Un millier de manifestants étaient présents ce place Bellecour à 15h. C’est la première fois que patrons et salariés de toutes les corporations confondues étaient appelés à manifester ensemble : Fédération de l’habillement, Union des métiers de l’Industrie et de l’Hôtellerie (UMIH), Toques blanches, secteur événementiel et indépendant…
Tous vêtus de noir, le visage fermé, les commerçants ont fait cercle autour de la statue équestre de Louis XIV. Aux pieds de celle-ci, les organisateurs de la manifestation ont posé une banderole géante sur laquelle figure trois lettres : SOS. À plus d’un mètre de distance les uns des autres, les manifestants ont entonné une reprise de l’Auvergnat de Georges Brassens : “Elle est à moi cette chanson, le p’tit patron qui touche le fond…” Le ton était donné.
Les revendications étaient rappelées : des aides de l’Etat plus adaptées et donc plus conséquentes, le droit au chômage pour les patrons indépendants, la prise en charge des loyers et de l’électricité, ainsi qu’obliger les assurances à reconnaître le confinement comme état de catastrophe naturelle ou de force majeure.
« La situation est vraiment dure pour les commerçants »
Jérôme Dargaud est propriétaire de deux restaurants dans le 2e et le 5e arrondissement de Lyon, du nom de “Fiston”. Ses deux établissements sont l’œuvre de sa vie, qui menace de s’effondrer. Ses 26 employés sont au chômage. Lui ne touche rien :
« Avec le premier confinement, on a mangé toute notre trésorerie, sans toucher à notre prêt garanti par l’État. Le second par contre, commence à nous coûter très cher. Nous les patrons, on est des travailleurs non salariés, on cotise mais on ne touche pas le chômage, on ne touche rien. La situation est vraiment dure. »
Jérôme Dargaud avait souscrit à un prêt garanti par l’Etat :
« Au premier confinement, le gouvernement avait repoussé les échéances de nos prêts de six mois, ils ne l’ont pas refait pour le reconfinement alors que la situation est pire. »
« Fermer les commerces c’est provoquer la solitude »
Mirkhoush est propriétaire d’une parfumerie indépendante, au cœur du 2e arrondissement de Lyon. La boutique s’appelle “L’atelier Parfumé”. Psychologue de formation, elle a abandonné son métier pour se lancer dans l’aventure très prenante que celle de patronne. Elle voit une réelle continuité entre son travail de psychologue et celui de commerçante :
« J’ai un lien très fort avec mes clients, on parle beaucoup. Fermer les commerces c’est provoquer la solitude. »
Mirkhoush est dépitée par l’injustice que représente la vente en ligne :
« Je suis en colère contre l’impunité qui entoure Amazon. Toute l’année on conseille, on oriente. Et là, les clients sont obligés d’aller chercher leurs cadeaux de noël sur cette plateforme, l’argent ne va même pas dans des porte-monnaies français ! »
La commerçante insiste : elle ne veut pas que le gouvernement paye pour les pots cassés de la covid. En revanche, selon elle, les assurances devraient être sommées de mettre la main à la pâte :
« Les 1500 euros de l’Etat distribués au premier confinement ne payent même pas mon loyer pour un mois. On demande à l’Etat de reconnaître l’état de catastrophe naturelle, ce qui obligerait nos assurances à nous aider. On cotise depuis toujours et là elles nous laissent couler. »
« La trésorerie des commerçants, elle fond comme neige au soleil »
Hugo est propriétaire de la Trattoria Saint Georges et de la brasserie Gabriel dans le cinquième arrondissement, Pierre du Patio Restaurant à Tassin-La-Demi-Lune. Ils ont toujours été très précautionneux avec la trésorerie de leurs commerces, et sont atterrés de voir tout ce qu’ils ont bâti partir en fumée. Ils tiennent leurs commerces avec leurs femmes respectives, Victorine et Marie. Du jour au lendemain, ces familles se sont retrouvées sans revenu.
