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[Vidéo] En psychiatrie, les lourdes conséquences des confinements à Lyon

Enquête et vidéo : des soignantes témoignent de ce qui s’est passé pendant le premier confinement dans deux hôpitaux psychiatriques à Lyon.

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Quatre soignantes des hôpitaux psychiatriques de Saint-Jean de Dieu et du Vinatier, protégées par leur statut syndical, ont livré des témoignages accablants, sur la façon dont ont été traités les patients et sur leurs conditions de travail. Nous nous sommes aussi entretenus avec les directions de ces hôpitaux.

Alors que la crise psychiatrique augmente, liée à un contexte de pandémie et de restrictions, où en sommes-nous de ces soins déjà déclassés dans le système hospitalier français ?

Saint-Jean de Dieu et le Vinatier, deux groupes hospitaliers dédiés à la psychiatrie

Le nouveau bâtiment du Vinatier qui regroupe toute la psychiatrie pour adultes. ©LB/Rue89Lyon
Le bâtiment du Vinatier qui regroupe toute la psychiatrie pour adultes.Photo : LB/Rue89Lyon

Depuis le début de la pandémie, les restrictions et l’isolement ont eu des conséquences psychologiques sur la population qui inquiètent de plus en plus. De nombreux psychiatres parlent déjà de vague psychiatrique.

Le rapport d’analyse des retours d’expériences de la crise Covid-19 dans le secteur de la santé mentale et de la psychiatrie indique que dans la population générale, le confinement (et bientôt les difficultés économiques et sociales) a majoré les symptômes dépressifs, anxieux, ou les addictions.

Une étude récente indique que de nombreuses personnes ayant eu le coronavirus souffrent de problèmes psychologiques ou neurologiques, après coup.

Saint Jean de Dieu est un établissement privé d’intérêt collectif spécialisé en psychiatrie, situé dans le 8ème arrondissement de Lyon. Le Vinatier est un établissement public de santé mentale à Bron. Il s’agit du plus gros hôpital psychiatrique de l’agglomération lyonnaise.

“Des services pourris, avec des chambres sans toilettes, deux douches pour 26 patients”

Saint Jean de Dieu est un établissement privé d’intérêt collectif spécialisé en psychiatrie, situé dans le 8ème arrondissement de Lyon. CC

Avant la crise sanitaire, les conditions de travail étaient déjà difficiles. C’est ce que montre un rapport de visite du centre hospitalier de Saint-Jean de Dieu d’avril 2019 réalisé par sept contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté.

Ce rapport indique que « le mal être et la souffrance au travail sont clairement exprimés par l’ensemble du personnel soignant ». Les conditions d’accueil étaient quant à elles jugées « délétères » dans certaines unités.Il indique aussi que :

« Les conditions d’hébergement sont apparues indignes[…] La longueur des durées des placements en chambre d’isolement est incompréhensible au regard des durées des crises ».

Elsa Bataille (CGT), infirmière à Saint Jean de Dieu, dénonce ainsi :

« Des conditions d’hospitalisation dans des services pourris il faut le dire ! Avec des chambres petites ou des chambres doubles, sans toilettes, avec deux douches pour 26 patients. »

Autre constat partagé par les soignantes, le manque de places à l’hôpital. Le taux d’occupation des lits a avoisiné les 100% sur l’année 2020 à l’hôpital Saint Jean de Dieu, avec parfois un dépassement de ce seuil. 

“Il y a eu davantage de contentions, des patients attachés »

Le confinement de mars 2020 a donc engendré de nombreuses réorganisations dans les services. Parce qu’il fallait concilier la mission de soin psychiatrique avec le risque de contamination, il a également entraîné de nouvelles restrictions de liberté pour les patients. Ces derniers n’ont plus pu sortir autant qu’auparavant, en général moins d’une heure par jour.

Certaines unités ont été confinées pendant plusieurs semaines. Si chaque partie s’accorde à dire qu’il y a eu de nouvelles normes et procédures, un point de désaccord apparaît entre les directions et les soignantes : l’augmentation du recours à l’isolement ou à la contention durant le premier confinement. Pour rappel, la contention est un soin thérapeutique appliqué par le personnel des hôpitaux psychiatriques, visant à contenir par un moyen physique un patient en état de crise. 

Pour les soignantes, c’est clair, les restrictions de liberté ont augmenté et le durcissement des méthodes employées lors des prises en charge est un fait :

« Il y a eu plus de contentions, des patients attachés. Il y a eu plus de patients en isolement », rapporte Elsa Bataille. Et de poursuivre :

« Parce qu’il fallait gérer la crise […] on était surtout sur des privations extrêmes, de gens contenus en isolement sur des durées qui étaient plus longues que ce qu’on a actuellement ».

Elsa Bataille, infirmière syndiquée (CGT)

Au contraire, les directions du Vinatier et de Saint Jean de Dieu affirment que les recours à l’isolement et aux contentions ont diminué. 

C’est ce qu’assure Frédéric Meunier, médecin et président de la commission médicale d’établissement du Vinatier :

« Dans notre hôpital, le nombre d’isolements et de contentions a plutôt diminué en 2020 […]. Il est vrai qu’il y a eu un certain nombre de restrictions dans l’hôpital à la liberté des patients.”

