Le 17 décembre, c’est la journée internationale de lutte contre les violences commises contre les travailleuses du sexe (lire encadré).
A Lyon, cette journée résonne de façon particulière. Selon le Strass (le Syndicat du travail sexuel), l’ancienne ville de Gérard Collomb, champion des arrêtés municipaux anti-camionnettes, est une des trois villes de France les plus répressives à ce sujet, avec Paris et Toulouse.
Depuis près de 20 ans, à coups d’arrêtés municipaux, la Ville de Lyon mène la vie dure aux prostituées, comme a pu le constater Jérôme Bénozillo au cours de ses tournées. Depuis 16 ans, le Capotier (une marque déposée) vend ses préservatifs aux prostituées de Lyon et de sa périphérie. De Perrache, où la plupart des camionnettes étaient installées, il les a vu partir à Gerland puis quitter peu à peu Lyon.
« Il devait y avoir plus de 250 camionnettes derrière la gare, se souvient l’entrepreneur. Aujourd’hui, hors période de Covid, on doit en trouver une centaine la nuit dans le 7e arrondissement. »
Les arrêtés municipaux anti-prostituées : une invention de Gérard Collomb
Durant ses différents mandats, Gérard Collomb a progressivement repoussé les prostituées du centre-ville de Lyon puis hors des limites de la ville.
En 2002, l’ancien maire prend un arrêté contre le racolage passif en centre-ville. Il devance ainsi de quelques mois l’instauration de ce délit dans la loi « Sarkozy » de mars 2003 – délit finalement abrogé en 2016. Puis, en 2006, un premier arrêté municipal « anti-camionnettes » est pris pour le quartier sud de Perrache qu’on appelle pas encore Confluence. Il est suivi en 2008 d’autres interdisant le stationnement sur l’ensemble du quartier de Gerland (7e arrondissement et une partie du 8e), là où les prostituées ont finalement déplacé leur camionnette (voir le chronologie à la fin de l’article).
Pour échapper aux PV et mises en fourrière, les prostituées s’éloignent peu à peu en périphérie et sur les routes nationales.
Seules, elles peuvent se retrouver à la merci de malfrats de passage.
« C’est impossible de savoir le nombre exact de filles agressées, car beaucoup n’iront jamais porter plainte, souffle Jérôme Bénozillo. Mais je pense que sur Lyon et sa périphérie, on peut en compter une trentaine sur l’année. »
Certaines ont péri à la suite d’agressions (lire par ailleurs).
Les associations unies contre les arrêtés
Pour beaucoup, ces arrêtés municipaux ont plus d’effet que la loi du 13 avril 2016 qui pénalise les clients de prostituées.
Selon le Progrès, pas moins de 7800 contraventions pour non respect de l’arrêté municipal sur le stationnement des camionnettes avaient été dressées en 2018 dans le secteur de Gerland.
En comparaison, le procureur faisait état de seulement 36 verbalisation de clients sur Lyon et sa métropole en 2019, dont 30 dans le quartier de Gerland. « Chez les forces de l’ordre, beaucoup soulignent la difficulté d’interpeller un client et de prouver le délit », remarque Antoine Baudry, de Cabiria. Résultat : les camionettes jouent à cache-cache avec les forces de l’ordre.
« Les arrêtés les obligent à changer de place en permanence, reprend Jérôme Bénozillo. Dès qu’une voiture de police arrive, elles bougent.»
Face à ce constat, toutes les associations, y compris le mouvement du Nid, pour l’abolition de la prostitution et opposé politiquement au Strass, se retrouvent unies contre ces arrêtés municipaux et, plus globalement, une politique municipale qui pénalise les prostituées.
En juin dernier, la mairie dirigée encore par Gérard Collomb, avait disposé des plots en bétons, empêchant le stationnement de certaines camionnettes. Bloquées, plusieurs prostitués s’étaient rapatriés sur le quartier de la cité jardin. Là, elles avaient été attaquées à coup de mortier par des individus opposés à leur venue. Des camionnettes avaient été incendiées, comme l’a rapporté le Progrès.
« Avec les mises à la fourrière de très nombreuses camionnettes, c’est une politique contraire à l’esprit de la loi du 13 avril 2016 [qui pénalise les clients de prostituées après avoir aboli le délit de racolage, ndlr] et une nouvelle preuve de la mauvaise direction prise par les autorités locales », s’était insurgé le mouvement du Nid dans un communiqué, à la suite de ces incidents.
Le collectif d’associations qui appelle à manifester ce jeudi 17 décembre ne dit pas autre chose. Mais ses mots :
« Sous les mandats du maire Gérard Colomb, la ville de Lyon a adopté huit arrêtés anti-prostitution ou anti-stationnement de camionnettes, ce qui en fait la ville pionnière et la championne de la répression. L’abrogation en 2016 des dispositions sur le racolage a pourtant émis un message clair : les travailleur·se·s du sexe elles-mêmes ne devraient jamais être pénalisé·e·s pour l’exercice de leur activité. »
La municipalité écolo se donne le temps de la concertation
Associations et travailleuses du sexe mobilisées espèrent donc du changement de la part de la nouvelle majorité écologiste, en théorie favorable à leur cause.
