Situé quai Saint-Vincent, ce lieu est aussi appelé le « Grenier d’abondance ».
Pierre Desmaret, comédien et metteur en scène, a fait partie de la délégation intersyndicale reçue par le directeur, dans l’après-midi. Il fait le récit de cette rencontre avec un « drac » démuni, dans ce combat pour la réouverture de tous les lieux culturels.
« Ce mépris ressenti par la filière est dangereux »
Pour peu que les masques le laissent voir, il y avait là, ce mardi, une majorité d’artistes, techniciens, enseignants artistiques, artistes plasticiens ainsi que quelques directeurs de salles privées et municipales ; une banderole du TNP tenue par des salariés, et l’adjointe à la culture lyonnaise, Nathalie Perrin-Gilbert.
À noter l’absence de représentants du SYNDEAC dont l’acronyme rassemble, notamment, les centres dramatiques et scènes nationales. Si ce rassemblement reste modeste en regard des mobilisations contre la loi sécurité, il montrait néanmoins que le « milieu » lyonnais tenait à se signaler à l’occasion du maintien de la fermeture des lieux et établissements de culture.
Quasi absents de « l’appel des indépendants« , quelque peu resserré autour des musiques actuelles, les acteurs du spectacle vivant peinaient à trouver une action collective : le gouvernement aura réussi à mettre les soi-disant « non essentiels » contre lui.
Et l’impact psychologique, le « mépris » ressenti par la filière en regard des facilités faites aux lieux de cultes et commerciaux, est peut-être encore plus dangereux que les conséquences de ces fermetures sur l’emploi des artistes, techniciens, permanents, intermittents (s’il en reste) à l’avenir.
« Nous appelons à une redistribution plus équitable de l’argent public dans la culture
« Le plus difficile, c’est de ne pas avoir d’horizon«
« Injonctions contradictoires, conséquences lourdes pour les intermittents »
Revenons à l’événement extra et intramuros de la « cathédrale de la création » (c’est à dire la Drac), le moins en moins bien nommé « grenier d’abondance ».
Après les prises de paroles de, en particulier, l’un des organisateurs de l’action à Lyon, Christophe Jaillet du SFA-CGT, une délégation (composée du syndicat national des arts vivants, de techniciens SNAM-CGT, des enseignants CGT, d’une représentante du collectif unitaire 69, d’artistes plasticiens, et donc de moi-même, représentant la fédération du Spectacle FO), a été reçue par le directeur Marc Drouet et Bastien Colas directeur du pôle Création et Industrie culturelles.
À nouveau les revendications unitaires (oui, absolument toutes les organisations ont signé le document) ont été lues :
- soutien pour le travail (demandé par le ministre Jean Castex) en résidence et en création ;
- soutien à l’Éducation Artistique et culturelle (EAC) et les conservatoires,
- garantie du maintien de l’accès aux droits sociaux
- et enfin – si ce n’est surtout – aboutir à la réouverture aux publics des lieux de culture.
Dans un esprit de plateforme revendicative, les artistes plasticien.es sont intervenu.es pour rappeler la situation dramatique dans laquelle certain.es se trouvent.
Les enseignants déplorant la rapidité opportuniste des annonces de réouverture des classes (annoncées par tweet dans la matinée du 15 décembre !), les injonctions contradictoires, menant à des situations compliquées pour le respect des règles sanitaires. Le collectif 69 rappelant la dégradation générale et la paupérisation accélérée des plus précaires ; évidemment.
Les délégués « spectacle vivant » ont exprimé tout l’arbitraire des décisions prises par le gouvernement, l’absence de concertation et de visibilité des soutiens financiers annoncés, et les conséquences prévisibles quant à l’emploi – en particulier – intermittent dans notre secteur. Si cette introduction est un peu longue, nos interventions le furent aussi mais c’était sans compter la « réponse » de Marc Drouet, directeur de la DRAC.
