Nous sommes au matin du 1er mai 1871. Après une après-midi et une nuit de combat, le calme commence à revenir sur la rive gauche lyonnaise. Les forces gouvernementales ont fini par reprendre la place du Pont (actuelle place Gabriel-Péri). Les derniers restes de la Commune de Lyon se sont éteints.
L’armée a dû s’y reprendre à plusieurs fois. La veille, deux colonnes ont été lancées. Une première est partie du Pont Gallieni et est remontée par la rue de Marseille. La deuxième, basée à Perrache, devait rejoindre la place du Pont en passant par l’actuel pont de la Guillotière.
« Par deux fois, des troupes ont été changées car les appels à « lever la crosse en l’air » ont fonctionné. La troisième a été la bonne. »
Matthieu Rabbe, auteur du livre Les communards à Lyon – Les insurgés, la répression, la surveillance
Bilan : entre trente et une centaine de morts, suivant les sources, pour le dernier soubresaut de la Commune de Lyon.
Une plaque commémorative à la Guillotière ?
« La commémoration de la Commune de Lyon a aujourd’hui une importance pour la ville. Elle est un événement symbolique de luttes sociales fondamentales. Or, ces questions sociales sont importantes pour une mairie écologiste. Il n’y a pas de transformations fortes, sans prise en compte de la question sociale. Plus qu’un devoir de mémoire, il y a un vrai devoir d’histoire à faire sur le sujet. »
Florence Delaunay, adjointe au maire de Lyon, en charge des questions de Droits et égalités, mémoire, culte et spiritualité, pour Rue89Lyon
Si la situation sanitaire le permet, la mairie aimerait poser une plaque en mémoire de l’événement sur l’actuelle place Gabriel-Péri autour du 1er mai. Pour l’élue, un travail de recherche sur la complexité de cette période lyonnaise est également à effectuer.
Le père de l’anarchie de passage à Lyon
Pour cause, moins sanglante que la tentative parisienne, la Commune de Lyon a eu une histoire plus longue et on ne peut plus complexe. Pour certains historiens, les premiers heurts la caractérisant remontent au 4 septembre 1870.
Ce jour-là, à la suite de la défaite de Sedan, Napoléon III est capturé par l’armée prussienne. L’empire français capitule face à ce qui va devenir l’empire allemand. Avant Paris, la république est proclamée à Lyon et le drapeau rouge est dressé sur l’hôtel de ville.
Loin de l’étiquette de ville bourgeoise semblant lui coller à la peau, Lyon a alors l’image d’une ville populaire avec un potentiel révolutionnaire important. Une « mauvaise lecture de la situation par les révolutionnaires », pour l’historien lyonnais, Bruno Benoit. Cette erreur va amener la venue d’un personnage historique d’envergure : Mikhaïl Bakounine. Le père russe de l’anarchie a alors encore en tête l’image d’une ville de Lyon sociale, très tournée vers le monde ouvrier, prête à devenir la base de l’internationale ouvrière.
Arrivé du Jura suisse autour du 17 septembre, il tente d’organiser la prise de la ville depuis la Guillotière. Le 28 septembre, il envahit avec ses partisans l’hôtel de ville.
« Bakounine pense que Lyon est toujours la ville de la révolte des Canuts de 1831. Ses partisans annoncent le début de la révolution mondiale de Lyon, du balcon de l’hôtel de ville ! »
Bruno Benoit, historien lyonnais
La tentative tourne court. Jean-Louis Hénon, un « républicain de la veille », élu maire de Lyon quelques semaines auparavant, opposé à ces insurrections, parvient à reprendre la mairie, sans effusion de sang. Dans la confusion, Bakounine est arrêté avec ses partisans, puis relâché. Il quittera la ville dans la foulée.