Hugo raconte :
« Les 1500 euros qu’on a eus au premier confinement, c’était une ridicule aumône qu’on a mis des mois à toucher. La trésorerie dans nos métiers, elle fond comme neige au soleil. On a reçu aujourd’hui un mail d’information sur les aides annoncées depuis des semaines. Même le plafond de 10 000 euros n’est pas suffisant pour nous faire retrouver une trésorerie viable, et c’est sans compter toutes les petites astérisques du document. »
A l’issue du premier confinement, les deux amis avaient pourtant investi pour reprendre leur activité sereinement :
« On avait tout fait pour respecter les normes sanitaires : on a mis du plexiglass partout, on nettoyait à fond, on avait divisé par deux notre clientèle. »
« Nos établissements, on ne peut pas les perdre »
Daniel Van Den Heuvel a fait de la route pour venir. Il est à la tête d’un hôtel-restaurant du nom de Belvédère, en Haute-Savoie. Il admet avoir fait une bonne saison d’été, mais comme de nombreux Savoyards présents à la manifestation, c’est l’ouverture de la saison d’hiver qui l’inquiète. Son hôtel restaurant est avant tout une histoire de famille.
L’établissement est repris de générations en générations.
« Les murs, ils sont trop importants pour nous. Nos établissements sont des commerces qui sont dans nos familles depuis plusieurs générations. On ne peut pas les perdre, ça représente trop, ça représente tout. »
Il fait part des mêmes inquiétudes que de nombreux commerçants :
« On nous a demandé d’embaucher mais on ne sait pas si l’Etat compte prendre en charge nos employés si au final on ne travaille pas. »
Le patron angoisse déjà du fait que, quoi qu’il advienne, sa principale clientèle hivernale ne viendra pas. Ceux-ci sont souvent anglais, chinois, saoudiens, russes… Il ajoute :
« Il faut aussi compter que les séminaires d’entreprise, les groupes, les réunions sont interdits. Et puis les conditions d’annulation sont devenues si souples, jusqu’à J-4, on perd beaucoup d’argent. »
Pour Daniel Van Den Heuvel, le plus dur, c’est de ne pas savoir :
« Les protocoles sont à l’étude. On ne fait qu’attendre, c’est ça qui est terrible. On est des savoyards, on est des costauds, mais là… »
« C’est la déprime totale pour les commerçants »
Albert, est propriétaire d’un bistrot dans le sixième arrondissement de Lyon : L’Affaire du Six. Pour lui et son successeur, Raphaël Noblet, le moral est en berne :
« Le deuxième confinement est dramatique, c’est la déprime totale. L’Etat va tuer plus que la covid. La pandémie ne tue pas tant que ça (sic). La précarité imposée par le gouvernement par contre… Par exemple on en parle peu mais nos fournisseurs aussi ils sont dans la cata jusqu’au cou. »
Albert aborde aussi l’impact psychologique de ce second confinement :
« On a oublié le sens du mot « vivre ». Mes cinq employés sont au chômage, ils n’attendent qu’une chose c’est de retourner travailler. »
Il se dit gêné par les déclarations du gouvernement. Il a le sentiment que celui-ci se dédouane de la situation devant le grand public :
« Où sont les aides ? A la télé, ils disent qu’on ne paye pas de charges, bien évidemment qu’on ne paye pas l’Urssaf, on n’a pas d’employés, et on ne paye pas la TVA parce qu’on n’a pas de chiffre d’affaire mais on paye tout le reste : le loyer, l’électricité, sans rien toucher. »
« On a un sentiment d’injustice »
Marie-Ange est propriétaire de deux boutiques de vêtements à Oyonnax dans l’Ain. Elle a ouvert la première en 1987, pour cette amoureuse du vêtement, ces boutiques représentent l’accomplissement d’une vie:
« Si on ne réouvre pas d’ici deux semaines c’est le dépôt de bilan. Ma trésorerie est à sec, comme mes yeux. »
Thérèse l’accompagne, elle est propriétaire d’une boutique de prêt-à-porter pour femmes et enfants dans la même ville. Elle est aussi présidente du pôle du commerce du Haut Bugey :
« On est des commerçants indépendants. Ce n’est pas comme les grandes surfaces, on a rarement plus de 20 personnes en même temps dans le magasin… peut-être le samedi, et encore. On avait respecté toutes les mesures barrières. Quand on voit le monde dans les grandes surfaces on a un sentiment d’injustice. »
Marie-Ange renchérit :
« Ma boutique fait 180 m2, elle est fermée. A côté il y a une toute petite boutique SFR et un petit opticien, ils sont ouverts. »
Chargement des commentaires…