A 41 ans, Faten élève seule ses trois enfants de 8, 7 et 3 ans. Cela fait quatre ans que le père a disparu du tableau et six ans qu’elle ne peut plus travailler. Auparavant, elle était employée en grande surface. Aujourd’hui, elle souffre de multiples problèmes de santé : rétention d’eau, syndrome du canal carpien. C’est en partie ce qui l’a contrainte à arrêter de travailler.
Faten touche le RSA et certaines aides de l’État versées par la CAF.
Cette mère célibataire habite un appartement doté d’une seule chambre, au cinquième étage d’une des barres de la Duchère, secteur de la Sauvegarde, de celles qui devront être réhabilitées à partir de l’année prochaine. Ces logements sociaux appartiennent à Grand Lyon Habitat.
Pour l’instant, elle vit toujours avec les pigeons, l’humidité et les infiltrations d’eau.
Jusqu’à récemment, chez Faten, quand il pleuvait à l’extérieur de l’appartement, il pleuvait aussi à l’intérieur, à cause de ces « fenêtres à trous » dont tous les habitants de cette partie de la Sauvegarde se plaignent.
A la Duchère, fuite dans la cuisine et dans le porte-monnaie
Une fuite d’eau non prise en charge par le bailleur Grand Lyon Habitat. Voilà, pour Faten, ce qui l’a plongée dans d’encore plus grandes difficultés.
La mère célibataire raconte payer des factures d’eau aux montants anormalement élevés depuis deux ans.
Dès la première facture étonnante, elle signale à son bailleur la possibilité d’une fuite d’eau dans sa cuisine.
« Plusieurs fois, j’ai rapporté à mon bailleur qu’il y avait quelque chose qui coulait, que ce n’était pas normal que je paye autant par rapport à mes voisins. Grand Lyon Habitat m’a toujours dit qu’ils viendraient. »
En septembre 2020, son voisin du dessous lui signale un dégât des eaux. Le sol est irrécupérable et la cuisine du voisin a essuyé de lourds dégâts. Grand Lyon Habitat lui envoie alors un réparateur.
« Ils ont dit que j’avais perdu 136 m³ d’eau avec cette fuite. J’avais posé un sol par-dessus celui d’origine en 2011. Il était fichu. J’ai dû l’enlever ainsi que celui d’origine par mes propres moyens. Je savais qu’une catastrophe pareille allait arriver. »
En octobre dernier, elle reçoit une facture d’Eau du Grand Lyon. 2000 euros, affirme Faten, à cause des arriérés qui s’accumulent et qu’elle est incapable de payer.
Au début de l’hiver, Faten n’a pas un sou de côté. Outre ses difficultés quotidiennes, la crise du Covid lui a particulièrement coûté avec la fermeture des cantines.
Par ailleurs, elle doit se chauffer tout l’hiver avec un chauffage électrique d’appoint, toujours à cause de ces mêmes « fenêtres à trous ». Pour parfaire la situation, de septembre 2020 au printemps, le chauffe-eau de Faten ne fonctionne plus. Elle chauffe l’eau pour le bain de ses enfants à la casserole.
Elle nous dit que sa facture d’électricité seule atteint plus d’une centaine d’euros par mois.
« Je déteste mon appartement, c’est un taudis. Il n’y a rien qui fonctionne bien ou qui est en bon état. »
Une procédure d’expulsion sans accompagnement à la Duchère
Pour tenter de rembourser ses factures d’eau, elle creuse alors une autre dette, cette fois-ci auprès de son bailleur, Grand Lyon Habitat :
« Normalement ce que je dois payer de mon loyer est à hauteur de 257 euros par mois, avec un peu plus d’une centaine d’euros de charges. »
Faten ne paye donc plus l’entièreté de son loyer à partir de l’été 2020.
L’habitante de la Duchère sait qu’elle s’expose à des difficultés, mais ne voit pas d’autre issue.
« J’avais peur qu’on me coupe l’eau. »
Dès son premier mois d’impayé, Faten reçoit une lettre du bailleur, exigeant qu’elle paye ses dettes.
« C’était des petits impayés. Je mettais ce que je pouvais. Comme je n’avais pas d’eau chaude, que le chauffe-eau n’était pas réparé et que je recevais des grosses factures d’eau, je me disais que ça ferait peut-être comprendre à Grand Lyon Habitat que j’étais dans une situation horrible. »
Au début du mois de janvier, elle s’étonne de ne pas voir certaines aides de la CAF être versées sur son compte en banque, notamment son Aide Personnelle au Logement (APL).
