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Les Marches pour le climat sont-elles utiles ?

Après les Marches pour le climat qui se sont déroulées à Lyon et ailleurs dimanche dernier, Reno Bistan revient sur cette forme de mobilisation. Chronique.

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Marches pour le climat - Marche climatLyon

J’entends bien les procès en « bisounourserie » à l’égard de ces Marches pour le climat, défilés très paisibles où tout le monde est mélangé (mais sociologiquement pas tant que ça non plus…) pour « sauver la Planète ». Que, face à la gravité du problème, on peut trouver dérisoire cet assemblage d’individus avec chacun sa pancarte qui ressemble parfois à un fil Twitter « grandeur nature » où on serait plus affairé à trouver la meilleure punchline « écolo » qu’à construire une réelle organisation politique collective.

Et en fait, il en va pour moi des critiques envers ces marches comme de celles envers le vote qu’expriment les abstentionnistes convaincus. Je respecte le point de vue, la stratégie, si elle est l’expression d’une radicalité qui se matérialise dans d’autres formes d’action et qu’elle ne traduit pas simplement un « aquabonisme » paresseux.
Car, concernant la question écologique, il semble bien qu’on soit parfois passé directement du déni à la résignation sans jamais s’être arrêté sur la case « action ».

Marches pour le climat : se rassurer un peu quand au fait qu’on est nombreux à ressentir la même chose


Moi, je l’avoue, la première Marche pour le climat qui s’est déroulée à Lyon et avait mobilisé plusieurs milliers de personnes m’avait ému aux larmes. Je n’étais donc pas seul ! J’avais soudain l’impression que cette question centrale qui ne s’autorise pourtant qu’une place marginale dans la plupart de nos vies, au détour d’une pensée, d’un article, mais rarement dans le quotidien de nos relations, de nos actions, se matérialisait enfin sous une forme massive et palpable. L’impression que tous les « éco-anxieux » étaient sortis du bois, dont pas mal de jeunes, et que, quand même, ça faisait masse, et ça faisait du bien.

Et si elles n’avaient qu’une utilité, ces Marches pour le climat, ce serait peut être ça. Se rassurer un peu quand au fait qu’on est nombreux à ressentir la même chose. Que si on ne sait pas trop quoi faire jour après jour de cette préoccupation énorme, ces mobilisations permettent déjà de nous retrouver. Et de retrouver certain·e·s qui luttent au quotidien sur une ZAD ou ponctuellement contre un grand projet inutile, pour le maintien d’une ligne de train ou contre l’installation d’une plateforme Amazon, mais aussi celles et ceux dont le travail même consiste à documenter les effondrements en cours et qui tentent avec leur maigres moyens d’y opposer des solutions locales.

Ces associations de terrain, qu’en Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez a privé d’une partie de leur moyen en arrivant à la tête de la Région. Ainsi ces manifestations sont une manière de se redonner de l’énergie, de se dire que tout cela a un sens, s’articule tout de même dans un ensemble et dans des aspirations partagées.

Et dans ces moments sombres où tout semble être contre nous, il vaut sans doute mieux qu’il y ait quelque chose plutôt qu’il n’y ait rien, une rue occupée plutôt que des places vides. Car à défaut de savoir précisément que faire avec ce Nombre, sa constitution dans l’espace public est le témoignage que la préoccupation écologique n’est pas que le fait de quelques idéologues isolés mais constitue un fait social. Et cela semble d’autant plus nécessaire dans un contexte médiatique et politique, saturé par les thèses et les méthodes de l’extrême droite, où sont violemment attaquées toute expressions d’une pensée d’écologie et de justice sociale.

Des Marches où l’on peut passer de l’état d’anxiété à la possibilité d’agir

Oui, on le sait, ce n’est pas aujourd’hui avec nos Marches pour le climat que nous ferons plier un pouvoir qui a instauré une relation toxique avec l’écologie. Qui alterne déclarations d’amour pour la cause et sentences cassantes envers les « Amishs », invitation à une consultation citoyenne et mépris pour ses conclusions, sans jamais arrêter de remuer sa tambouille conservatrice où l’écologie s’appelle « techno-solutionnisme ».

