Je n’y ai vu que du feu »

En septembre dernier, Thibault*, 22 ans, a décroché son premier contrat dans un bureau d’étude à Lyon. En cherchant un logement, Il a été victime d’une arnaque à la location très bien ficelée : Un homme lui a fait visiter un appartement Airbnb en se faisant passer pour le propriétaire, puis a disparu une fois la caution versée. Témoignage.

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Arnaque Airbnb location lyon

« Quand j’apprends que je dois trouver une location à Lyon, je me doute que trouver un appartement en septembre va être difficile car c’est le moment de la reprise scolaire. Mon père propose de m’aider à chercher. Ça me rassure. Il prend neuf jours de vacances, on réserve un Airbnb à côté de Montchat (3è arrondissement) et c’est parti.

À peine arrivés, on réalise que ce sera encore plus compliqué que prévu. On visite au moins une dizaine d’appartements, des locations individuelles comme des colocations. Il y a beaucoup de concurrence, c’est stressant, il faut saisir chaque opportunité. J’utilise surtout Leboncoin et La Carte des Colocs pour trouver des annonces. Je suis quelqu’un de méfiant donc dès qu’une annonce semble un peu trop belle pour être vraie ou qu’on ne peut pas la visiter, je l’exclus.

Quelques jours après notre arrivée à Lyon, un jeudi soir, une annonce pour un appartement dans le 1er arrondissement est postée sur La Carte des Colocs. Il se situe rue du Garet. L’annonce me paraît normale, bien écrite, sans trop de différences avec les autres. Le propriétaire déclare s’appeler Otis. Il donne un certain nombre d’informations sur lui et sur ce qu’il attend du futur coloc qui emménagera avec lui. Tout paraît normal.

Rencontre avec un professionnel de l’arnaque Airbnb, à Lyon

Sur l’annonce, Otis affirme être le propriétaire de l’appartement. Il écrit vouloir se mettre en colocation pour passer des bons moments et arrondir ses fins de mois. Comme à chaque fois, je cherche s’il existe d’autres photos de l’appartement sur le net, pour vérifier que ce n’est pas une arnaque. Je n’en trouve pas.

Je lui envoie alors un message via l’application. Il est très réactif, on échange rapidement par SMS. On convient de se rencontrer le lendemain, vendredi, à 13h, à l’appartement.

La rue du Garet à Lyon, où le logement Airbnb a servi pour cette arnaque au logement.Photo : LS/Rue89Lyon

À première vue, il est un peu nonchalant mais il a un regard sympathique. Il paraît à l’aise dans son corps : il est bien habillé sans trop en faire et plutôt musclé. Il s’entend tout de suite avec mon père.

On commence par échanger sur nos vies. Mon père se tient en retrait pour nous laisser discuter. Otis déclare avoir trente ans et réalisé des montage de clips musicaux pour vivre. Il dit voyager beaucoup et cherche à se mettre en colocation avec quelqu’un de plutôt indépendant. Otis donne de nombreux détails sur sa vie. Il me parle de sa copine qui passe beaucoup de temps dans l’appartement. Il me raconte son histoire dans le logement qu’il aurait d’abord habité en tant que locataire puis qu’il aurait racheté au propriétaire.

Une visite complète de l’appartement à louer qui est en réalité un Airbnb

On passe à la visite. Mon père pose beaucoup de questions, Otis est incollable. L’appartement est tout équipé et il sait exactement où se trouve chaque chose. Il nous ouvre le compteur et nous parle même des travaux qu’il aimerait bien effectuer ici ou là. La chambre est sympa, mon père prend déjà des mesures pour y monter mon bureau.

Otis ne veut pas me montrer sa chambre car « Elle est en bazar ». Après réflexion si ça se trouve, derrière la porte, ce n’est même pas sa chambre, c’est un placard. Dans tous les cas, je n’insiste pas. L’enjeu de visiter une colocation c’est aussi de plaire aux personnes qui l’habitent, pour être pris.