« Je me suis dit qu’il y a un problème qui vient de la CAF. J’ai pensé qu’ils étaient en retard, c’est déjà arrivé. »
Faten assure ne pas avoir reçu de proposition d’accompagnement par une assistante sociale de la part de son bailleur. En revanche, elle raconte avoir reçu un coup de fil menaçant de Grand Lyon Habitat :
« Ils ne m’ont pas demandé pourquoi je ne payais pas, ils ne m’ont pas proposé d’aide, ils ont dit “il va falloir nous rendre les clés si vous ne pouvez pas payer.” »
Faten, habitante de la Duchère : « Je ne peux pas me retrouver à la rue avec mes trois enfants »
Faten reçoit trois lettres de rappel de Grand Lyon Habitat. Toujours incapable de rembourser tout ce qu’elle doit, elle envoie « chaque mois » ce qu’elle peut. Sa dette est alors de 522,85 euros.
Le 14 janvier 2021, le couperet tombe. Elle reçoit un courrier recommandé d’un huissier : “Assignation en paiement et résiliation de bail devant le juge des contentieux de la protection” que nous avons pu consulter. En clair, Faten doit se présenter devant un juge dans le cadre d’une procédure d’expulsion.
« Je me suis dit que ce n’était pas possible, que je devais rêver. Je ne peux pas me retrouver à la rue avec mes trois enfants. À ce moment-là j’ai très peur. »
Elle ajoute :
« 500 euros c’est beaucoup pour moi, mais pas pour eux. C’est un bailleur social, ils sont censés nous accompagner, mais non. À Grand Lyon Habitat, 500 euros d’impayés et c’est une procédure d’expulsion ! »
Faten a honte de parler, de faire connaître sa situation.
« Je n’en dormais pas la nuit, je ne savais pas quoi faire. »
La mère célibataire comprend aussi que c’est pour ça qu’elle ne touche aucune des aides qui lui permettent habituellement de vivre. Elle appelle la CAF qui se désole de ne pas pouvoir l’aider, mais qui lui explique ne pas être autorisé à continuer à lui verser d’argent. Faten se retrouve donc sans revenus.
« Ça n’a pas été des mois faciles, en plus, évidemment, ma dette a empiré. C’était la descente aux enfers. »
À propos de Grand Lyon Habitat : « ils n’ont qu’une hâte, me virer »
Elle ressent un profond sentiment d’injustice :
« Je n’ai pas eu d’eau chaude pendant six mois, j’ai dû payer du chauffage électrique et des mètres cubes d’eau en plus à cause de l’appartement qui était dans un très mauvais état. Ça fait dix ans que je vis dans des conditions vraiment terribles. Je rencontre un problème pour la première fois et Grand Lyon Habitat n’a qu’une hâte, me virer. »
Le montant de sa dette ne lui semble pourtant pas mirobolant. En sus, elle découvre qu’elle va devoir payer les frais de la procédure en justice. Elle n’en revient pas :
« Les frais de procédure s’élèvent à 123,95 euros… ça rajoute une somme à ma dette quand même. »
Faten ignore comment se sortir de cette situation. Elle se confie à Jean-Pierre Ottaviani (président de la Confédération Syndicale des Familles (CSF) de Lyon qui accompagne notamment les familles de la Duchère.
Le militant associatif l’aide à préparer sa comparution devant la juge et l’oriente vers deux structures d’aide : le Centre Social de la Sauvegarde ainsi que la Maison de la Métropole. Elle rencontre plusieurs assistantes sociales.
« On a obtenu que Grand Lyon Habitat me rembourse 500 euros sur ma facture d’eau. »
Avec une assistante sociale, Faten convient d’un plan d’apurement de sa dette à hauteur de 75 euros par mois jusqu’à ce que celle-ci soit résorbée.
Une comparution express dans le cadre d’une procédure d’expulsion
Le 26 mars, à 10h30, elle se rend au tribunal judiciaire de Lyon. Elle entre dans la salle d’audience. Elle a imprimé sa défense en trois exemplaires : une feuille pour elle, une autre pour la juge et une dernière pour la représentante de Grand Lyon Habitat qui ne l’a prend pas.
