Lundi 3 mai, Anne-Laure avait repris avec plaisir le chemin du lycée Germaine Tillion, situé à Sain-Bel, à 30 kilomètres de Lyon. Après plusieurs semaines de cours menés « en distanciel », l’enseignante de lettres classiques avait enfin retrouvé ses élèves en classe. Elle était loin d’imaginer le scandale qui allait se déclencher quelques heures plus tard. En cause : son masque aux couleurs de l’arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT.
Porter un masque arc-en-ciel au lycée, contraire au devoir de neutralité ?
Quelques minutes avant la sonnerie des cours de l’après-midi, Anne-Laure discute avec des collègues en salle des professeurs quand la proviseure adjointe du lycée l’interpelle au sujet de son masque.
« Il y avait une dizaine de collègues, on portait tous des masques différents mais elle n’a demandé qu’à moi si mon masque était homologué. Oui, il l’est. »
La réponse ne paraît pas convaincre l’adjointe car cinq minutes plus tard, c’est la proviseure du lycée qui convoque Anne-Laure dans son bureau. Deux semaines après les faits, elle se souvient encore de cet entretien :
« La proviseure m’a interdit de faire mes cours de l’après-midi avec mon masque arc-en-ciel. Elle m’a dit que ce masque mettait en évidence une opinion, ce qui était contraire au devoir de neutralité. »
La proviseure demande donc à Anne-Laure de remplacer son masque arc-en-ciel par un des masques en tissu de l’Éducation nationale. L’enseignante refuse. Deux de ses collègues tentent à leur tour de faire entendre raison à la proviseure, sans succès. Anne-Laure décide de quitter le lycée. Le lendemain, mardi 4 mai, elle revient au lycée, son masque arc-en-ciel sur le nez. Mais la proviseure l’attend à l’entrée de l’établissement.
« Je n’ai pas pu prendre mes classes, la proviseure m’a escortée jusqu’à son bureau », raconte l’enseignante.
Après un nouveau couplet sur l’entorse au devoir de neutralité que représenterait son masque arc-en-ciel, la proviseure rédige un rapport à l’attention de l’enseignante. On peut en effet y lire que la proviseure demande à Anne-Laure de ne pas prendre ses classes tant qu’elle n’ôte pas son masque.
L’arc-en-ciel, « une manière de prôner un certain type de sexualité » pour le rectorat
L’enseignante est convoquée au rectorat le 11 mai suivant. Après deux heures d’entretien, elle retourne en cours avec un masque blanc et un profond sentiment de malaise.
« On m’a expliqué que le symbole de l’arc-en-ciel pouvait être interprété comme une manière de prôner un certain type de sexualité et certaines pratiques. La DRH (directrice des ressources humaines) a même dit que l’arc-en-ciel pouvait être perçu comme le fait de militer pour la GPA (gestation pour autrui, ndlr). »
Si Anne-Laure n’a écopé d’aucune sanction ni interdiction formelle de porter son masque arc-en-ciel, on lui a fortement conseillé de ne pas faire de vague, se rappelle-t-elle, amère :
« On m’a demandé de ne pas nuire à la sérénité de l’établissement. »
L’arc-en-ciel affichable uniquement le 17 mai ?
Depuis, Anne-Laure est retournée en cours avec un masque blanc. Ce lundi 17 mai, en entrant au lycée, elle a eu la surprise de voir les murs recouverts d’arcs-en-ciel pour la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. Mais cette fois-ci, il s’agit d’affiches officielles provenant du ministère de l’Éducation. L’enseignante est perplexe :
« C’est la première fois que le lycée fait quelque chose pour le 17 mai. Je n’ai pas osé remettre mon masque arc-en-ciel mais j’ai pu arborer un badge. »
Il faut dire que d’après Anne-Laure, la direction de l’établissement semble avoir une dent particulière contre les arcs-en-ciel. Un problème similaire à celui du masque arc-en-ciel avait déjà éclaté au lycée, en début d’année 2021, dans la classe de l’enseignante.
« Il y avait déjà eu une histoire semblable en cours de latin. Après un cours sur la fluidité des genres dans l’Antiquité, des élèves m’ont offert un drapeau arc-en-ciel que j’ai accroché dans la salle. La proviseure m’a aussitôt demandé de l’enlever. »
Contacté par Rue89Lyon, le rectorat a assuré n’avoir eu connaissance d’aucun incident de ce type. Mais le service communication s’est empressé d’envoyer un communiqué pour rappeler que l’institution « est pleinement mobilisée au quotidien dans la lutte de toutes formes de discriminations ».
« Ce symbole arc-en-ciel n’est pas une opinion »
Suite à cet épisode, et pour la première fois de sa carrière, Anne-Laure a dû être arrêtée quelques jours par son médecin traitant. Elle dit être très affectée psychologiquement par la polémique déclenchée par son masque arc-en-ciel.
« Je suis au lycée Germaine Tillion depuis un an et demi. Il y a eu des mois de confinement et pourtant l’ambiance est toujours très compliquée avec la direction. Psychologiquement, c’est très difficile. L’idée de retourner faire cours au lycée m’est insupportable. J’ai trouvé très violent que la proviseure m’interdise de prendre mes classes, à quelques minutes du début de mon cours et devant mes collègues. M’interdire de prendre mes classes, c’est considérer que je suis un danger pour mes élèves. »
Pour l’enseignante, il n’y a aucune raison que porter un masque arc-en-ciel soit une entrave à son devoir de neutralité.
« Ce symbole arc-en-ciel, ce n’est pas une opinion. Ce masque n’était pas politique et il est complètement en accord avec les valeurs de la République. Ce masque montre la diversité. Je rappelle que l’homophobie est un délit. Dans l’arc-en-ciel, toutes les couleurs sont à égalité et l’égalité, c’est une des valeurs de la République. »
Anne-Laure a écrit un courrier au recteur de l’académie de Lyon, Olivier Dugrip, pour lui demander l’autorisation de porter le masque en question. En attendant sa réponse, l’enseignante a décidé de troquer son masque arc-en-ciel pour un masque blanc. Elle a par ailleurs demandé à être mutée dans un autre établissement à la rentrée prochaine.
Ce mardi 1er juin, comme Anne-Laure n’a toujours pas eu de nouvelles du recteur, les organisations syndicales de l’Éducation nationale du Rhône, le Snes-FSU Lyon, la CGT Educ’action 69 et Sud Éducation Rhône, ont annoncé leur intention de saisir la Défenseure des droits.
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