Edith Kauffer est politologue, professeure et chercheuse au Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social de San Cristóbal de Las Casas, Chiapas, dans le Sud du Mexique. Elle réside cette année au Collegium de Lyon, Institut d’Etudes Avancées inscrit dans l’Université de Lyon, membre des réseaux français et européens des IEA.
Il accueille des chercheurs habituellement en poste à l’étranger pour mener leur projet de recherche innovant pendant cinq à dix mois.
La conférence sera animée par Isabelle Michallet, professeure à l’Université Jean Moulin Lyon 3. le podcast des échanges sera disponible dès ce jeudi.
L’Usumacinta, un point environnemental menacé
L’Usumacinta est le plus puissant fleuve du Mexique et de l’Amérique centrale. Il forme un bassin versant où confluent une profusion de cours d’eau, de zones humides et de systèmes lagunaires qui alimentent une exubérante biodiversité.
Son bassin s’étend sur trois pays (Guatemala, Mexique et une minuscule portion du Belize) mais sa dimension transfrontalière n’est guère prise en compte par les États : aucun traité, aucun partage des eaux, pas même une idée de coopération ne serait-ce minime, et encore moins une gestion partagée des ressources hydriques ne sont envisageables aujourd’hui malgré les nombreux positionnements internationaux en la matière.
L’Usumacinta, « singe sacré » ou « lieu de singes » en nahuatl est aussi un territoire extrêmement divers en climats et se trouve au cœur de l’un des 36 hotspots ou points chauds environnementaux du monde appelé le « mesoaméricain » qui figure parmi les dix plus menacés.
En effet, l’essence de l’Usumacinta qui est aussi sa principale faiblesse, est l’abondance environnementale et hydrique dans un espace situé aux confins des États, marqué historiquement par des sociétés de frontières -dans tous les sens du terme. Mais la marginalisation des populations locales, accentuée par leur dispersion et un manque d’accès aux services publics comme l’eau courante et l’assainissement, mais aussi la santé est une des réalités de ce monde profondément rural.
Territoire touché par les inondations, exacerbées par les variations climatiques -comme les ouragans Eta et Iota en novembre 2020-, l’Usumacinta est marqué par les conflits environnementaux autour de la terre et des aires protégées qui occupent 30% du bassin versant. Les résistances locales dérivées des grands projets de barrage et de mini centrales hydroélectriques et qui font face à l’expansion extractiviste (pétrole, palme à huile, plantations) se croisent avec de multiples activités transfrontalières de trafic de ressources naturelles, pièces archéologiques mais aussi avec les couloirs migratoires et de la drogue.
Un des objets peu étudiés dans le corpus bibliographique sur ce bassin versant, sont les sédiments. La longueur de l’Usumacinta, le nombre considérable de ses affluents, le contraste de ses débits saisonniers et sa complexe géomorphologie en font un espace pertinent pour leur analyse interdisciplinaire. Dans le cadre du projet franco-mexicain VAL-USES1 financé par un appel bilatéral ANR-Conacyt2 (2018-2022), un travail de terrain a été réalisé dans 13 sites sur les rives de trois cours d’eau dans des petits villages et des aires plus urbanisées où une diversité de mécanismes d’extraction, d’usages et de formes d’organisation autour des sédiments ont été observés.
Les sédiments représentent une notion inconnue dans le droit mexicain de l’eau et pour les acteurs locaux qui les identifient comme des matériaux pierreux ou de construction. Les habitants du bassin versant les considèrent comme une ressource naturelle infinie et, dans de nombreux cas, comme une opportunité économique pour une activité artisanale, parfois principale mais surtout complémentaire.
Pour les plus pauvres, c’est surtout la possibilité d’avoir accès à une ressource pour améliorer leur habitat et leur qualité de vie.
Une analyse politique pour comprendre les différents enjeux de pouvoir
Peu de travaux en sciences sociales qui étudient les cours d’eau abordent les activités humaines liées aux sédiments. Néanmoins, une analyse politique de l’extraction des sédiments dans la partie mexicaine de l’Usumacinta est extrêmement pertinente afin de comprendre non seulement les mécanismes locaux en jeu mais aussi les différents enjeux de pouvoir associés au sable et aux graviers.
Ainsi, les sédiments de l’Usumacinta et de certains de ses affluents mettent en évidence l’existence de dimensions liées au politique qui permettent de mieux appréhender le phénomène de leur extraction : droit étatique versus pluralisme juridique, diversité des formes locales d’extraction, des acteurs et des technologies, existence de conflits et violences, sous-systèmes politiques locaux organisés autour des sédiments en relation avec des formes d’organisation collective mais aussi associées à certains réseaux locaux d’allégeance. On retrouve ainsi un élément de diversité sociale et politique associé à un territoire complexe, de frontières mais aussi partiellement oublié par les autorités publiques.
La révision des politiques publiques françaises offre un exemple de transformation des dynamiques autour des sédiments aujourd’hui considérés comme des objets de la politique environnementale et comme des éléments à part entière des écosystèmes aquatiques, dont l’extraction est fortement régulée.
L’enjeu de cette recherche est donc aussi de mettre en évidence qu’une gestion intégrée des ressources hydriques doit nécessairement inclure une gestion sédimentaire des bassins versants, qui demeure une totale inconnue dans l’Usumacinta et pour la politique de l’eau au Mexique.
1 Des usages traditionnels à une valorisation intégrée des sédiments dans le bassin versant de l’Usumacinta.
2 Agence Nationale de la Recherche- Conseil National de Science et de Technologie (Mexique).
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