A 15 heures, au pied de la résidence universitaire Blandan, la queue commence à s’étirer. La file conduit à de nombreux stands de distributions et s’achève sur une odorante paëlla géante.
Sous les tonnelles : des fruits frais, des œufs, des légumes, des boîtes de conserve, des chocolats de marque… Les produits proposés sont pour la plupart issus de dons ou de stocks d’invendus.
La queue a duré toute l’après-midi. Jusqu’à vider tous les stands.Au total, 400 étudiants (selon les organisateurs) ont bénéficié des généreux dons des associations.
Sur une scène improvisée, musiciens et groupes de musique se succèdent pour accompagner les étudiants qui font la queue : les Monada, l’Homme en noir ou encore la Troupe sont régulièrement interrompus par Farid Nasri, président de l’association Ouhlala qui remercie au micro les associations participant à l’événement.
Ouhlala, c’est le nom de l’association qui a mis en place cette distribution pour soutenir les jeunes face à la crise du Covid. Cette structure, qui organise habituellement des ateliers autour de l’humour dans les établissements scolaires, a débuté les distributions à destination des étudiants en décembre 2020. Elle en est à sa 7ème édition. Chacune a un thème. Cette fois-ci, c’est l’Espagne. Tous les participants ont ainsi pu repartir avec une généreuse part de paëlla en plus d’autres produits distribuées par les associations.
Français comme étrangers, à la fac comme en écoles. La population est bigarrée sous le soleil d’avril. Qu’ils soient venus seuls ou à plusieurs, les étudiants ne pas cachent leur plaisir de voir de nouveaux visages. Malgré cela, la plupart d’entre eux ne se départissent pas d’une mine inquiète.
« Je vais vraiment avoir besoin d’argent »
Louise est étudiante en master de mandarin à Lyon 3. C’est la première fois qu’elle se rend à une distribution en faveur des étudiants. Elle en a été informée via les réseaux sociaux.
Louise rencontre des difficultés financières, mais ce n’est pas la seule raison qui l’a aidée à franchir le pas :
“Je suis venue pour la paëlla, on ne va pas se mentir, je n’ai pas souvent l’occasion d’en manger. En plus, là, elle est faite par un restaurateur.”
La jeune étudiante n’a jamais été très riche, mais elle considère que la crise du Covid l’a particulièrement précarisée :
“Le Crous et le Restaurant Universitaire sont bien moins souvent ouverts qu’avant. Je dois faire les courses plus régulièrement, ça me coûte, et c’est parfois très compliqué de joindre les deux bouts avec la bourse qui arrive en retard.”
Suite aux demandes des étudiants, le Crous avait d’ailleurs baissé le prix de ses repas à un euro en janvier dernier, une aide salvatrice d’après bon nombre d’entre eux :
“Ça m’avait vraiment beaucoup aidée. Quand j’avais encore cours, j’y allais tout le temps.”
Louise cherche activement un job. Elle est fatiguée de compter ses sous et craint le pire pour la suite :
“Je vais vraiment avoir besoin d’argent, pour cet été. Les bourses ne sont pas versées durant les congés estivaux, et je dois faire un stage pour valider mon master. Celui-ci ne sera probablement pas rémunéré. »
L’étudiante appréhende particulièrement les mois de juillet et août.
“Je devrai me nourrir, j’aurai mes abonnements de train, de TCL qui continueront malgré tout, je ne sais pas comment je vais faire.”
Elle craint d’ailleurs de rencontrer des difficultés pour trouver un stage :
“Je recherche dans les ressources humaines ou le marketing. C’est des domaines où il y a beaucoup de demandes de stage et pas beaucoup d’offres…”
Louise considère que cette collecte a particulièrement ensoleillé sa journée, d’une part car elle s’en retourne chez elle les bras plein de denrées alimentaires, mais aussi car elle a rencontré de nouvelles personnes.
> Retrouver le témoignage de Louise et d’autres étudiants dans le reportage vidéo ci-dessous. Par Tao Gassin.
« Nous, les étudiants, sommes tout le temps seuls. Je n’en peux plus »
Marie est étudiante infirmière à l’IFSI Clémenceau de Lyon Sud, à Saint-Genis-Laval. C’est le cocktail précarité et solitude qui rend son quotidien difficile :
“On est tout le temps tout seul, je n’en peux plus.”
Marie a été sollicitée deux fois en tant qu’élève infirmière. Elle a dû prêter main-forte, comme renfort Covid, dans un hôpital. Durant le premier confinement puis une autre fois, plus brève, il y a quelques mois. Au final, c’est uniquement dans ces situations qu’elle a pu entretenir une vie sociale.
“Quand on a été démobilisés, on a été renvoyés en cours, donc devant nos ordinateurs pour les visioconférences, seuls chez nous. ”
Elle ajoute :
“On ne voit plus personne, on reste enfermés chez nous. C’est difficile de garder le contact, même avec les personnes dont on se sent proches.”
