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Le Loft Club à Lyon : « On a géré la jeunesse tous les soirs et sans la gazer ! »

[Série 2/4] Les boîtes, les clubs et autres dancings sont fermés depuis un an. La nuit lyonnaise est éteinte et on n’entend plus guère parler de ces lieux de sociabilité, de musique et de fête. On a rencontré quelques uns de ces patrons et gérants de boîtes de nuit pour faire le point. Ici, Thierry Fontaine, patron du Loft (Lyon 7ème) et par ailleurs président de l’UMIH nuit et de l’UMIH Rhône.

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Une soirée au Loft Club, avant la pandémie ©LoftClub

Thierry Fontaine est un incontournable de la nuit lyonnaise. Il est propriétaire de la discothèque le Loft Club à Lyon depuis 1997. Il est aussi propriétaire du bar club l’Enjoy depuis 2019. Les deux établissements sont situés dans le 7è arrondissement de Lyon, près de l’arrêt de métro Jean Macé. Il possède aussi le Maze, un autre restaurant festif situé à Limonest et, depuis 2016, la brasserie Gabriel, située place Saint-Jean, dans le 5è arrondissement de Lyon.

Thierry Fontaine est président de l’UMIH Rhône (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie), syndicat français de la restauration, des bars ainsi que des boîtes de nuit. Il est aussi président de l’UMIH Nuit France, qui se concentre sur les établissements festifs.

Durant toute la crise, et encore maintenant, il tente de faire valoir les intérêts des travailleurs du monde de la nuit, particulièrement sinistrés par la crise sanitaire. Parallèlement, il essaye de sauver les meubles dans ses propres établissements.

« On a réfléchi aux protocoles, aux conditions de réouverture »

En mars 2020, Thierry Fontaine est abasourdi comme d’autres par les annonces relatives à la Covid-19. Il se tourne aussitôt vers les autres membres de son syndicat qui sont aussi stupéfaits que lui.

« On a été un peu choqués, le 14 mars. Mais on s’est dit que ça allait être très provisoire. »

Thierry Fontaine supporte difficilement l’inactivité. Il décide donc se mettre à travailler sur des protocoles de réouverture.

« En tant que responsables syndicaux, on ne s’est pas ménagé. On a réfléchi aux protocoles, on a notamment participé à l’écriture des conditions de réouverture qui ont été celles du 2 juin 2020. »

Le 2 juin 2020, ce sont les restaurants qui ont pu ouvrir à nouveau leurs portes. Le 22 juin 2020, c’est au tour des cinémas, musées, zoos… d’accueillir du public. Les boîtes de nuit attendent patiemment leur tour :

« Avec les autres syndiqués, on se disait qu’à ce compte-là, le 10 juillet, ce serait au tour des boîtes de nuit. Ça coïncidait avec la fin de l’état d’urgence sanitaire. »

Il ponctue :

« C’était sans compter le remaniement du ministère. »

Le 6 juillet 2020 c’est trente et un nouveaux ministres qui entrent à Bercy. Le premier ministre Édouard Philippe est remplacé par Jean Castex, l’ancien maire de Prades.

« Le protocole que nous avions élaboré avec le ministère de la santé est jeté à la poubelle et une nouvelle équipe décide de repartir de zéro. »

« On a même proposé de supprimer les pistes de danse… »

Thierry Fontaine comprend alors que la reprise pour les boîtes de nuit, ce ne serait pas pour tout de suite.

« Ça a vraiment été une période difficile. On a regardé passer l’été, impuissants. On a vu tous ces restaurants, notamment sur la Côte d’Azur, se transformer en boîtes de nuit par opportunisme, et sans aucune surveillance. »

« On a entamé des négociations pour débloquer un fonds d’aide pour payer les charges fixes en juillet 2020. Certains ont pu le toucher dès octobre, d’autres n’ont eu leur premier versement que ce mois-ci. »

Même s’ il doit abandonner à contrecœur l’idée d’une reprise rapide, Thierry Fontaine ne chôme pas.