Agnès Marie-Egyptienne, directrice générale de l’Association Handicap et Santé Mentale (ARHM, gestionnaire de Saint-Jean-de-Dieu), considère elle aussi que c’est surtout dans l’organisation qu’ »il a fallu prendre des mesures qui visaient non pas à isoler mais à confiner, pour éviter les risques de propagation ».

« Ça s’est carcéralisé, on a basculé sur du sécuritaire »

Des soignantes témoignent de ce qui s’est passé pendant le premier confinement dans deux hôpitaux psychiatriques à Lyon.Photo : ATellier/Rue89Lyon

Ces mesures visant à limiter l’épidémie ont transformé l’institution et le travail des soignants. Ces dernières rapportent une mise à mal de leur statut. La crise sanitaire ayant pris le dessus sur le soin psychiatrique.

Les demandes de l’hôpital en matière de contrôle vis-à-vis des mesures barrières n’ont pas toutes été bien acceptées par les soignants. Elsa Bataille exprime ainsi la difficulté qu’elle a eue à devoir entrer dans la vie intime des patients :

« En intra-hospitalier, ça a été un vrai confinement très strict. Plus de sortie dans le parc, plus de visite, plus de permission, ça s’est presque carcéralisé. […] Sur la fin du confinement, ils ont ouvert un local où les familles pouvaient se voir en présence d’un soignant. On rentrait vraiment dans l’intimité des relations des patients qui n’avaient pas vu leur famille depuis des semaines. Le statut soignant a été vraiment mis à mal et égratigné avec ces procédures Covid. On a viré sur du sécuritaire. »

Les fermetures des structures extra-hospitalières ont aussi laissé des patients sans soins. Pourtant, la direction de Saint-Jean-de-Dieu assure que le lien a été maintenu avec les patients :

« L’objectif était de faire en sorte que dans toutes les structures extra hospitalières qui avaient diminué, voire fermé, on maintenait le lien avec les patients ».

Au Vinatier, d’après le Dr Frédéric Meunier, cela n’a pas été le cas. Il affirme qu’ »aucun centre de consultation extérieur n’a fermé, même une seule journée » :

« Pour éviter un potentiel afflux de patients sur l’hôpital, quelques types de soins hospitaliers n’ont pas pu avoir lieu. Notamment durant le premier confinement parce qu’on était dans une situation où on manquait de protection individuelle ».

Ce dernier reconnaît toutefois que « les hôpitaux de jour ont fermé leur activité provisoirement ».

L’extra-hospitalier : « Il y a eu des décompensations, majorées par l’angoisse »

Les directions estiment que le recours à l’ambulatoire ou plutôt à la non-hospitalisation n’est pas forcément une mauvaise chose.

Dans la prise en charge ambulatoire, les patients se rendent à l’hôpital uniquement pour des consultations. Il s’agit soit d’orienter une personne vers la structure de soins adaptée à sa situation, soit de lui assurer des soins préventifs, en dehors d’une hospitalisation complète, parfois même à domicile. Les patients peuvent y consulter un médecin, un psychologue, un assistant social, ou un infirmier.

Piero Chierici, directeur adjoint du Vinatier, espère y avoir recours davantage. Il souhaite « limiter l’hospitalisation aux seuls moments nécessaires dans le parcours d’un patient et privilégier la prise en charge ambulatoire et inclusive dans la cité pour les patients ».

Mais selon les soignantes, les fermetures des services en extra-hospitalier ont eu de graves conséquences sur les patients déjà suivis à l’hôpital. Elles rapportent aussi qu’il leur a fallu prioriser certains patients plutôt que d’autres. Cette situation n’était pas satisfaisante puisque nombre d’entre eux sont revenus en crise après la crise. On parle alors d’une décompensation (une décompensation est un épisode pendant lequel une personne présente des signes de psychose. Il peut s’agir d’un premier épisode de troubles psychiatriques ou de rechutes de maladies diagnostiquées). C’est ce qu’indique Linda Garah (CFTC), infirmière à Saint Jean de Dieu :

« Il y a eu des décompensations, effectivement, majorées par l’angoisse. C’est sur les personnes de l’extra-hospitalier que les conséquences ont été les plus lourdes. Parce que les services ont fermé. »

En 2020, une augmentation du nombre de passages aux urgences de l’ordre de 15%

Dans nos divers entretiens, la notion de vague psychiatrique a été partagée aussi bien par les soignants que par les directions. Une nouvelle “file active de patients” (décompte du nombre total de patients pris en charge dans un service au cours de l’année) arrive à l’hôpital et pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils font face à cette institution. C’est ce que confirme Agnès Marie-Egyptienne, directrice générale de l’ARHM :

« Au vu des entrées qui arrivent, je pense qu’on a une proportion de primo-patients, en tout cas des patients qui n’étaient pas connus, qui se présentent aux urgences et qui sont hospitalisés dans l’établissement ».

