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[Podcast] A la recherche des lieux alternatifs d’innovations sociales dans les métropoles de Lyon et Saint-Étienne

Jusqu’où va la construction métropolitaine ? Quel rôle les habitants peuvent-ils avoir là-dedans ? A l’heure de la crise sanitaire, la question se pose plus que jamais. Le sociologue Robert Pyka explore les métropoles de Lyon et de Saint-Étienne, à la recherche de lieux alternatifs d’où émergent de nouvelles conceptions, hors du cadre institutionnel, pour fabriquer la ville « par le bas ». 

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[Podcast] A la recherche des lieux alternatifs d’innovations sociales dans les métropoles de Lyon et Saint-Étienne

Retrouvez ci-dessous le texte de Robert Pyka, professeur de sociologie à l’Université de Silésie à Katowice (Pologne) et résident 2020-2021 du Collegium de Lyon. Il est l’invité unique de la conférence de ce mercredi 19 mai, « Les métropoles comme laboratoires de nouveaux modèles de « lieux d’innovation » »

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Ma plus que décennale fascination des métropoles provient de la conviction que ces nouvelles territorialités émergeantes constituent des miniatures du monde globalisé. On y retrouve la même densité et complexité des relations, la même diversité et les interdépendances des acteurs, les mêmes « malaises » et les mêmes promesses qu’on observe au niveau global. Les métropoles dépassent les périmètres territoriaux des collectivités territoriales classiques. Ces nouvelles territorialités s’autoproduisent dans le jeu d’acteurs métropolitains complexe qui contraste avec le gouvernement vertical des municipalités.

En tant que laboratoires social et politique, les métropoles et les espaces métropolitains préfigurent le monde de demain. L’état d’urgences écologique, climatique et sanitaire demande un changement profond de notre approche au monde. Les métropoles, cumulant les défis contemporains, se présentent, donc, comme le terrain d’expérimentation extraordinaire où ce changement pourrait être initié. Mes recherches, notamment celles que je réalise, actuellement, dans les métropoles lyonnaise et stéphanoise autour de lieux alternatifs d’innovations sociales, consistent à identifier des prémisses d’émergence d’une nouvelle approche de la métropole.

Dans cette nouvelle perspective, la métropole est produite par le haut à travers des grands projets d’aménagement portés par des institutions publiques et des investisseurs (éléphants et arbres) mais, aussi, par des habitants contributeurs actifs (papillons et abeilles) – les métaphores des « éléphants », « arbres » et « papillons », « abeilles » ont été employées par G. Mulgan, (2007) et Oosterlynck et al. (2013).

La métropole n’est plus seulement perçue comme une « locomotive » de croissance économique ; elle est, aussi, la source d’innovations sociales qui émergent de lieux d’innovation ascendants et dispersés sur le territoire métropolitain et en dehors des lieux totem « décrétés » par les autorités métropolitaines.

Photo de Robert Pyka

La métropole : grandir jusqu’à quel point, à quelle fin et pour qui ?

Dans une perspective généralement partagée, la métropole se distingue par l’accumulation des potentiels et des capitaux. Elle est, traditionnellement, traitée, avant tout, comme un moteur de développement territorial, une « machine » de croissance, d’attractivité et d’absorption des ressources extérieures économiques et humaines.

Cela fait partie d’un modèle d’extraction néolibérale puisque que se pose, avant tout, pour la métropole, la question suivante : comment mobiliser et utiliser les ressources en place pour grandir, progresser dans les classements internationaux, attirer davantage d’investisseurs par la création d’infrastructures et d’équipements, avec des lieux totems comme des quartiers créatifs, clusters, etc. ? La stratégie vise la maximalisation de retour sur investissements capitalisés par les acteurs économiques et les autorités publiques en mettant, au second rang, les besoins et les intérêts des habitants.

Aujourd’hui, aussi en raison de la crise sanitaire, cette approche est requestionnée : grandir jusqu’à quel point, à quelle fin et pour qui ? Certaines recherches démontrent les limites de la stratégie visant la seule concentration physique des acteurs dites « créatifs » susceptible de créer, automatiquement, d’autres types de proximités (cognitive, sociale, organisationnelle) nécessaires pour l’hybridation des innovations. Il s’avère que les innovations, et avant tout les innovations sociales, ne se laissent, que très rarement, décréter dans des lieux issus des logiques d’attractivité et
de croissance.

La création des lieux totems dédiés à la créativité et des innovations peuvent, aussi, favoriser la gentrification et la ville duale puisque les emplois des quartiers créatifs ne servent que très peu souvent leurs habitants, attirant, plutôt, des créatifs des territoires limitrophes. Le rapprochement entreprises technologiques et milieux créatifs favorise, principalement, le transfert des idées de ces collectifs vers le marché par la création ou l’amélioration de production de biens et de services et la croissance de la compétitivité. Le transfert des idées novatrices des lieux d’innovation ascendants vers la collectivité locale – afin de rendre des politiques publiques urbaines plus innovantes et plus adaptées aux besoins des habitants -, dépassent, rarement, les déclarations politiques.