« Maintenir le ‘désir de création’, vraiment ? »
Plus habitué à des séances musclées de négociations entre représentants « paritaires » de nos secteurs, j’ai assisté un peu ébahi à une congratulation sur « l’unité des parties revendicatives », sonnant pourtant comme un avertissement fort que le gouvernement via le ministère devrait entendre.
Ce directeur a fait beaucoup d’efforts pour nous rassembler dans un même mouvement de « défense de la création », nous enjoignant à « redonner du désir de création » a priori aux public(s), aux français, aux citoyens.
Je ne voyais pas bien en quoi toutes et tous ne faisions pas justement ce que nous pouvions pour maintenir du « désir de création » mais j’en ai conclu, sans réponse concrète, qu’il s’agissait, peut-être, de ne pas céder aux sirènes du tout numérique.
On était prié de se rappeler aussi que, si nous étions dans une démarche collective, le truc du Ministère c’était la « CRÉATION » ce qui lui a valu ( et à raison) les foudres de Vincent Bady du SYNAVI, lui rappelant que depuis longtemps les salariés du spectacle alternaient des heures dans le « subventionné » ou le privé et que les compagnies, la plupart du temps non aidées par la DRAC, fournissaient le gros de l’emploi artistique en France tout en étant peu soutenues avant, pendant et après la crise sanitaire par le fonds d’urgence. Un fonds dont l’utilisation reste pour le moins opaque.
Une efficacité des référés pour ouvrir demain ?
Marc Drouet, homme visiblement affable et sûrement compréhensif a rappelé à quel point ses équipes étaient sur le pont et au contact de cette « souffrance sociale » qui a été largement évoquée par les délégués.
Alors, en sachant qu’il ne pouvait pas y avoir d’annonce fracassante, le directeur est apparu bien hors sol, évoquant donc ce « désir de création » que nous redonnerions tous, dans une belle fraternité retrouvée… D’une certaine façon, il est allé lui aussi sur le thème des « Jours heureux », siphonné par Emmanuel Macron qui faisait rien moins qu’une référence au Conseil National de la Résistance.
Au final, la DRAC, en tant que service déconcentré de l’État, n’est d’une part pas forcément le meilleur interlocuteur vis-à-vis de décisions relevant du ministère de l’Intérieur et du cabinet du Premier ministre. Surtout si le directeur reste dans son rôle et ne répond que sur sa « compétence ».
D’autre part, on aura beau regretter l’absence de Roselyne Bachelot à la conférence de presse de Jean Castex, faire dans le sarcastique avec les bandeaux « non essentiels » sur les comptes Facebook, espérer dans l’efficacité des référés pour rouvrir les lieux en janvier, tout ça ne dissimule pas la difficulté centrale pour ce mouvement social, à savoir incarner un réel contrepoids face à ce gouvernement.
Réglons les problèmes structurels d’égalité
Or, ce rassemblement l’exprime, il y a de tels dysfonctionnements sociaux, de tels problèmes structurels d’égalité, d’efficacité budgétaire, qu’on ne peut pas continuer, au Grenier d’abondance comme rue de Valois, à camper sur ces notions de distinction bourdieusienne, sans accroche sur le réel.
Le soutien massif à l’emploi salarié artistique et technicien qui va être nécessaire, ne peut être confié au seul bon vouloir des établissements nationaux et à leurs directions, le fonds d’urgence ne peut pas servir qu’à renflouer les structures privées (pour les loyers par exemple). Quelle couverture sociale pour des plasticiens, des auteurs, précarisés mais « sans patron » donc « sans salaire » ?
La liste du chantier n’est pas exhaustive et, peut-être, chaque service, d’une collectivité ou d’une autre, a pu découvrir, lors de ces deux confinements, toute la richesse et la complexité de la « création » que l’on ne devrait plus justement nommer « présence » artistique.
Dans les services, chez les élus de tous bords, il va bien falloir regarder au-delà des champs de compétence, car au milieu, dans le « no sub’s land », tombent et gisent les communards de la culture et des arts, sur les feuillets déchirés des droits culturels.
Chargement des commentaires…