Et pourtant, notre nombre, notre présence a son importance, il est un des éléments du rapport « des forces ». Il montre que, dans une autre dimension que celle médiatique et politique, de manière très concrète ou plus théorique et sous des formes diverses, les pratiques et les réflexions avancent en parallèle, et qu’il n’est même pas interdit de rêver d’atteindre un jour une « masse critique ».

Car une autre utilité de ces Marches est en quelque sorte la fonction « performative » de la manifestation, où l’on se conscientise en marchant, où l’on peut passer de l’état d’anxiété à la possibilité d’agir, que ce soit au contact d’autres individus, d’organisations voire simplement de parents ou enseignant·e·s d’une école, d’ami·e·s, de voisin·e·s, au moment de préparer la marche.

A ce titre, il est plutôt réjouissant de voir l’évolution de mouvements écologistes comme Alternatiba, Extinction Rebellion qui, au fil du temps, ont élaboré des réflexions théoriques, des pratiques, une expertise sur de nombreux sujets et se sont rapprochées d’autres mouvements sociaux ; et à l’inverse de retrouver des syndicats faisant en quelque sorte leurs armes écologistes.

Car, si on y réfléchit bien, il semblerait aller de soi qu’aujourd’hui, toute personne qui jouit d’un minimum de disponibilité d’esprit, qui n’est pas le nez dans le guidon aux prises avec les difficultés financières, sociales, familiales, consacre une partie de son attention à ce sujet par l’investissement dans une organisation, dans un collectif informel, par la pédagogie, par la participation à des actions, par la diffusion de l’information… Et sans aucun doute, ces Marches sont une « piqure de rappel » quand à cette nécessité.

« Anneau des sciences » climaticide pouvait-on lire sur une banderole le 16 mars 2019 lors d’une des Marches pour le climat qui s’est déroulée à LyonPhoto : DR

Ces mobilisations sont un outil de pression à l’égard des municipalités

Et puis, il y a l’utilité au niveau local, où ces mobilisations sont un outil de pression à l’égard des municipalités. Elles permettent d’appuyer des revendications envers la strate de pouvoir la plus proche. Dans une ville comme Lyon où la mairie se réclame de l’écologie, elles rappellent, que ceux qui veulent que rien ne change et qui inondent les réseaux sociaux ne sont pas forcément plus représentatifs de la population que ceux qui, au contraire, aspirent à un changement réel plus radical et plus profond.

Qu’à défaut de pouvoir baisser les degrés au niveau mondial, certains leviers à l’échelle de la ville permettraient de la rendre plus respirable, mais aussi plus solidaire, plus conviviale face aux défis présents et à venir. Et à travers ces rassemblements, les rencontres qu’ils provoquent, les engagements qu’ils suscitent, s’aiguise une expertise qui permet de porter un regard plus conscient sur les politiques municipales, de débattre de leur cohérence écologique, de les soutenir lorsqu’elles semblent justes et, au contraire, de les débusquer là où il n’y a que « greenwashing ».

On pense à ces mots quelques peu solennels de Frantz Fanon selon lesquels « chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir ». Evidemment, cette « mission », si tant est qu’elle puisse être remplie, ne le sera pas du simple fait de défiler, de manière régulière, deux heures durant entre la place Bellecour et les Terreaux.

Ces Marches, ou le mode de mobilisation de masse qui les suivra, ne sont pas une fin en soi, tout juste un point d’ancrage au milieu de mille autres actions possibles, petites et grandes. Pour autant pourquoi snober ces grandes mobilisations collectives, ces retrouvailles de personnes qui, à des degrés divers, se sentent concernées ? Pourquoi snober ces moments où on peut avoir l’impression que « ça y ‘est le sujet est là ! », et qu’il va falloir s’y atteler avec toute notre énergie et nos désirs de société ? Ces Marches qui sont aussi l’occasion de donner à voir ces questions écologiques qui comme l’ensemble des questions sociales tendent à être invisibilisées dans l’actualité.


#Marche pour le climat

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