En 2003, puis en 2014, le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts (EELV) s’était prononcé contre l’usage de ces arrêtés municipaux.
« Compte tenu de ces positions, on a l’impression qu’il n’y a pas de raison que cela ne se fasse pas, constate Cybèle Lespérance, secrétaire générale du Strass auprès de Rue89Lyon. La question : c’est quand ? »
Sept ans après la dernière motion du Conseil fédéral, les écologistes, maintenant au pouvoir à Lyon, se montrent moins catégoriques. L’équipe en place se donne le temps de rencontrer « l’ensemble des acteurs » avant de prendre une position claire.
« Nous récupérons une situation complexe. Pour pouvoir agir, il faut d’abord que nous connaissions tous les leviers », défend Mohamed Chihi – l’adjoint à la sécurité en charge de la question – quand on évoque les diverses motions prises par EELV.
Première mesure concrète : l’équipe a demandé à la police municipale de ne plus verbaliser les camionnettes ne respectant pas les règles de la zone à faible émission (ZFE) car « elles ne circulent pas ».
Pour la suite, Mohamed Chihi veut rencontrer les riverains, associations et acteurs concernés avant de prendre une décision. Lorsqu’on évoque les tensions entre les prostituées et la police municipale, il souligne que cette dernière sera aussi concernée par ces échanges.
« Les forces de l’ordre ont aussi été fatiguées par cette situation. Il y aura un dialogue. »
Récemment élu conseiller métropolitain, l’adjoint à la sécurité représentera la Métropole à la Commission départementale de prévention et de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle. Florence Delaunay, 19ème Adjointe au Maire de Lyon, déléguée aux droits et égalités, représentera pour sa part la Ville de Lyon. Constituée en 2018, plus de deux ans après le vote de la loi, cette commission a pour but de « lutter contre le système prostitutionnel » et d’aider les personnes désirant en sortir.
Une municipalité « ouverte à la discussion »
Début décembre, une rencontre entre trois élus et la directrice de cabinet du maire d’une côté et l’association Cabiria de l’autre a eu lieu en ce sens. Un échange positif pour Antoine Baudry, animateur prévention de l’association.
« Nous les avons sentis ouverts à la discussion. Cela n’a rien à voir avec l’ancienne municipalité. Auparavant, nous étions vraiment dans la répression », constate-t-il.
Du reste, le Strass et Cabiria sont d’accord avec le fait qu’une concertation est nécessaire en amont avec les riverains. Cabiria aimerait même organiser des réunions d’information entre travailleuses du sexe et habitants, à l’image de ce qui avait pu être fait à Gerland, en 2009.
Pour le Strass, tout l’enjeu sera de faire remonter cette question dans les priorités de la municipalité.
« Le sort des travailleuses du sexe est rarement à l’ordre du jour », souffle Cybèle Lespérance.
Pour la secrétaire générale du Strass, Lyon a une importance stratégique. Si la mairie change de politique à l’endroit des travailleuses du sexe, son exemple pourrait être suivi par d’autres villes.
Récemment, une décision du tribunal administratif de Lyon est allée dans son sens. L’instance a invalidé un arrêté anti-camionnette pris par la mairie de Chassieu. Pour Lyon, en revanche, le temps du recours est passé. Seule la nouvelle municipalité peut retirer l’arrêté.
Crise sanitaire : une situation toujours critique
Avant cela, il faudra traiter en priorité les conséquences dévastatrices de la crise sanitaire et économique. L’activité des prostituées a chuté avec le (re)confinement. Jérôme Bénozillo peut en témoigner. Depuis un mois et demi, le Capotier a vendu 20 boites de 144 préservatifs. Hors confinement, c’est le chiffre qu’il vend en une demi-journée.
Souvent sans autres sources de revenu que leurs passes, les travailleuses du sexe sont dans une situation d’extrême précarité. Certaines sont contraintes d’accepter des rapports non protégés, soumises à un manque de clientèle, selon les associations. « Difficile également d’obliger les clients à porter un masque », remarque Antoine Baudry. Pour leur venir en aide, Cabiria a mis en place une nouvelle cagnotte.
« On a pu parer au plus urgent grâce à la cagnotte du premier confinement, mais beaucoup conservent des dettes de logement à rembourser », constate Antoine Baudry.
À l’échelle nationale, Cybèle Lespérance et le Strass rencontreront ce 17 décembre Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Le syndicat espère remettre sur la table la création d’un fond d’aide national pour les travailleuses du sexe, enterré par l’ancienne ministre, Marlène Schiappa.
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