« Ce qui revient souvent dans les événements de la Commune de Lyon, c’est la grande confusion qui régnait alors. Beaucoup de Lyonnais n’ont pas compris ce que cherchait Bakounine ce jour-là. »
Matthieu Rabbe, auteur du livre Les communards à Lyon – Les insurgés, la répression, la surveillance
L’affaire « Arnaud » : quand la République modérée s’oppose à la République rouge
Retour à un calme relatif donc. Outre les tensions sociales, la (très) jeune République française a repris la guerre contre la Prusse et les batailles marquent la population. L’affaire dite « du commandant Arnaud » en est la preuve. Elle est précipitée par une nouvelle défaite aux Nuits-Saint-Georges le 18 décembre 1870, à proximité de Dijon.
La présence d’un bataillon lyonnais dans cette déroute crée une vive émotion dans la ville. Un élan révolutionnaire né alors sur le plateau de la Croix-Rousse. Le 20 décembre, les émeutiers cherchent à prendre la ville pour la préparer, notamment, à une potentielle attaque. Le commandant Antoine Arnaud, chef d’atelier canut, vient en renfort à un de ses collègues, le commandant Chavant. Ils tentent de s’opposer à la foule.
Après avoir été pris à partie par des femmes, le commandant sort son pistolet et tire. La foule l’arrête alors et le traîne au café Valentino. Là, il est jugé par un tribunal populaire et condamné. Traîné sur le boulevard de la Croix-Rousse, il est rapidement fusillé.
« Contre le mur, il crie : « Vive la République ! » alors que ses assaillants crient également « Vive la République ! ». Évidemment, dans son cas, il s’agit d’une république modérée. Pour les autres, on parle plus d’une république sociale. »
Bruno Benoit, historien lyonnais
Comme le 28 septembre, l’insurrection n’ira pas très loin. Les insurgés n’arriveront même pas jusqu’à l’hôtel de ville, se dispersant dans les pentes de la Croix-Rousse. Le commandant donnera son nom à une place lyonnaise, preuve de la victoire d’une république modérée.
« L’explosion d’émotion populaire retombe assez vite après l’exécution. Mais elle va pousser le préfet et le procureur de la République de la ville à agir plus fermement. »
Matthieu Rabbe, auteur du livre Les communards à Lyon – Les insurgés, la répression, la surveillance
22 mars 1871 : les canons sur la place des Terreaux
La période insurrectionnelle n’est pourtant pas terminée. Le 22 mars, les Communards répondent à l’appel de la Commune de Paris, commencée avec la prise des canons des collines de Montmartre et Belleville, le 18 mars 1871. 350 officiers de la garde nationale se rassemblent avec des révolutionnaires (anarchistes, internationalistes, ouvriéristes, etc.) et prennent le contrôle de l’hôtel de ville.
« Des canons sont placés sur la place des Terreaux. Selon certaines sources, ces derniers n’avaient même pas de munitions ! Néanmoins, il faut se méfier de ces détails. Certains auteurs aimaient à se moquer des communards… »
Matthieu Rabbe, auteur du livre Les communards à Lyon – Les insurgés, la répression, la surveillance
À Perrache, l’armée de ligne se prépare à reprendre la ville. Mais rien ne se passe. Après une journée de flottement, les Communards, sans l’appui de la population, quittent l’hôtel de ville, sans effusion de sang. Une nouvelle fois, la mairie revient à Jean-Louis Hénon, sans massacre.
La seule « bataille » sera finalement celle du 30 avril. A l’entrée de l’actuelle grande rue de la Guillotière se tiendra une des dernières révoltes lyonnaises d’ampleur. Sans canons, les Communards ne parviendront pas à tenir la mairie de la Guillotière. L’épisode insurrectionnel prend finalement fin sur la rive gauche du Rhône.
« La Commune est plus un crépuscule qu’une aube pour un certain type de luttes sociales »
Bruno Benoit, historien lyonnais
La Guillotière : nouveau quartier des luttes sociales de Lyon
Pour l’historien, l’événement marque un « glissement typographique des révoltes sociales » à Lyon. Comprenez : la Croix-Rousse, autrefois quartier populaire, n’est plus la terre d’insurrection lyonnaise. La plupart des réunions se passent dans un faubourg moins surveillé par la police, car plus difficile à contrôler : la Guillotière. Comme la Croix-Rousse et Vaise, ce dernier a été rattaché à Lyon (correspondant alors au 1er et 2e arrondissements) en 1852. Il est le lieu de la dernière émeute d’ampleur à Lyon. Il est aussi là où continuera l’organisation des luttes sociales de la ville.