On ne traîne pas trop non plus, je lui témoigne mon intérêt pour l’appartement. Il me dit qu’il a d’autres visites dans la journée mais qu’il me tiendra au courant le soir même. Je lui dis que je trouve ça rapide. Il me répond :

« Je n’ai pas envie de me prendre la tête avec des visites pendant une semaine. »

Personnellement, ça m’arrange. Cela aurait rassuré mon père qui retournait à Paris quelques jours plus tard.

Entre temps, je reçois une réponse positive pour une autre colocation qui me plaît un peu moins. Je décide de faire attendre ses occupants avant de donner suite.

Une des photos de l’annonce postée par « Otis » à Lyon sur le site La Carte des Colocs. Il s’est servi d’un logement Airbnb pour réaliser une arnaque.

Une fausse identité étayée par plusieurs pages sur le web

Arrivé au Airbnb qu’on loue avec mon père, je recherche Otis sur Internet, par curiosité. Je tombe d’abord sur son site professionnel de monteur de clips. Il est vraiment très propre, les clips sont supers. Je vois aussi son compte Facebook, plutôt protégé, dont j’ai seulement accès à la date de naissance et à une photo de profil.

Il y a aussi mention d’un numéro SIRET pour son entreprise de clips installée dans le 5ème arrondissement de Lyon. Je lui envoie quelques documents sur son adresse mail, qui est une adresse professionnelle correspondant au nom de l’entreprise.

À 16h14, quelques heures après ma visite, je reçois une réponse positive d’Otis. Il m’a choisi comme colocataire. Je suis vraiment content. Il me dit qu’il part en week-end à partir du lendemain, le samedi donc, et me propose de s’occuper de l’administratif et de l’emménagement lundi. Puis, dans un autre message, il me propose :

« Ça peut aussi être ce soir si tu préfères. »

Il présente le fait de s’occuper de ça le soir même comme une faveur qu’il me fait.

Évidemment, je préfère la deuxième option car ça me permet de commencer à emménager durant le week-end.

Signature d’un « contrat de location »

Vendredi soir, on se rend à l’appartement. Cette fois, il nous accueille sans masque. Il y a une atmosphère de complicité qui s’est installée entre nous. On bavarde, on discute de comment on va aménager le frigo, il me parle des marchés aux alentours.

Otis m’explique que c’est sa copine qui a le double des clés, et qu’elle arrivera chez lui tard dans la soirée. Il propose de me déposer les clés au Airbnb où je loge avec mon père dans la matinée du lendemain, avant de « partir en week-end à Genève ». Je lui dis que je n’ai pas les clés de la boîte aux lettres, alors on convient qu’il me téléphone pour me les donner en mains propres.

On passe au moins 45 minutes à remplir le contrat de location. Il s’agit d’un formulaire que l’on trouve gratuitement sur Internet pour louer un bien de particulier à particulier. Je note quelques petites erreurs, comme la période de construction de l’appartement, qui indique “de 1989 à 2005”. Vu le quartier et le bâtiment, ce devait être bien avant. Je ne me formalise pas, les étourderies dans les contrats entre particuliers sont monnaie courante.

Le vrai-faux contrat de location probablement qui a servi à l’arnaque au Airbnb à Lyon dont Thibault a été victime

Un virement immédiat de 1880 euros

La caution est de deux mois loyers dont le montant mensuel est de 600 euros et 80 euros de charge. En tout, mon père lui fait un virement immédiat de 1880 euros. Il nous donne son RIB, et mon père lui fait un virement alors que nous sommes encore sur place. On se salue chaleureusement. Sur le pas de la porte, on lui demande de nous indiquer un bon restaurant dans le quartier. Il les connaît tous très bien, il nous oriente vers un super établissement qui a de bonnes options végétariennes.

Au restaurant, pour fêter ça, on trinque avec mon père. Pourtant je sens un petit peu de gêne, peut-être parce que c’est allé très vite. Jeudi soir on n’avait rien, vendredi on a signé. En tout cas, je ne dis pas tout de suite “non” à l’autre colocation qui m’a accepté.