Des habitants-contributeurs actifs, désireux de retrouver le contrôle sur leur environnement

Dans ce contexte, la métropole s’observe, non seulement comme « machine de croissance », mais aussi comme source de réponses aux enjeux actuels et source d’innovations sociales. Des solutions alternatives émergent de lieux d’innovation dispersés sur le territoire métropolitain, forts d’énergie habitants-contributeurs. Les acteurs de ces lieux se mobilisent et jouent avec les règles de jeu pour fabriquer et transformer, ensemble, la ville : ils cherchent à retrouver le contrôle sur leur environnement immédiat où ils produisent et gèrent, collectivement, des nouveaux communs urbains.

Les solutions proposées ne sont peut-être pas optimales suivant les critères d’efficacité économique mais, en dehors des valeurs purement monétaires, elles génèrent des externalités non-économiques extrêmement précieuses, des liens, de la confiance, des espaces dégradés revalorisés, des lieux qui rendent nos villes plus durables et résilientes. Les changements décrits ci-dessus peuvent-ils contribuer à la lecture des alternances politiques récentes dans les métropoles de Montréal en 2017, et de Lyon en 2020 ? Le système politique métropolitain lyonnais change sa logique. Les fonctionnaires et les élus, qui ont internalisé la stratégie de croissance et de l’attractivité comme jeu dominant, devraient, maintenant, davantage prendre en compte, directement, les attentes des habitants-électeurs qui revendiquent leur place, leur contrôle et leurs intérêts au sein de la métropole.

Des lieux alternatifs de fabrication de la ville « par le bas » dans les métropoles de Lyon et Saint-Etienne

Mes recherches actuelles explorent les métropoles comme des espaces où de nouvelles formes de « lieux d’innovation » émergent, de manière dispersée, en dehors des structures classiques comme les parcs technologiques ou les clusters. Il reste crucial de comprendre comment fonctionnent ces lieux particuliers de fabrication de la ville « par le bas », où le capital créatif métropolitain, traité comme un potentiel, est, effectivement, transformé en innovations, y compris en innovations sociales qui nécessitent un environnement distinct par rapport aux innovations technologiques.

La notion classique de la « ville créative » est, alors, dépassée par les concepts de « ville collaborative », « ville en transition », fabcity, ou encore de « société résiliente ».

Plusieurs concepts et notions ont vu le jour pour appréhender la créativité et les innovations informelles et citoyennes qu’il est possible, en simplifiant, de résumer à deux courants principaux prenant appui, soit sur les notions de « lieu » et « d’espace » (tiers-lieu, espace collaboratif, espace d’innovation, hackerspace, makerspace, etc.), soit sur les notions de « collectif » et de « communauté » (collectif créatif, communauté de pratiques, communauté épistémique, etc.).

La notion de « lieu d’innovation », tel que nous l’avons définie, cherche à fusionner les deux approches via la notion dynamique et progressive de « lieu » de Doreen Massey qui le définit comme « des moments dans les réseaux des relations sociales ».

Cette approche nous permet de garder le lien avec le lieu qui reste un objectif et un défi pour de nombreux collectifs, sans perdre de vue la dynamique et la diversité des interactions occasionnées par le lieu mais dont une large partie se construit en dépassant la simple localisation physique.

Grâce à l’accueil qui m’a été offert par le Collegium Lyon (Idex IMU et Laboratoire EVS), depuis septembre 2020, et malgré les conditions sanitaires défavorables, j’explore les territoires métropolitains lyonnais et stéphanois à la recherche de lieux d’innovation. Après l’étude initiale concernant l’organisation d’écosystèmes d’innovation sociale, leurs éléments et leurs interrelations, je suis, récemment, entré en phase d’exploration de ces lieux d’innovation identifiés. Mon aventure scientifique continue et j’espère pouvoir, bientôt, présenter de premières observations de ces lieux générateurs d’univers distincts.

Par Robert Pyka, professeur de sociologie à l’Université de Silésie à Katowice (Pologne) et résident 2020-2021 du Collegium de Lyon.

> Conférence du mercredi 19 mai : « Les métropoles comme laboratoires de nouveaux modèles de « lieux d’innovation » »

Quelles sont les conditions pour que le potentiel concentré dans les « lieux d’innovation » devienne une source de créativité et d’innovations sociales qui permettraient de faire face aux défis socio-économiques complexes du monde moderne ? Et ce distinctement des innovations technologiques.

Avec :

  • Robert Pyka. Professeur de sociologie à l’Université de Silésie à Katowice (Pologne), il est actuellement résident 2020-21 du Collegium de Lyon. Ses recherches portent sur l’évolution de l’Etat et des institutions territoriales dans le contexte de la globalisation. Il est l’auteur de Metropolization and local governance (University of Silesia, 2014) et de Globalisation – social justice – economic efficiency. French dilemmas (University of Silesia, 2008).

Animation :

  • Michel Lussault. Géographe, professeur à l’École normale supérieure de Lyon et directeur de l’École urbaine de Lyon. Ses recherches se fondent sur l’idée que l’urbain mondialisé anthropocène constitue le nouvel habitat de référence pour chacun et pour tous. Ses deux derniers ouvrages sont Hyper-lieux. Les nouvelles géographies de la mondialisation (Seuil, 2017) et Chroniques de géo’ virale (Deux-cent-cinq, 2020).

Pour suivre ou réécouter la conférence :

Tout le programme du mois de mai 2021 des Mercredis de l’Anthropocène saison 5.


#Mercredis de l'anthropocène

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Photo : Léa Jeanjacques.

Photo : Eric Soudan

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