Comment peut-on me demander de garder mon humanité en me coupant de ceux qui me permettent de m’accrocher à ce monde, de ces liens qui m’ont fait ce que je suis au plus profond de moi ?
En prison, il est particulièrement compliqué de garder le lien avec l’extérieur, et surtout c’est particulièrement couteux !
Je n’aborderai ici que les liens quotidiens et non les parloirs et unités de vie familiale des sujets qui méritent à eux seuls un article.
« On ne ferme pas les enveloppes car les lettres seront lues par le vaguemestre »
En prison, la méthode la plus classique pour communiquer, c’est la voie postale. Au début, cela peut être un peu dépaysant mais on finit très vite par se lasser. Il faut savoir qu’en détention, tous vos courriers sont lus sauf ceux que vous adressez à une autorité (juge, avocat, ministre).
Dans la pratique, on ne ferme pas les enveloppes car les lettres seront lues par le “vaguemestre”, un surveillant qui s’occupe des courriers entrants comme sortants.
Sachez donc que si vous envoyez une lettre en prison, elle sera lue avant d’être transmise à l’intéressé·e. Aucune vie intime, aucun jardin secret, c’est le maitre mot. Parfois, la correspondance peut être photocopiée, voire bloquée et cela pour tout un tas de raisons qui ne sont parfois même pas notifiées. La liberté d’expression n’a pas sa place en ce lieu.
« Je n’ai pas cessé d’écrire aux proches mais je le fais avec précaution »
Il y a un certain charme aux relations espitolaires mais après des mois et des années, ce charme s’estompe, surtout lorsque l’on sait que tout est relu.
Je n’ai pas cessé d’écrire aux proches mais je le fais avec précaution, sans me livrer vraiment. Rien à voir avec le journal intime. Une fois libre, je l’affirme, finies les cartes ou les lettres. L’ironie, c’est que pour l’instant, ce qui donne un peu de liberté, c’est tout de même l’écriture, via ces billets qui me relient à vous, lecteurs.
Plus sérieusement, la nécessité de communiquer uniquement par courrier crée une discrimination pour ceux qui ne savent ni lire, ni écrire. Ils se trouvent face à un handicap supplémentaire, en proie à un isolement plus profond encore.
« Au téléphone en prison, les conversations sont écoutées »
Outre l’écriture, il y a le téléphone. Mais là aussi les conversations sont écoutées et peuvent être enregistrées. Un répondeur vous en informe clairement avant que ne débute la conversation.
Pour pouvoir passer le moindre appel à l’extérieur, il nous faut au préalable attester du lien avec la personne, fournir un justificatif de la ligne et une attestation de la personne que l’on souhaite joindre, cette dernière doit attester qu’elle est d’accord pour recevoir des appels.
« L’argent, le nerf de la guerre… »
Une fois cette étape franchie et comme à l’extérieur, il faut de l’argent pour passer un appel, le nerf de la guerre.
L’administration pénitentiaire fait appel au niveau national à une société privée qui gère le réseau téléphonique dans son ensemble. Quel accord existe entre les deux parties, je ne sais pas, toutefois, ce que je peux affirmer, c’est que quelqu’un se remplit les poches au passage et grassement.
A partir du pécule dont nous disposons, nous pouvons recharger un montant ou un forfait sur notre compte “téléphone”, cependant, il n’y a pas de forfait illimité comme c’est le cas à l’extérieur. Une somme représente un crédit de minutes, par exemple, un forfait de 40 euros représente 10 heures de conversation sur un fixe ou 4 heures sur un portable.
Regardez combien de minutes vous passez au téléphone et imaginez la somme que vous auriez dépensé très facilement en discutant comme vous le faites souvent…pensez aussi que nous n’avons pas de portable donc pas possibilité de SMS.
Si vos correspondants ont une ligne fixe, cela nous coûte moins cher, en revanche, il est beaucoup plus coûteux d’appeler un portable et pas mal de gens maintenant, n’ont pas de fixe.
On appelle sa famille, quand le lien existe encore, quelques amis et aussi l’avocat. Imaginez la déprime lorsque la personne pour qui l’on s’inquiète ne répond pas ou que vous ne pouvez appeler parce que votre compte est vide.
« Une frustration de plus qui peut rendre dingue »
Ces dernières années, les prisons ont évolué positivement grâce à l’installation de cabines dans les cellules. Cela nous donne la possibilité de contacter nos proches (sachant que c’est à sens unique, ils ne peuvent pas, eux, nous appeler mais laisser un message).
Avec cette possibilité d’appeler les proches et de recevoir des messages sur répondeur, nous sommes sur la bonne voie mais au prix où sont les minutes, n’est-ce pas créer une dépendance que nous n’avons pas les moyens d’assouvir, une frustration de plus qui, croyez moi, peut rendre dingue ? Le maintien des liens familiaux est une belle idée, cependant, dans les faits cela se révèle si laborieux qu’on préfère souvent rester seul.
« Lorsque les liens familiaux subsistent ne faudrait-il pas tout faire pour les préserver ? »
Les jours sans, ceux où l’on ne reçoit pas d’appel, l’absence pèse plus lourd encore sur ces journées sans fin. Bien sûr, l’incarcération, le basculement d’un proche du mauvais coté de la barrière peuvent faire éclater les liens familiaux, mais lorsqu’ils subsistent, ne faudrait-il pas tout faire pour les préserver ? N’est-ce pas là l’un des éléments indispensables d’une sortie réussie, l’un des moyens en tout cas, d’éviter la déshumanisation, la désocialisation des détenus ?
Comme trop souvent, j’ai le sentiment que les questionnements sur les moyens de faire des prisons des lieux plus utiles, favorisant la réinsertion plus que la récidive, ne vont jamais dans le bon sens, en raison sans doute d’une méconnaissance totale de la réalité carcérale.
Afin de suivre un courant en vogue, je propose un “convention citoyenne sur la prison”. Peut-être que celle-là servira à quelque chose !
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