> Le billet de Philippe Liotard est paru ce lundi 11 janvier 2021 sur son blog Corps, Culture, Education. Nous le reprenons in extenso.
La fatigue, la saturation, l’ennui, l’inquiétude des étudiantes et des étudiants commence à être bien connue. Des enquêtes sortent, des médias s’en font écho. Durant les vacances de Noël 2020, j’en ai eu une vision émouvante et inquiétante, à partir des textes que m’avaient adressés celles et ceux que j’encadrais, en première année de STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), dans le cadre d’un module d’expression et de communication.
« Une vision émouvante et inquiétante »
Le second confinement nous a conduits à travailler à distance, ce que nous faisions déjà en partie. Auparavant, durant le cours, je faisais des lectures de textes à partir desquelles se mettait en place une écriture, puis, avant de partir, il y avait une première lecture des écritures en cours, réalisées par les étudiantes et les étudiants. Ils avaient ensuite jusqu’au début de la semaine suivante pour m’adresser une version jugée finie. La plupart prenait ce temps pour compléter l’écriture enclenchée en cours.
« Le Journal d’un corps »
Au moment du confinement, il fallait proposer une évaluation, dite contrôle continu en cours de formation. J’ai conservé les rendez-vous réguliers à distance et suggéré – en arrière-plan –de travailler à partir du Journal d’un corps, de Daniel Pennac et d’écrire le « Journal d’un corps confiné ».
Les textes remis constituent des témoignages de la vie de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes, inscrits en faculté des sports, âgés de 18 ans, et qui vont se retrouver, pour la seconde fois de l’année (en terminale puis durant ce premier semestre à l’Université) enfermés chez eux, dans l’impossibilité de se rendre à l’université comme de pratiquer le sport. Ces textes abordent le quotidien dans ses différentes dimensions ; le rapport à la famille, aux amis, aux études, au corps et à ce propos à l’alimentation, à l’exercice, à l’immobilité…
« Extraits qui traduisent le mal-être et le vécu angoissant des étudiants »
Je voulais ici lister un certain nombre d’extraits qui traduisent leur mal-être, leur vécu angoissant. Tout le monde ne produit pas des textes désespérés. Néanmoins, chaque texte contient des passages, plus ou moins longs, plus ou moins répétitifs qui indiquent la difficulté à vivre le confinement. La plupart est rentrée dans la famille. Mais ce qui est marquant, c’est que l’isolement est ressenti, par rapport aux ami.es, par rapport à l’université, malgré la présence (parfois pesante aussi) des parents et de la fratrie.
Chaque extrait provient d’un « Journal d’un corps confiné » différent.
Extraits
« Je suis triste d’avoir compris trop tard que ce journal me faisait du bien »
- « Je passe mes journées sur mon lit ou mon ordinateur. J’ai quelques cours qui font passer le temps mais dès que le cours se termine, je retrouve l’ennui qui était déjà là. Mon corps ne veut plus rien faire, il veut se reposer. Je n’ai plus de motivation pour rien. »
- « N’ayant pas cours, mon corps est sans énergie. »
- « je suis de nouveau très fatiguée, je sens mon corps très lourd et sans énergie. »
- « J’ai très peu dormi, je ne sais pas pourquoi je n’ai pas réussi à m’endormir. Je trouve mon corps lourd, plus pesant que d’habitude, j’ai du mal à me lever. »
- « Ce matin sans aucune envie je me lève. En sortant du lit, je sens des douleurs au dos mais également à la jambe droite. »
- « Après un mois à écrire je suis triste, triste d’avoir compris trop tard que ce journal me faisait du bien. Il m’aidait à tenir un rythme, à me lever le matin ou continuer mes cours, aller à mes liens en visio et surtout à ne pas oublier qu’il est important de maintenir un rythme scolaire comme si nous étions à la fac. »
- « Physiquement autant que mentalement, je me sens molle. »
- « Il n’est que 9h mais mes yeux sont déjà fatigués. »
« Je commence à avoir peur pour la suite de mes études »
- « Grosse journée de cours, très peu de pause. 8h/18h sans pouvoir bouger et défouler mon corps à part pour manger. »
- « Mon corps fatigué de ne rien faire, j’enchaîne les crampes et le manque de contact humain se fait ressentir. »
- « Je déprime. J’en ai marre. J’essaie de tirer du positif de ce confinement mais c’est dur. »
- « Ce matin aucune énergie, je n’avais envie de rien faire… j’avais les bras ballants, les jambes molles, vraiment très fatiguée. »
- « Moi qui habituellement trouve très facilement le sommeil et bien ce n’est plus le cas, c’est un calvaire ! »
- « Je ne fais plus aucun effort, je ne m’habille plus, je ne me maquille plus, je ne me coiffe plus, je ne fais plus rien, et quand je me vois comme dans cet état, je déprime encore plus »
- « La motivation et l’envie ne sont plus du tout au rendez vous. »
- « Cela va bientôt faire trois semaines que je suis confiné et la fatigue commence à se faire ressentir et le moral est au plus bas. »
« Je n’arrive plus à résister, je craque et je pleure »
- « Cela devient de plus en plus difficile de se motiver à travailler à la maison. »
- « Je commence à avoir peur pour la suite de mes étude. »
