Tribune ouverte à Laurence Loutre-Barbier, auteure, photographe, éditrice associée chez Fage Éditions. Elle organise également des « rendez-vous mortels » au sein de Noir Clair pour des obsèques responsables. Elle a publié « La dernière chambre », chez Fage Éditions en 2010.
Podcast à venir et à écouter à partir de mercredi 21 octobre.
« L’émission de radio « Les Mercredis de l’anthropocène » consacre une édition sur la mort. Nous sommes fin octobre, quelque chose de conjoncturel se dessine, la mort est dans les agendas. Le sujet est d’actualité. Samhain annonce la Toussaint.
C’est le passage de la saison claire à l’obscure, une transition, une ouverture vers l’autre monde, Samhain, une fête païenne qui coïncide avec la Toussaint, hommage aux morts. Dans l’invitation des « Mercredis de l’anthropocène », il est proposé d’écrire pour Rue89Lyon : c’est pour demain.
Le sable coule dans le cristal, des pensées prennent forme, des mots font trace, c’est la clé pour ouvrir le cercle secret des immortels provisoires. Il n’y a pas de limite au sujet, les contours sont ceux de l’écriture quand la pensée est infinie. C’est risqué. Deux chiens dorment au pied du bureau. Hier la nouvelle du couvre-feu pour lutter contre l’épidémie COVID19 est tombée.
Cette fois encore les alchimistes, les quelques philosophes et ceux qui comprennent que tout doit se résoudre à l’épreuve du feu doivent faire un pas de côté. Les deux chiens deviennent mon alibi désormais pour continuer à respirer dehors la nuit en ville. Respirer prudemment quand la mort rôde. Depuis le mois de mars, la mort sature les réseaux sociaux et la focalisation médiatique a participé à une réaction radicale inédite des gouvernements face à une pathologie.
On suspend notre souffle pour éviter qu’il y ait plus de morts encore qui gonflent le décompte morbide.
Un rite symbolique est indispensable pour éviter les deuils impossibles
L’image de la mort est déployée mais pas celles des morts, des gestes, des rituels, de l’attention collective que nous nous devons les uns aux autres. Face à la raison hygiéniste, on frôle aujourd’hui le risque d’une double mort, celle qui anéantit le sens d’une vie qui n’aura pas été transcendé lors d’une cérémonie « juste » en plus de la mort physique de la personne.
On sait pourtant qu’un rite symbolique est indispensable pour éviter les deuils impossibles et leurs corollaires de catastrophes individuelles.
À l’instar des autres animaux sociaux, quand le souffle se rompt, quand le corps s’inanime, on meurt et on s’en remet aux vivants, à ceux qui restent. Le corps est alors pris en charge par l’organisation sociale funéraire.
Si pour s’occuper de ses morts, l’animal n’utilise pas le feu, il est cependant capable de les enterrer.
Tel est le cas des insectes qui appartiennent à des sociétés densément peuplées : ils détournent les corps de leurs défunts et aussi donc de leurs agents pathogènes. Les fourmis déplacent, jettent, ou encore enterrent les petites dépouilles, les termites les enterrent aussi mais à l’intérieur même du nid, les abeilles les évacuent de la colonie.
Certains animaux sociaux, l’éléphant par exemple, peuvent recouvrir par des branches ou des palmes le corps d’un congénère mort. Le corps n’est pas enterré. Il est protégé et sa décomposition se fait donc de façon aérobie.
La crémation, rite funéraire depuis 22000 ans
En plus d’inhumer ses morts, l’homme pratique un rituel. Le mot latin humanitas appartient à la même famille que les mots humus, « sol », « terre », humatio, « action d’ensevelir », « inhumation » et humo, « enterrer », « faire les funérailles ». Il brûle aussi les morts. La plus ancienne crémation connue daterait de plus de 22 000 ans : on a trouvé en Australie les restes incinérés d’une femme, ses os émiettés et ensuite mis en terre avec les résidus du foyer utilisé pour sa crémation.
D’autres alternatives funéraires existent aussi mais sous d’autres cieux : en France nous avons légalement le choix entre l’inhumation ou la crémation. Avec l’accroissement de la population, le passage de l’homme sur la Terre, vivant ou mort n’est pas sans conséquences.
Les funérailles ont un impact environnemental non négligeable. Les cimetières des grandes métropoles sont engorgés, les corps parfois inutilement formolés lors des soins d’hygiène et de conservation. La terre est corrompue et en deçà, les eaux, les nappes phréatiques. Le corps humain installé dans son espace souterrain n’est pas tout-à-fait à son aise non plus pour une métamorphose naturelle quand les végétaux et les animaux morts se décomposent et se transforment en une matière organique simple qui va de nouveau être mobilisée par la biosphère pour recomposer, reconstruire : revivre.
La crémation fait disparaître le corps, c’est un autre choix, avec la même conséquence que l’inhumation, à savoir soustraire le corps mort du processus positif et naturel de décomposition. La pollution est atmosphérique essentiellement, bien que d’autres problèmes soient aussi identifiés.
Si d’autres alternatives funéraires, parmi lesquelles l’humusation, sont certainement à légaliser pour le bien-être de la planète et le nôtre, toutes sont indissociables de « sens, soin et respect », carburant pur de l’humanité.
La mort à l’heure de l’Anthropocène, le mercredi 21 octobre.
Avec :
– Martin Julier-Costes, socio-anthropologue, chercheur associé au Laboratoire Sociétés, Sensibilités, Soin de l’Université de Bourgogne Franche-Comté, et co-fondateur de Anthropoado. Ses recherches portent sur le traitement social de la mort et des morts qu’il relie aux invariants anthropologiques tels que l’ordre et le désordre, la séparation entre les vivants et les morts ou encore celle du profane et du sacré.
– Laurence Loutre-Barbier, écrivaine, photographe, éditrice associée chez Fage Éditions. Elle organise également des « Rendez-vous mortels » au sein de Noir Clair pour des obsèques responsables et citoyennes. Elle a publié La dernière chambre chez Face Éditions en 2010.
Animation : Jérémy Cheval, École urbaine de Lyon.
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