Otis était censé déposer les clés à l’appartement le lendemain matin, aux alentours de 9h. À 5h58, mon téléphone sonne, il m’explique par SMS que lui et sa copine ont décidé de partir plus tôt et qu’il ne voulait pas me réveiller. J’ai le sommeil léger et mon téléphone n’est pas en silencieux. Je lui réponds dans les cinq minutes, je lui dis que je suis réveillé et qu’il peut passer quand-même. Il ne réagit pas, je me dis qu’il conduit. Je suis déçu de ne pas avoir les clés mais je passe l’éponge.

On discute plusieurs fois par SMS pendant le week-end, il est toujours aussi chaleureux. On convient de mon arrivée entre midi et deux le lundi. A posteriori, je pense que c’est parce qu’il est possible d’annuler un virement dans les 48 heures après l’avoir effectué.

Une des photos de l’annonce postée par « Otis ». Un Airbnb qu’il a fait passer pour son logement.

Le « propriétaire » disparaît et ferme tous ses comptes Internet

Le Lundi, on arrive vers 13h avec mon père. Otis ne répond plus à mes SMS. Je l’appelle. Non seulement il n’y a pas de tonalité, de celles qu’on entend quand le téléphone sonne, mais je ne tombe pas non plus sur la messagerie vocale. Le numéro correspond peut-être à une puce prépayée.

On se rappelle du code pour monter, alors on se rend à l’appartement. On frappe et personne ne répond. Les voisins nous disent qu’ils ne connaissent pas d’Otis.

Il y a un restaurant en bas du bâtiment, on leur demande s’ils ont vu un Otis. On le décrit physiquement. Ils disent ne pas le connaître non plus.

Au début, je suis inquiet. Je me dis qu’il a eu un accident de voiture en rentrant de Genève. Puis, au fur et à mesure que le temps passe, je m’imagine qu’il a peut-être prolongé son week-end. Je trouve ça irrespectueux de ne pas m’avoir prévenu.

Pendant l’après-midi mon père se rend au local de la société d’Otis, dans le 5ème arrondissement. Il n’existe pas. C’est un immeuble qui n’abrite que des particuliers. J’essaye de lui envoyer des mails, mais ceux-ci me sont renvoyés. Son adresse mail est invalide car elle n’existe plus. Son site web et sa page Facebook ont disparu d’internet.

L’appartement qui a servi à l’arnaque apparaît sur le site de Airbnb à Lyon

A partir du mardi, on commence vraiment à penser à une arnaque. Je cherche tout ce qui existe comme escroqueries à la location sur Internet. Il y a une histoire assez similaire racontée sur le site de Lyon Capitale, datant de 2018. C’est la première fois que je prends connaissance de l’existence des “Arnaques au Airbnb”.

Dans le récit de Lyon Capitale, les faux loueurs ne faisaient faire qu’une rapide visite avant de demander l’argent de la caution et du premier loyer. Ils proposaient des appartements individuels. Cependant le procédé reste le même : proposer à la location un appartement loué sur Airbnb en se faisant passer pour le propriétaire et partir avec la caution. Je cherche donc l’adresse de l’appartement qu’Otis m’a fait visiter sur le site. Bingo, je le trouve. Le propriétaire est un vieux monsieur qui ne ressemble en rien à mon arnaqueur.

Une des photos de l’annonce postée par le faux propriétaire « Otis » à Lyon sur le site la Carte des Colocs.

Mon père loue le logement Airbnb pour essayer d’entrer en contact avec le propriétaire. Il s’agit en réalité d’une régie, qui dit qu’elle va lancer une enquête avec Airbnb. On n’a jamais eu de nouvelles de cette régie. Mon père porte plainte, mais la police est impuissante, car Otis œuvrait sous une fausse identité. Le compte sur lequel mon père a fait le virement est un compte en ligne d’une banque étrangère rattachée à sa fausse identité, qu’Otis a fermé après avoir pris l’argent.

Avec mon père, on s’en veut beaucoup. On ne comprend pas, on se refait le film inlassablement. On se sent vraiment trahis. Au final, on a passé au moins trois heures avec la personne qui se faisait appeler Otis et on n’y a vu que du feu. »


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