Pour Thierry Fontaine, ce n’est pas seulement par solidarité que le gouvernement se décide à aider les patrons de boîtes, mais aussi par crainte :

« Ils avaient peur qu’on ouvre de force, comme dans certains pays voisins. »

Il a reconnu avoir été attentivement écouté par Alain Griset, Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Petites et Moyennes Entreprises :

« Il nous a écoutés mais il n’avait pas la main sur grand-chose. »

Thierry et les syndiqués de l’UMIH proposent deux protocoles sanitaires au nouveau gouvernement :

« On a proposé de supprimer la piste de danse, que les gens dansent entre eux autour des tables. On aurait vérifié que les clients mettent leur masque, qu’ils mettent du gel, on aurait réduit le nombre de personnes au mètre carré… »

« Il faut éviter d’achever une profession qui est à terre »

L’UMIH n’a pas eu de nouvelles de ses propositions au ministère depuis juillet dernier. Thierry Fontaine pense que ce sera pourtant ce genre de formule qui sera proposée à la réouverture :

« Ils ne mettent pas assez la gomme du côté des vaccinations, donc c’est sûr qu’on aura les masques, les jauges… »

Comme de nombreux patrons, ce qui inquiète Thierry Fontaine, c’est qu’on leur impose des jauges non rentables.

« Si on nous demande une jauge où on baisse de 20% le nombre de personnes qui viennent dans une boîte, on peut l’accepter. Si c’est une jauge à 50% ça va être dur. »

D’une part, d’après le président de l’UMIH, cela rendrait déficitaire la réouverture pour de nombreux clubs, surtout les plus petits. D’autre part, cela risquerait d’altérer la fonction première des boîtes de nuit :

« À un moment il ne faut pas complètement dénaturer nos métiers, sinon c’est achever une profession qui est à terre : comment créer une ambiance avec une personne tous les trois mètres ? »

Thierry Fontaine milite pour permettre à certaines structures de retarder leur ouverture tout en gardant les aides si les conditions de reprise sont déficitaires :

« Quand les coûts de fonctionnement sont supérieurs à la rentabilité, ce n’est pas possible d’imaginer une réouverture. Cependant il ne faut pas oublier qu’en même temps, il y a des personnes qui n’ont reçu aucune aide depuis le début de la crise, et ceux-là ont absolument besoin d’ouvrir. »

Les conditions de réouverture angoissent le patron à plusieurs égards : le grand nombre de congés payés qu’il devra distribuer à la réouverture est aussi un sujet d’inquiétude. Thierry Fontaine est remonté contre Elisabeth Borne, Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion.

La majorité de ses employés sont au chômage partiel mais cumulent tout de même des jours de congés payés auxquels ils auront droit à la réouverture des clubs. La ministre a tout de même accordé aux patrons de mettre leurs salariés 10 jours en congés payés entre le 1er et le 20 janvier 2021.

« Pour elle 10 jours c’est suffisant. On n’a pas fait un euro depuis un an et un mois et on paye quand même nos taxes, nos mutuelles… »

A Lyon, querelle entre le Loft Club et son ancien assureur

Il poursuit :

« Quand je vais rouvrir le Loft je vais devoir envoyer mes employés en vacances. On marche sur la tête, c’est à se demander si il y a quelqu’un dans l’avion. »

Comme la plupart des patrons d’établissements de nuit interviewés, Thierry Fontaine atteste du manque de solidarité de son assurance. Celle-ci, comme toutes les autres, a refusé de reconnaître que la crise sanitaire était un cas de force majeure, ce qui l’aurait obligée à indemniser ses adhérents. Elle a aussi écarté la possibilité de baisser le prix des cotisations :

« Ils m’ont ri au nez, et surtout, ils ont menacé de me faire payer plus cher. Ils ont dit que des bâtiments vides représentent un risque aggravant car on est plus facilement cambriolé, le bâtiment peut prendre feu. »

La piste du Loft Club, vue d’en hautPhoto : LoftClub

Thierry Fontaine s’est senti prisonnier de son assurance, qu’il a jugée peu scrupuleuse. Il a donc souhaité se tourner vers une autre assurance, de préférence française car la plupart des discothèques sont assurées avec des assurances étrangères. Il n’en a pas trouvé. Il déclare en avoir monté une plus avantageuse avec la MAPA [Un assureur normalement dédié aux professionnels de l’alimentaire], et considère cette initiative comme une victoire personnelle.