- « Il est dix huit heures, j’ai passé une journée fatigante, je n’ai rien fait. »
- « Je n’arrive plus à résister, je craque et je pleure. »
- « Je sens que je suis toujours fatigué, comme si je n’avais pas dormi. »
- « Ce qui est problématique avec ce confinement, c’est que nous perdons tous l’envie de faire quoi que ce soit. »
« Je pleure une fois toutes les deux nuits »
- « Je n’ai pas de cours aujourd’hui. Je me lamente sur mon lit avec des pensées qui me détruisent. »
« Mon esprit est fragile et mon corps me le fait ressentir. »
- « Mes nuits ? Elles sont toujours aussi horribles. Je vis avec des pensées horribles. Je pleure une fois toutes les deux nuits. »
- « J’en aurait passé des jours à taper sur ce clavier d’ordinateur, tous mes doigts posés sur ce clavier. A avoir mal aux yeux à force d’être sur l’ordinateur, à avoir mal au dos, au cou, parce que lorsque je travaille je me tiens mal. »
- « Je suis fatigué je viens de me lever mes os craquent comme si je m’étais réveillé dans le corps d’une personne âgée ce confinement est en train de me rouiller. »
« Je me sens vide, vide de sensations »
- « Je mange n’importe comment mon hygiène de vie n’est pas excellente pourtant je le sais mais cette atmosphère ne m’encourage pas plus à faire des efforts. »
- « Aujourd’hui, je me sens vide, vide de sensation comme si je vivais mais sans rien vivre. Je me sens mal. La journée passe et rien ne se passe. »
- « Mon esprit est fragile et mon corps me le fait ressentir. »
- « En sortant de la douche avant de m’habiller, je me suis trouvée flasque et moins tonique. »
- « Je fais ce qui est nécessaire sous ce toit mais aujourd’hui tout est plus dur, tout est plus lourd. »
- « Seule toute la journée, j’en deviens folle. »
- « Il ne se passe rien. Je répète ma routine. Je ne sais même plus ce que je ressens. Mon corps répète ces gestes encore et encore. Je suis vide. Ça n’a plus de sens. Je réitère juste les mêmes choses, chaque jour. »
- « Je me mords l’intérieur de la lèvre jusqu’au sang, et je me gratte la peau de la main jusqu’à ce que l’on voit ma chair; »
- « Une journée totale d’ennui devant mon ordinateur à suivre les cours à distance. »
- « Je me sens faible, faible mentalement, faible physiquement, faible tout court. »
« Je suis prisonnier de ma propre maison, dans mon corps d’humain »
- « Aujourd’hui je ne me sentais pas bien, que ce soit moralement ou physiquement j’étais à sec. »
- « je ressens la tristesse et la lassitude reprendre le dessus. »
- « En plus de la pression des cours et de ce quotidien dépressif j’ai l’impression de me sentir de moins en moins bien dans mon corps. »
- « Déjà que mon quotidien est répétitif alors si celui-ci deviens désagréable cela risque d’être long… »
- « L’ennui est au centre de tout en ce moment, peu de cours, peu de personnes chez moi. »
- « Je suis prisonnier de ma propre maison dans ma peau d’humain. »
- « En tant qu’ado de 18 ans dans un corps d’1m87 et 75KG c’est compliqué de rester sans rien faire. »
- « Sans rien pour me divertir, personne pour me parler, j’ai erré sans but dans ma maison tel un zombie, avant d’enfin pouvoir me recoucher, que cette journée se termine. »
« Ma vie se résume à l’ennui »
- « Ma tête est lourde. Ce confinement pèse sur mes épaules. L’absence pèse aussi sur mon cœur. »
- « Je suis en état pseudo-dépressif depuis mon réveil et la perspective de travailler à distance chez moi. »
- « Ce soir mes émotions ont pris le dessus et je n’ai pas su les contrôler. »
- « Je sens comme une fatigue non expliquée, puisque que je dors bien et j’ai un sommeil de 8 heures chaque nuit »
- « Mon moral est proche de zéro, car c’est ma première année en France et je vais passer deux mois cloîtré dans un appartement »
« Depuis une semaine je grignote toute la journée »
- « Les jours se ressemblent et s’assemblent et c’est de plus en plus dur de se lever le matin »
- « Depuis une semaine je grignote toute la journée. J’entame à dix heures un paquet de chips puis à onze heures j’enchaîne avec un paquet de bonbon et tout ça dans ma chambre devant mon écran. »
- « Je suis fatigué de faire mon sport à l’appart, c’est devenu plus déprimant que jouissif. »
- « Je n’ai ni le courage, ni l’énergie, ni l’envie de faire quelque chose. »
- « J’ai passé la journée au lit. Ma vie se résume à l’ennui. »
« Je me sens seul et plus ça va, plus je me renferme sur moi-même »
- « Je me sens ballonnée à longueur de journée et j’ai de plus en plus de douleurs à l’estomac qui me réveilleraient presque la nuit. »
- « L’ennui prend le dessus, j’ai de moins en moins de cours en visio-conférence, je me sens seul et plus ça va, plus je me renferme sur moi-même. »
- « Tout comme les émotions, la douleur peut parfois être difficile à écrire, tout ce que je peux dire, c’est que ma douleur psychologique est bien au-dessus de ce que j’ai pu ressentir auparavant. »
- « Je suis fatigué. Fatigué par les cours. »
- « Je ne suis aucun cours, je n’ai pas pris la peine d’allumer mon ordinateur ni de mettre un réveil. »
Les intertitres ont été rédigés par Rue89Lyon.
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