« Les communards qui ont construit des barricades à la Croix-rousse le 30 avril les ont démontées eux-mêmes »
Matthieu Rabbe
Certes, certains canuts ont participé aux insurrections. Mais ces derniers se sont retrouvés au milieu d’ouvriers de la métallurgie, des chemins de fer… Bref, d’autres professions plus présentes à la Guillotière.
« Le quartier a toujours été une porte d’entrée de la ville, avec une forte immigration. À l’époque, certaines témoins parlent d’un quartier « cosmopolite et suspect », même parmi les soutiens des communards. »
Matthieu Rabbe
Du côté de la ville, Florence Delaunay, adjointe au maire de Lyon, souligne également cette caractéristique historique. Dans le cadre des réflexions en cours autour de la Guillotière et de la place Gabriel-Péri, elle rappelle qu’un atelier évoquera la mémoire du quartier. Pour la rentrée, elle espère pouvoir organiser une journée d’étude sur le sujet pour pouvoir avoir un regard le plus précis possible sur cette période.
« Nous voudrions aussi mettre en avant le rôle des femmes, cruciales dans les mouvements sociaux lyonnais. Je pense notamment aux ouvrières de la soie, les ovalistes », indique-t-elle.
En grève en juin et juillet 1869, certaines d’entre elles ont probablement participé aux différents événements de la Commune.
Un événement avec des conséquences politiques indéniables
Dans ce marasme, la Commune de Lyon aura une particularité notable : son faible nombre de morts.
« A Lyon, le désordre commença plus tôt et se prolongea plus longtemps qu’en aucune autre ville de France. Et cependant, en dépit d’une sorte d’exaltation mystique, particulière aux Lyonnais et capable de les porter (…) jusqu’aux pires violences, nous avons fait, sans d’irréparables avaries, la périlleuse traversée du 4 septembre 1870 au 1er mai 1871. »
Louis Andrieux, procureur de la République, acteur controversé de cette période, dans son livre La Commune à Lyon en 1870 et 1871
Pour Bruno Benoit, la cause de cette faible mortalité est à chercher du côté du « traumatisme de 1793 ». Pour rappel, cette année-là, la ville prise à tort pour une « petite Vendée », est massacrée par les révolutionnaires après un long siège. Un décret pris par la Convention annonce même alors que « Lyon n’est plus ». Un événement qui poussera, selon lui, la plupart des élus lyonnais à s’éloigner des positions extrêmes pour gouverner au centre.
La politique menée par Jean-Louis Hénon, maire de Lyon de l’époque, a ainsi été habile, évitant d’agacer les révolutionnaires, sans leur donner raison. Preuve en est : le drapeau rouge hissé sur l’hôtel de ville. Ce dernier ne sera retiré que tardivement. Une attitude qui a eu des conséquences politiques, selon Matthieu Rabbe. Si les communards se détournent de la municipalité lyonnaise, cette dernière ne sera pas nécessairement regardé d’un bon œil par le pouvoir versaillais, aux manettes en France, après la Commune de Paris. Des notes de la Police attesteront de la surveillance d’élus lyonnais par les services du gouvernement, selon ses recherches.
Autre enseignement : la Commune de Lyon a avant tout été anti-cléricale. Si des partis très variés de la gauche républicaine et révolutionnaire ont participé aux événements, les rares mesures visaient l’Église (séparation de l’Église et de l’État, suppression des subventions aux congrégations, etc.). La construction de la basilique de Fourvière – tout comme celle du Sacré-cœur à Paris ou de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille – visera à répondre à cet anti-cléricalisme et à rapprocher les ouvriers de la foi oubliée.
Enfin, elle marquera profondément une division entre gauche révolutionnaire et réformiste.
« Avant le 4 septembre, tous les Républicains dans l’opposition à Napoléon III étaient unis sous la même étiquette. Cette opposition se fragmente après cet événement », reprend Matthieu Rabbe.
Des divisions à l’échelle nationale, comme locale, qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.
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