Le même son de cloche se fait entendre parmi les soignantes comme l’infirmière Elsa Bataille :

« Effectivement on a eu des patients, des premières décompensations, des gens qui étaient fragiles mais qui arrivaient à se maintenir tant bien que mal. Mais là, avec le Covid, l’isolement, la précarité, le fait qu’il n’y ait plus de boulot, que tous les tenants sociaux soient relâchés, ils ont décompensé et sont arrivés à l’hôpital ».

La direction du Vinatier affirme qu’il y a eu une augmentation de 15% de prise en charge en urgence psychiatrique sur l’année écoulée et que ce n’est pas fini. Piero Chierici, directeur adjoint du Vinatier :

« On a une augmentation des passages en urgences avec une accélération depuis la fin de l’année 2020. »

Les deux établissements s’accordent à dire qu’il y a de plus en plus d’adolescents qui sont admis à l’hôpital. Un phénomène qui prend une ampleur inquiétante selon eux.

« Je n’ai jamais vu autant d’agents, de jeunes diplômés, qui cherchent à partir »

Différents constats sont récurrents de la part des soignantes comme des directions. Le manque d’effectifs ou encore la difficulté à recruter de nouveaux soignants. C’est ce qu’explique Sandra Werck, infirmière à Saint Jean de Dieu, syndiquée chez SUD :

« Il y a un turn-over qui est conséquent, depuis longtemps. Là, il y a vraiment des soucis de recrutement. C’est-à-dire qu’avant, les gens quittaient l’hôpital mais étaient remplacés relativement facilement. Ce n’est plus le cas. »

Toutefois, les soignantes parlent carrément d’une vague de démissions à l’hôpital. Ce que les directions ne corroborent pas.

Dernièrement, l’hôpital psychiatrique de Saint Jean de Dieu à dû se résoudre à lancer un plan blanc. Le plan blanc est un dispositif de crise face à une situation sanitaire exceptionnelle ou une activité accrue d’un hôpital. Il permet d’organiser l’accueil et la prise en charge d’un afflux massif de patients.

Nathalie Gramaje (CGT), aide soignante au Vinatier, évoque la difficulté à garder les soignants et le personnel médical dans l’hôpital :

« Ça fait depuis 1994 que je suis ici et je n’ai jamais vu ça, des agents, jeunes diplômés de surcroît, qui cherchent à partir. »

La « perte de sens » du travail en psychiatrie

Elle n’est pas la seule à pointer ce phénomène, en particulier chez les jeunes professionnels. Linda Garah partage ce diagnostic :

« Les jeunes infirmiers quittent plus souvent l’établissement. »

Une infidélité qu’elle attribue à la « perte de sens au niveau du travail ».

Les directions quant à elles insistent sur la complexité à recruter du personnel sans évoquer pour autant une « vague de démissions » au sein de leurs hôpitaux. C’est ce que soutient le docteur Frédéric Meunier :

« Nous avons une carence de recrutement actuellement faute de candidat. Ce n’est pas une volonté de l’hôpital ni une question budgétaire. »

En revanche, tous s’accordent à dire que le manque d’effectifs est une des plus grandes problématiques à l’hôpital et qu’ »il ne s’agit pas d’un problème nouveau ».

Frédéric Meunier évoque un cas particulier mais représentatif de cette pénurie en France, celui de la pédopsychiatrie :

« On est passé en France, de 1200 pédopsychiatres dans les établissements publics à 600 environ ».

Une « maltraitance institutionnelle »

Les soignantes ont aussi fait part d’une forme de “maltraitance institutionnelle » au sein des hôpitaux psychiatriques. Un fait structurel et inhérent à l’ensemble des institutions psychiatriques. Interrogées sur cette notion, les directions n’ont pas nié son existence. Comme Agnès Marie-Egyptienne :

« Dans la réflexion sur la maltraitance c’est effectivement un terme qui est utilisé […] Le fait d’être dans une institution qui induit une vie collective avec tout ce que ça implique, de source de tensions, d’organisation et de fonctionnement. C’est même intrinsèque quelque part. »

Elle explique aussi que c’est de « son devoir de la repérer et de la prévenir au mieux ». Un propos partagé par la direction du Vinatier. Le Dr Frédéric Meunier explique :

« Tous les hôpitaux y compris le nôtre s’emploient à diminuer cette maltraitance-là. Ce qui peut être lié à un excès de coercition dans le soin. Le sentiment d’être maltraité par l’institution, c’est quelque chose qui est fréquemment exprimé par les agents ».

Globalement, les soignantes expriment une perte de sens au travail due en partie à une modification de l’offre de soin en hôpital psychiatrique. Pour elles, difficile de garder de la bienveillance, pourtant au cœur de leur mission. Ce fut particulièrement le cas pendant le premier confinement, très strict. Elles affirment enfin que bon nombre de personnels envisagent une réorientation professionnelle.

Une perspective inquiétante, devant l’augmentation du nombre de passages aux urgences psychiatriques en 2020.

Alors que la crise sanitaire liée au Covid-19 provoque de manière avérée cette recrudescence des pathologies, le soin psychiatrique reste, aussi bien du point de vue des soignantes que de leurs directions, le parent pauvre du système hospitalier.


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