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Coup de poker au procès de deux policiers de la BAC à Lyon

« La décision que vous prenez m’est insupportable ». C’est ce que le jeune Arthur Naciri, victime de violences au cours d’une manifestation contre la réforme des retraites, a lancé à la présidente du tribunal correctionnel de Lyon, Margareth Stragier. La magistrate a renvoyé à septembre prochain le procès des deux policiers de la BAC de Lyon accusés de les avoir commises.

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Coup de poker au procès de deux policiers de la BAC à Lyon

Avant cela, un débat a malgré tout eu lieu sur la construction de l’enquête et l’utilisation des images de la scène de violences qui a eu lieu le 10 décembre 2019 à Lyon.

C’est un coup de poker qu’a joué ce mardi devant le tribunal correctionnel de Lyon Laurent-Franck Liénard. Cet avocat médiatique qui fut un temps celui d’Alexandre Benalla, venu de Paris pour défendre deux agents de la BAC (brigade anti-criminalité) a demandé le report de l’audience. Au motif que ses clients ne seraient simplement « pas les coupables » des coups « volontaires » portés à Arthur Naciri.

Il y a tout juste deux jours, la partie civile a ajouté au dossier deux photos, extraites d’une vidéo révélée par Rue89Lyon et déjà connue des enquêteurs mais qui, si l’on zoome, montrent le tonfa d’un policier sous le nez d’Arthur Naciri. On le voit là encore pris dans un demi-cercle d’agents comme dans un piège, plié en deux ce 10 décembre 2019 à Lyon, le visage commençant à saigner.

Des éléments qui abondent dans le sens de nombreuses autres images déjà étudiées dans l’enquête, mais qui ont quasi joué en défaveur de la victime, puisqu’ils ont permis à Laurent-Franck Liénard de demander un « supplément d’information » et une « expertise médicale » des blessures, du nez à la lèvre, comptant aussi neuf dents cassées.

Arthur Naciri entouré de ses proches lors de l’audience du 23 février 2020, devant les photos de la scène de violences qu’il a subies en 2019. ©DD/Rue89Lyon

« Je ne défends pas ce genre de policiers »

L’avocat parisien a joué une carte relativement inattendue, allant même jusqu’à s’indigner devant la réalité des violences subies par Arthur Naciri.

« Elles sont illégitimes et insupportables. C’est une blessure extrêmement grave, ce n’est pas anodin. Je ne supporterais pas que mes enfants perdent des dents en allant manifester. Même s’ils ont petit peu provoqué, etc. »

Toutefois, pour lui, cela ne peut pas être l’agent de la BAC Jérémy M. qui serait « trop grand » pour avoir porté le coup de tonfa. Ce ne peut être non plus son collègue de la même brigade, Sylvain P., qui a malgré tout reconnu pour sa part « un ou deux coups dans les jambes », pensant aider à une « interpellation ».

Laurent-Franck Liénard a sorti le grand jeu, faisant planer l’ombre d’une hypothétique brebis galeuse dans la police :

« Alors il y a un policier qui a tapé Monsieur Naciri et qui se tait. Il travaille peut-être tous les jours à côté de mes clients. […] C’est une certitude désagréable. […] Je ne souhaiterais qu’une chose, c’est qu’on l’identifie, de manière à ce que l’abruti qui a commis cet acte soit jugé, à ce qu’Arthur Naciri obtienne justice. »

Et d’ajouter une remarque toute particulière pour cet avocat connu pour représenter les forces de l’ordre :

« Et je ne le défendrai pas car je ne défends pas ce genre de policiers. »

Laurent-Franck Liénard, l’avocat est ses deux clients, agents de la BAC à Lyon, au tribunal correctionnel de #Lyon. ©DD/Rue89Lyon

L’IGPN de Lyon fustigée pour son enquête

Dans le rapport de l’IGPN (inspection générale de la police nationale, autrement connue sous les termes « police des polices »), plusieurs agents ont été interrogés, avant que deux seulement, appartenant à la BAC, ne soient renvoyés devant le tribunal correctionnel.

Toutefois, dans leurs propos tenus à ce moment auprès des enquêteurs et retranscris dans le rapport, des tensions sont lisibles entre les différents policiers -qui se renvoient la balle ou tentent de minimiser leurs implications propres.

Laurent-Franck Liénard a ainsi réclamé à la présidente du tribunal de saisir un « service d’enquête efficace et compétent ».

À demi-mot, il a fustigé le travail de l’IGPN de Lyon. « Cherchons, creusons, allons plus loin », a-t-il déclaré. Suggérant même de faire appel à l’IGPN de Paris ou encore l’IRCGN (pôle judiciaire de la gendarmerie nationale) « qui ne serait pas partie prenante et parfaite pour ça ». Un service d’enquêteurs « qui décortique les images ».

Car ce sont elles qui sont au cœur de ce procès de policiers.

Des photos de la scène de violences policières à l’origine de l’enquête

L’audience de ce mardi 23 février, si elle n’a pas abouti au débat sur le fond de l’affaire, a malgré tout démarré de façon intense, dans le vif du sujet, avec la projection sur deux écrans de plusieurs images.

Tout d’abord des photos de la scène dans laquelle Arthur est frappé, suivies d’une vidéo montrant comment le jeune homme avançait en marchant avec une certaine nonchalance juste avant d’être basculé au sol, puis d’une autre vidéo plus bavarde concernant les coups portés sur le jeune homme.

Pour rappel, c’est grâce à la diffusion des photos de Bastien Doudaine, médecin mais aussi photographe sur des événements sociétaux, par Rue89Lyon, que le dossier d’Arthur Naciri a pris une tournure publique, puis judiciaire.

Arthur Naciri, quelques minutes après avoir été passé à tabac par des policiers place Bellecour, le 10 décembre 2019. © Bastien Doudaine.

Dans le contexte bouillant du projet de loi « sécurité globale » et de son article 24 remettant en cause le travail de production d’images de policiers durant les manifestations, l’affaire d’Arthur Naciri a un écho très particulier.

La salle d’audience, ce mardi, était ainsi pleine de proches de la victime, de soutiens fonctionnaires des deux policiers, de membres du « comité contre les violences policières » mais aussi d’un grand nombre de journalistes.

Ce qu’a subi Arthur Naciri, « insupportable et inacceptable »

Le procès avait déjà été renvoyé à cette date du 23 février, le 10 décembre 2020. Arthur Naciri attendait donc avec impatience des réponses. Jérémy M. et Sylvain P. ont tous les deux d’ailleurs déclaré à la présidente du tribunal qu’ils ne comptaient pas rester silencieux.

Mais l’avocat de ces deux agents de la BAC a choisi ce jour une autre stratégie. Sa demande, revenant finalement à relancer totalement l’enquête, a été entendue par la présidente du tribunal qui a accédé à tous ses aspects (un supplément d’information et une analyse médicale des blessures).

De quoi atterrer Thomas Fourrey. Pour l’avocat d’Arthur Naciri, tout est déjà sur la table et « il ne fait pas de doute à cette date que Jérémy M. est bien l’auteur du coup porté au visage ».

Le parti pris de son adversaire a pu paraître déconcertant. En effet, si le travail de nouveaux enquêteurs sur le corpus d’images désigne et confirme l’implication des deux agents de la BAC, alors le propos de Laurent-Franck Liénard concernant la « manifestation de la vérité » et le caractère « insupportable et inacceptable » de ce qu’a subi Arthur Naciri aura une résonance toute particulière.

Le procès a été reporté au 28 septembre 2020 -un délai bien long pour le jeune homme qui est sorti du tribunal furieux.


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