« l’estime de soi » qui retarde l’accès aux droits. Nous publions son témoignage.
« Pour les personnes que nous suivons, c’est surtout le premier confinement qui a eu un impact fort. Le second a été moins rude, les écoles n’étaient pas fermées et on pouvait aller travailler.
« D’une à deux situations de surendettement par an à deux-trois par mois »
La situation s’est vraiment dégradée, notamment économiquement, dans la foulée du premier confinement. Aujourd’hui on voit des dettes s’accumuler, certaines vont jusqu’à 38 000 euros. Elles ne se sont donc pas constituées en deux mois lors du premier confinement, c’est un processus plus long.
On reçoit aujourd’hui des familles qui sont en situation de surendettement. Certaines cumulent la perte d’un travail et une longue maladie. Depuis mon arrivée au CCAS de Corbas, on traite en moyenne une à deux situations de surendettement par an. En ce moment, on en a deux ou trois mois par mois.
« La fermeture des accueils des services sociaux a rendu la situation plus difficile »
Lors du premier confinement, la fermeture des accueils de services sociaux ou d’administrations a aussi rendu la situation plus difficile. Certaines personnes n’ont pas pu les contacter ou y accéder. On a alors beaucoup orienté les gens. Notamment vers le Secours Populaire, l’Entraide Majolane (association basée à Meyzieu menant une action de banque alimentaire et d’épicerie sociale notamment, NDLR) ou l’épicerie sociale de Vénissieux. On a essayé de mobiliser toutes les aides possibles.
À Corbas, on a mis en place des permanences administratives. On a pu proposer de l’aide pour remplir les déclarations d’impôts. On a ainsi pu évité à certains de dépasser la date limite de déclaration et donc la majoration de 10%. Quand on a des petits salaires et qu’on se retrouve en chômage partiel, devoir payer plus peut vite devenir compliqué.
« On a essayé de cibler au mieux les aides mais ce n’est jamais assez »
Face à l’urgence, on a aussi distribué des aides directes. Sous forme de virements bancaires, de quelques centaines d’euros. Une vingtaine d’aides environ au total. On a aussi apporté des aides alimentaires d’urgence. On l’a fait quand on avait le sentiment que certains n’y arrivaient plus. Je ne refuse jamais de donner des aides, dans le cadre des règles d’attribution. On a essayé de cibler au mieux même si ce n’est jamais assez…
Certaines familles ont un quotient familial très faible. Pour elles, les frais de cantine pour leurs enfants sont très peu élevés. Mais lors du premier confinement avec la fermeture des écoles les enfants étaient à la maison tous les midis.
« On ne voit pas toujours les problèmes au grand jour »
On travaille en lien étroit avec la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) et la Métropole de Lyon qui nous sollicitent pour l’octroi d’aides notamment.
Des voisins, des institutions nous font des signalements pour qu’on puisse orienter ou aider. Corbas souffre de ce point de vue du « syndrome du village » : il y a beaucoup de maisons individuelles alors on ne voit pas toujours les problèmes au grand jour.
On essaye de garder le fil avec tout le monde pour éviter l’isolement. On appelle toutes les personnes âgées ou identifiées comme fragiles que l’on suit. On a aussi fait un suivi, notamment pendant le premier confinement, auprès des parents d’enfants en bas-âge.
« L’état d’esprit de notre public est au renoncement »
Actuellement, je vois surtout une grande souffrance psychique. Certaines personnes ne vont plus chez leur psychiatre. Pour quelles raisons ? Depuis Corbas ce n’est pas toujours facile de se déplacer, il n’y a que des bus et ce n’est pas forcément pratique. Les confinements ont dissuadé certains de sortir de chez eux. Pour d’autres, c’est la peur de prendre le métro dans le contexte actuel.
Au-delà des contraintes ou des craintes, c’est surtout un renoncement qui se fait sentir. Par exemple, peu de personnes à qui on a proposé une aide psychologique l’ont acceptée. Elles renoncent d’elles-mêmes. Et c’est assez révélateur de l’état de notre public actuellement.
« Je dois parfois directement orienter des personnes vers un psychiatre »
Nous, on propose un accompagnement social. Mais en ce moment je vois des personnes en train de glisser et j’envoie des appels en direction des psychiatres. Dans cette période j’ai parfois moi-même directement orienté des personnes vers un suivi psychiatrique parce que la situation m’apparaissait déjà trop dégradée. Sans passer par un rendez-vous avec une assistante sociale.
On essaye de maintenir le suivi psy des personnes qui en ont déjà un. En présentiel ou avec des analyses à distance quand ce n’est pas possible autrement, même si cela n’est pas l’idéal. Parfois, je fais intervenir l’équipe mobile de psychiatrie.
Cette fragilisation que l’on voit en ce moment est inquiétante. Surtout, elle est un vrai frein à l’accès au droit. Les personnes renoncent vite dans leurs démarches et ne font que la moitié du chemin.
Certaines personnes ont des difficultés à se dire qu’elles sont en train de basculer, qu’il faut qu’elles changent de codes. La situation crée chez elles une dégradation de l’image de soi. Alors, beaucoup n’osent même pas demander de l’aide. Ce n’est pas dans leurs habitudes. Elles ont travaillé toute leur vie sans aide et il faut désormais accepter d’en demander.
« Un chef d’entreprise m’a dit ‘ça y est je suis un cas social’ »
On a reçu cette année des chefs d’entreprises qui se sont retrouvés dans des situations difficiles. L’un d’entre eux avait une société dans l’évènementiel, il a dû revenir à son premier métier dans le BTP.
Un autre m’a dit : “ça y est je suis un cas social”. Je lui ai répondu que non, que beaucoup connaissaient une période compliquée avec cette crise et qu’il allait rebondir.
Cette image de soi dégradée m’embête beaucoup. Elle retarde bien souvent la venue de ces personnes vers nous et donc l’activation de leurs droits. Elles arrivent parfois dans une situation déjà dégradée alors qu’on aurait pu actionner des dispositifs plus rapidement. «
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