« Elle avait l’air surprise qu’une personne comme moi ne soit pas venue les mains dans les poches. De toute façon, elle n’a fait qu’une chose : répéter que je ne payais pas mon loyer. »
D’après Faten :
« La juge a parcouru les feuillets rapidement, elle a eu l’air étonnée, peut-être par le montant ? »
En effet, la mère célibataire a comparu après des personnes qui se trouvaient dans des situations d’endettement plus préoccupantes.
« La personne qui est passée avant moi devait 10 000 euros. »
La séance dure moins de cinq minutes. La juge convoque Faten à revenir fin mai, en lui accordant des « délais de paiements suspensifs de la clause résolutoire ». Autrement dit, tant que Faten respecte le plan d’apurement, elle peut rester dans les lieux et son bail n’est pas résilié.
Elle se dit « abasourdie » par le caractère expéditif de son audience avec la juge :
« Je me suis rongé les sangs, je n’ai plus touché aucune des aides qui m’aident à vivre, je n’en dormais pas la nuit. En trois minutes la juge a expédié mon dossier. Étrangement, ça m’a frustrée. »
« À cause de la procédure d’expulsion, ma dette a doublé »
Au fond, Faten s’avoue très soulagée, même si pour l’instant, elle n’est pas encore sortie d’affaire :
« Ma dette a doublé, et je dois encore beaucoup d’argent à Eau du Grand Lyon. »
Aujourd’hui, la mère célibataire a retrouvé une par une ses aides sociales de la CAF et elle a pu toucher celles qui ne lui ont pas été versées les mois précédents. Elle garde quand même un sentiment de rancœur contre Grand Lyon Habitat :
« C’est un bailleur social de Lyon qui n’a rien de social. Ils savent que je suis une femme seule, avec trois enfants à charge et sans revenus. Ils voulaient me virer et ils pensaient que je ne me défendrai pas. »
Faten est meurtrie par ces mois d’angoisse. Pour elle, les conditions de vie dans son logement et cette procédure d’expulsion qu’elle juge « asphyxiante » témoignent du mépris de Grand Lyon Habitat pour ses locataires :
« Pour eux, on n’est rien. On ne vaut rien. »
« L’objectif de Grand Lyon Habitat n’est pas l’expulsion »
Grand Lyon Habitat a refusé de répondre aux questions de Rue89Lyon sur le cas précis de Faten. En revanche la direction du bailleur nous ont détaillé par mail la procédure “habituelle” :
« Une première lettre de relance est adressée au locataire, dès qu’un retard de 10 jours est constaté dans le paiement du loyer […] Une deuxième lettre de relance est adressée 15 jours plus tard (ou un SMS) avec transmission des mêmes coordonnées du gestionnaire des recouvrements. »
Les services de Grand Lyon Habitat assurent proposer à leurs locataires un accompagnement social avant de lancer la moindre procédure d’expulsion, notamment pendant la “phase amiable” qui peut durer plusieurs mois :
« Les gestionnaires de recouvrement de Grand Lyon Habitat ont à leur disposition tout un panel d’outils qu’ils choisissent et utilisent en fonction de l’avancée du dossier : mail, téléphone, décompte, courrier, avis avant huissier, passage à domicile (hors période COVID), plan d’apurement (si reprise de règlements, mêmes partiels). »
Et d’ajouter :
« Le relais peut être passé à un conseiller social de Grand Lyon Habitat pour travailler plus en profondeur des questions d’ouvertures de droits sociaux, d’analyse budgétaire, de sollicitations d’aides financières. »
La procédure d’expulsion serait le dernier recours et non pas « l’objectif » de Grand Lyon Habitat :
« Si rien ne fonctionne, le dossier est transmis au service contentieux pour engagement d’une procédure d’expulsion. »
Faten assure pourtant que son bailleur ne lui a pas proposé d’aide. Elle affirme qu’elle a été trouver par elle-même des assistantes sociales avec lesquelles elle a monté le plan d’apurement de sa dette.
Quant à Jean-Pierre Ottaviani (président de la Confédération Syndicale des Familles (CSF) de Lyon, et conseiller d’arrondissement (PCF) du 9ème, il considère que Grand Lyon Habitat s’illustre par son manque de considération à l’égard des locataires. Il cite les conditions de logement à la Sauvegarde et dans un autre quartier du 9ème. Il pointe également les procédures d’expulsions locatives :
« Grand Lyon Habitat lance des procédures d’expulsions contre des femmes seules avec enfants pour des montants dérisoires ».
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