Après un an de coronavirus, ce samedi 1er mai marquait un semblant de retour à la normale et aux traditions pour les habitué·es des pavés de Lyon. Les syndicats étaient au rendez-vous, ainsi qu’un black bloc et, bien sûr, les forces de l’ordre. Ce samedi, en revanche, nul n’a entendu le bruit familier de l’hélicoptère de la gendarmerie, abonné des manifestations lyonnaises. Étonnant.
Le rotor de l’appareil est pourtant devenu la bande-son incontournable des mobilisations depuis cette garde à vue à ciel ouvert d’octobre 2010 place Bellecour. Ce nouveau dispositif de surveillance des manifestations s’est imposé avec une facilité déconcertante à l’occasion des manifs contre la loi Travail au printemps 2016, puis des actes des Gilets jaunes. Le 20 mars dernier, par exemple, un hélicoptère tournoyait au-dessus du cortège, rue Vauban. Or, il s’avère que ce recours aux hélicoptères dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre prend quelques libertés avec la loi française.
Un recours contre l’usage de l’hélicoptère déposé au tribunal administratif de Lyon vendredi
C’est en tout cas l’argumentaire d’un manifestant de 38 ans qui a décidé ce vendredi 30 avril de saisir le tribunal administratif de Lyon, avec le soutien du Comité de liaison contre les violences policières. Sa requête, rédigée par l’avocat Yannis Lantheaume, demande à ce que l’hélicoptère de la gendarmerie reste au sol.
Pour lui, son utilisation dans le cadre du maintien de l’ordre viole un certain nombre de grandes lois françaises, à l’instar des drones doublement retoqués par le Conseil d’État. Leur utilisation était notamment jugée illégale, explique Bastien Le Querrec, juriste de La Quadrature du net, l’association à l’initiative des recours contre les drones :
« Pour les drones, il y avait plusieurs problèmes. Premièrement, il y a un traitement de données à caractère personnel, en violation de la directive police justice et de la loi informatique et libertés. Deuxièmement, c’est contraire aux principes de vie privée et de liberté d’expression de la Constitution française. Troisièmement, ça va aussi à l’encontre de la CEDH sur les mêmes principes et de la Convention 108 du Conseil de l’Europe sur la protection des données. Le Conseil d’État a retenu le premier point, la question étant de savoir si les caractéristiques des drones permettaient ou non un traitement de données à caractère personnel. »
Le parallèle avec les hélicoptères utilisés partout en France est évident, poursuit le juriste :
« Pour les hélicoptères, c’est la même question que pour les drones. Leurs capacités techniques permettent-elles un traitement de données à caractère personnel ? Pour moi, ça ne fait aucun doute. Les hélicoptères ont la capacité de filmer et il n’y a aucune disposition pour encadrer le traitement de ces données personnelles. »
Contactée par Rue89Lyon, la préfecture du Rhône a déclaré qu’elle réservait ses explications à la justice.
Des hélicoptères capables « de lire à 300 mètres d’altitude une plaque d’immatriculation »
Ces hélicoptères, que sont-ils capables de faire exactement ? Les appareils utilisés dans le cadre du maintien de l’ordre sont des EC 135 d’Airbus (rebaptisé H135 récemment). La gendarmerie en pilote actuellement 15 en France.
A Lyon, l’engin est basé à la section aérienne de gendarmerie de Bron. A son bord, au moins un officier de police judiciaire et des gendarmes, mais surtout des caméras dernier cri avec des performances futuristes à en croire le Colonel Emmanuel Sillon, commandant les Forces Aériennes de la Gendarmerie Nationale interrogé par Vélizy info, un site d’information locale en banlieue parisienne :
« Un énorme zoom qui permet de lire à 300 mètres d’altitude une plaque d’immatriculation située à un kilomètre, d’identifier une personne à 2 km et un véhicule à 4 km. On peut même voir si le conducteur porte sa ceinture ! La nuit, on passe en vision thermique, très utile pour la recherche de personnes. »
Lyon, plus surveillée par hélicoptère que Paris
Et les forces de l’ordre lyonnaises usent, voire abusent, de l’engin. D’après un rapport de l’Inspection générale de l’administration publié fin 2016, il s’avère que Lyon était la ville la plus survolée par hélicoptère de France. Sur l’année 2015, le document recense 280 heures de vol pour des opérations de police administrative, du maintien de l’ordre en grande majorité. Devant Paris, pourtant bien plus peuplée et étendue, et ses 270 heures. Rennes et Metz se classent aussi en bonne position alors que bien plus petites, avec 260 heures de vol chacune.
Depuis, la tendance s’est confirmée. Dans les manifestations contre la loi Travail au printemps 2016, le rotor de l’hélicoptère est au rendez-vous presque systématiquement. A l’hiver 2018, les Gilets jaunes aussi se mobilisent sous l’œil acéré des caméras de l’hélico. La gendarmerie évalue le coût moyen d’une heure de vol à l’équivalent d’un SMIC brut. Quelques mois plus tard, en mars 2019, la facture de cette surveillance aérienne des Gilets jaunes s’élevait déjà à un million d’euros d’après Le Point. Et la note s’est considérablement allongée depuis, entre les nouvelles mobilisations des Gilets jaunes, les marches contre les violences policières, les manifestations contre la loi « sécurité globale » et les manifs contre la réforme de l’assurance-chômage.
Pas d’urgence pour la justice à trancher la question de l’hélicoptère en manif
Pour autant, le référé déposé par le manifestant contre l’utilisation de ces hélicoptères en manifestation a été rejeté ce lundi 3 mai.
Le tribunal administratif a estimé que « la circonstance, parfaitement hypothétique, que [le requérant] serait susceptible de faire l’objet, lors d’une prochaine manifestation à laquelle il pourrait participer, des mesures de surveillance litigieuses, par un hélicoptère doté d’un dispositif de captation d’images, en méconnaissance des droits et libertés qu’il invoque, n’est pas susceptible de permettre de caractériser l’existence d’une situation d’urgence. »
En clair, pour le tribunal administratif, il n’y a pas de caractère d’urgence à trancher. La justice va se prononcer sur l’utilisation des hélicos, mais pas avant quelques mois.
Du côté de la Quadrature du net, Bastien Le Querrec estime que si, il y a urgence. La loi dite « de sécurité globale », adoptée par le parlement le 15 avril dernier, entérine ce recours aux hélicos pour filmer les manifestations :
« La loi sécurité globale prévoit de résoudre le problème. Elle vise à encadrer les caméras embarquées de manière assez large pour que ça englobe les hélicoptères, mais sans législation sur le traitement des données recueillies. Les forces de l’ordre pourront utiliser les drones et les hélicoptères. On compte maintenant sur le Conseil constitutionnel. »
Comme la Quadrature du net, des militant·es opposé·es à cette loi s’organisent à Lyon et dans plusieurs grandes villes pour ajouter des éléments à la saisine du Conseil constitutionnel. Ce dernier devrait se prononcer dans un mois.
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