20H45, lundi 19 octobre. Le couvre-feu est en place depuis trois jours seulement et la terrasse du Ninkasi Guillotière se vide lentement. Un œil sur l’heure, les derniers clients terminent rapidement leurs pintes avant de filer sans traîner. Les quais du Rhône, eux, sont déjà vides.
L’heure du couvre-feu à peine passée, l’immense Bellecour est déserte. Dans la rue des Marronniers, habituellement fortement animée, les terrasses des restaurants sont vides, et les bars ont déjà fermé boutique.
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Livreurs à vélo : le couvre-feu n’a pas ralenti la course
Pour eux en revanche, le couvre-feu ne change pas grand-chose. Ils filent à travers la nuit, sans plus se soucier ni des voitures ni des piétons. Les rues leur appartiennent, et sur leurs vélos ou leurs scooters, un cube si caractéristique sur le dos, ils marquent quelques arrêts pour récupérer des commandes. Livreurs Uber ou Deliveroo, leur activité ne s’est pas arrêtée, en témoigne cet attroupement autour du McDo de la rue de la République, terriblement déserte. La grille du Pathé, 21 heures passées, ne s’est jamais levée.
Une mesure exceptionnelle
Mercredi 14 octobre, il est 20 heures. Emmanuel Macron annonce un couvre-feu sur l’Ile-de-France et huit métropoles françaises, dont Lyon. Une mesure rare en France, utilisée surtout pour contrôler les contestations, comme à la Réunion lors du mouvement des Gilets jaunes il y a deux ans.
Dans son histoire récente, le territoire métropolitain aussi a connu des couvre-feux partiels. Ainsi, il y a quinze ans et un jour, Zyed Benna et Bouna Traoré décèdent à Clichy-sous-bois, suite à une intervention policière. Protestations puis émeutes suivent le drame, d’abord dans les banlieues parisiennes puis dans les périphéries de plusieurs grandes villes françaises, y compris à Lyon. L’état d’urgence est déclaré, le couvre-feu instauré pour les « mineurs non-accompagnés ».
Avant ça, il faut remonter jusqu’en 1961 pour trouver trace d’un couvre-feu en métropole. En pleine guerre d’Algérie, le préfet de police Maurice Papon impose un couvre-feu aux « Français musulmans », selon les termes de l’époque. Une manifestation pour l’indépendance algérienne, interdite à cause du couvre-feu, sera violemment réprimée le 17 octobre 1961. Le bilan est terrible : au moins une centaines de morts. Pour trouver un couvre-feu national, il faut remonter à la seconde guerre mondiale.
C’est la première fois, en revanche, que le couvre-feu est utilisé à des visées sanitaires.
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Les transports fortement impactés
Depuis l’annonce du Président de la République, le Premier ministre Jean Castex a étendu la mesure à 38 départements, et le conseil de défense réuni pour la deuxième fois de la semaine par Emmanuel Macron ce mardi doit accoucher de nouvelles mesures.
L’objectif est toujours le même : freiner la propagation de cette seconde vague, qui touche fortement la région Auvergne-Rhône-Alpes. On parle ça et là d’avancer l’heure du couvre-feu ou de confinements locaux. Tout cela n’arrangera pas les affaires de cette conductrice de taxi.
« Je suis dehors parce que j’ai une course dans 45 minutes à la gare, nous confie-t-elle. Sinon, je serais déjà rentrée, il n’y a aucun client. »
Pourtant habituellement, elle ne s’ennuie pas en début de soirée.
Les bus non plus ne tournent pas à plein régime. De l’aveu du chauffeur du C12, croisé jeudi soir dernier, « c’est très calme ». Habituellement, les jeudis soirs, « il y a beaucoup plus d’animation », estime-t-il. Alors il poursuit sa tournée, à vide ou presque.
Un seul promeneur s’est aventuré sur la place Bellecour ce soir-là. Nicolas, la cinquantaine, promène son chien. Il habite « à deux pas » et profite de l’exception autorisée pour admirer la ville vide, attestation en poche, pendant que son canidé se dégourdit les pattes.
De nouvelles mesures sont attendues avant la fin de semaine. Le durcissement des règles pourrait mettre en péril beaucoup d’activités, déjà durement touchées par le confinement. Bars, restaurants, théâtres, cinémas et salles de sport … Toutes ces activités subissent une nouvelle fois de plein fouet les règles sanitaires. Dans les salles sombres des bars fermés, seules les lumières des tireuses à bière percent l’obscurité.
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