Marie est une habituée des distributions :
« Ce n’est pas la première fois que je viens, ni la dernière ! Les distributions m’aident à finir le mois sereinement. »
En attendant, les évènements comme celui-ci ont un effet positif sur le moral de la jeune femme :
“Je suis contente d’être venue aujourd’hui. On crée du lien, on voit des gens, on peut discuter un petit peu, même de la pluie et du beau temps, il y a des sourires.”
Elle conclut :
“Je souhaite vraiment que la vie sociale reprenne, qu’on puisse s’en sortir.”
« Ça soulage du stress des fins de mois »
Amine a 26 ans et Meryem en a 23. Les deux amis sont étudiants en stratégie commerciale et marketing et viennent du Maroc. Amine raconte :
“On est arrivé en février. Notre formation est financée par une association. On est là pour deux ans d’études.”
Comme pour la plupart des étudiants, le Covid a été synonyme de difficultés financières pour la jeune fille et le jeune homme. Ceux-ci font donc attention à leurs dépenses. :
“Le lait et le jus de fruit ça coûte cher ici. Ce genre d’événement c’est vraiment bien, nous pouvons y manger des produits qu’on n’achète pas d’habitude.”
Amine, étudiant en stratégie commerciale et marketing
Niveau vie sociale, c’est le néant.
“On est arrivés en février, on n’a rencontré personne.”
Meryem ajoute :
“Je n’ai rien visité, rien vu de la France. On est chez nous tout le temps, enfermés avec les devoirs. Ce n’est vraiment pas ce qu’on imaginait.”
Amine a eu connaissance de l’événement via un mail de leur école :
“On a discuté un peu avec le staff qui distribue. Ce qui est super bien, c’est surtout la musique, c’est pour ça qu’on profite du soleil pas très loin.”
Amine, étudiant en stratégie commerciale et marketing
Amine et Meryem sont surtout étonnés par le nombre d’aliments qu’on leur a donnés. Le jeune homme montre ses sacs :
“À la base on était venus pour prendre une part de paëlla ! On tient deux semaines facile avec ça. Ces réserves nous soulageront du stress des fins de mois.”
Amine, étudiant en stratégie commerciale et marketing
Meryem ajoute :
“Il y avait tout un circuit avec des gens adorables qui nous disaient qu’on pouvait prendre de tout. On n’avait pas prévu assez de sacs, on a été en acheter à l’extérieur.”
Dans leurs grands sacs de course, on trouve des œufs, de la salade, des boîtes de conserve, des gâteaux, des oranges… et de la paëlla !
Un ramadan de la solitude pour les étudiants musulmans
Meryem et Amine sont assis sur un des bancs du parc Blandan, profitant du soleil avec leurs victuailles. Et contrairement à d’autres étudiants assis plus loin, ils ne grignotent pas.
“On fait le ramadan, on ne peut pas manger là tout de suite, mais ce n’est pas grave, on mangera à la tombée du jour.”
Meryem, étudiante en stratégie commerciale et marketing
Pour Amine le ramadan est particulièrement difficile cette année :
“Le ramadan est déjà fatigant psychologiquement, mais là on ne ne dort vraiment pas assez, on se lève à 5 heures et on a cours à 8 heures. Les nuits sont courtes.”
Surtout, la convivialité de la rupture du jeûne est rendue impossible par le couvre-feu. Amine explique :
“Meryem et moi on n’habite pas à côté, nos autres amis qui font le ramadan non plus. On a fait la rupture du jeûne ensemble une seule fois, et on a passé la nuit chez une amie.”
« C’est difficile de se projeter »
Hasnae est dans la même situation que Meryem et Amine. Scolarisée en MBA [master international] à l’IDRAC, une école de commerce lyonnaise, elle est aussi marocaine. Arrivée il y a trois mois, elle jeûne pour le ramadan. Elle quitte l’événement les mains pleines. Elle a préféré capitaliser sur les impérissables, un des sacs qu’elle porte est rempli de pâtes, de riz, de blé. L’autre de bouteilles de lait et de jus d’orange :
“Je mangerai ce soir !”
Pour la jeune fille, les finances vont mal et le moral aussi, même si, comme de nombreux étudiants, elle est gênée d’en parler :
“Je pensais que je pourrais travailler un peu, mais avoir un job étudiant actuellement, c’est mission impossible. C’est difficile de se projeter.”
Elle aimerait partager ses soucis et se changer les idées avec des amis :
“Je n’ai rencontré personne avec qui être ami. Comme tous les cours sont en visioconférence c’est vraiment dur de se faire des copains. Comment suis-je supposée rencontrer qui que ce soit ?”
La jeune fille avait imaginé son séjour universitaire en France bien différemment :
“Je romps le jeûne toute seule. J’en ai assez.”
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