« On gère la jeunesse tous les soirs, et sans la gazer ! »

Thierry Fontaine souligne un autre problème. La classe politique méconnaîtrait milieu de la nuit :

« On sent qu’au gouvernement ce ne sont pas des grands consommateurs de nos métiers. Sauf peut-être Castaner. Pour eux on est des OVNIS, on n’est pas utiles, on ne fait pas partie de la vie du pays. »

Une soirée au Loft Club, avant la pandémiePhoto : LoftClub

Thierry Fontaine considère que la classe politique refuse de reconnaître le caractère essentiel des boîtes de nuit, qui éduquent la jeunesse et cadrent la fête :

« Par exemple, prenons l’épisode qui a eu lieu cet été aux Invalides, quand les CRS ont gazé les jeunes. En comparaison, nous, on gère la jeunesse tous les soirs, et sans la gazer ! »

L’apprentissage de l’alcool raisonnable, le contrôle des drogues, c’est aussi le rôle que remplissent les boîtes de nuit. En guise d’exemple, il affirme réprimer sévèrement l’usage de la drogue dans son club. Thierry Fontaine va même jusqu’à évoquer un rôle de “nounou” pour les jeunes entre 18 et 20 ans qui explorent leurs limites :

« On n’empêche pas tout, on est là pour accompagner, pour aider. Un jeune qui veut vraiment boire de manière inconsidérée, il le fera. Chez lui, dans un parc, dans des conditions souvent dangereuses. »

Pour Thierry Fontaine, l’ambiance de la réouverture du Loft ne sera sûrement pas qu’à la fête et il craint que le préfet abuse des fermetures administratives :

« Les gens sont usés et fatigués. On va ouvrir dans un contexte d’agressivité énorme. On va gérer ça du mieux qu’on peut, mais ça va être dur. Les boîtes de nuit ne provoquent pas les bagarres, par contre elles servent de catalyseur, et tout le monde ne sait pas lâcher prise correctement. »

Au Loft Club, à Lyon : « Toute ma trésorerie est partie en poussière »

Aujourd’hui la plus ancienne boîte de Thierry Fontaine (le Loft) subsiste grâce au Prêt Garanti par l’Etat :

« On passe d’un bénéfice de 150 000 euros, à une dette de 400 000. Toute ma trésorerie est partie en poussière et j’ai écopé d’une énorme dette. »

La boîte de nuit de Thierry Fontaine est grande : Le Loft pouvait accueillir 500 à 600 personnes avant la crise. L’entrepreneur a donc dû emprunter 300 000 euros une première fois, puis 100 000 euros en février dernier, confronté à la durabilité de la crise et le montant de ses charges.

« On va mettre quatre ans pour rembourser 400 000 euros. C’est déjà dur de tenir le cap de rembourser 100 000 euros par an. À partir de juin 2022, si les boîtes n’ont pas rouvert, personne ne sera en capacité de rembourser, on devra trop. »

Seul point positif : Thierry Fontaine a pu mettre les seize employés du Loft en chômage partiel, car ils étaient tous salariés : les barmans comme le service de sécurité et les disc-jockeys.

Le président de l’UMIH n’a pas eu le droit de bénéficier d’un Prêt Garanti par l’Etat pour son établissement le plus récent, l’Enjoy :

« Cette boîte a surtout tenu grâce au fonds de solidarité, mais j’ai une dette de loyer de 50 000 euros. »

La propriétaire des locaux de L’Enjoy est conciliante, elle accepte que Thierry prenne du retard dans le paiement de ses loyers.

« C’est sûr que quand la boîte va reprendre, c’est une affaire qui va vivoter pendant deux à trois ans. J’ai le droit à 10 000 euros d’aide par mois mais les charges sont plus importantes, donc je me suis aussi endetté. »

Thierry Fontaine est chef d’entreprise, il ne peut pas bénéficier du chômage partiel. Il se paye donc grâce au Prêt Garanti par l’Etat.

« Au début je ne me suis pas payé, mais il faut bien que je nourrisse ma famille, que je paye mon crédit immobilier. »

Il se verse un petit salaire et compense en vendant des biens immobiliers :

« J’ai dû vendre des biens immobiliers pour subsister, deux appartements. D’une certaine façon, ils constituaient ma retraite, car la retraite d’un commerçant c’est deux francs six sous. »


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