Ils étaient une cinquantaine à arriver jeudi soir aux Minguettes, à Vénissieux. La plupart sont sans-papiers, accompagnés d’une dizaine de « soutiens », qui marchent pour demander la régularisation.
Partis de Marseille et Montpellier le 19 septembre dernier, ils sont en route pour une manifestation à Paris le 17 octobre.
Leur objectif : marcher jusqu’à l’Élysée pour réclamer la régularisation des sans-papiers, le droit au logement et la fermeture des centre de rétention administrative (CRA).
À la manœuvre à Lyon, un collectif de « sans-papiers » et un autre de « soutiens »
Deux collectifs lyonnais avaient préparé l’accueil des marcheurs dans la capitale des Gaules.
L’un d’eux est tout récent : le collectif sans-papiers 69 (« CSP69 »). Créé en juin sur le modèle du CSP75 – qui existe déjà depuis plusieurs années à Pairs – il regroupe uniquement des personnes sans-papiers aux profils différents :
« Des demandeurs d’asile, des mineurs non accompagnés, des familles, des personnes diplômées ou non », a expliqué Sana, membre du collectif.
La jeune femme, demandeuse d’asile dans le Rhône, revient sur ce qui a motivé la création du collectif :
« On a fait beaucoup de rassemblements à Lyon, mais Macron ne nous répond pas. Donc on s’organise pour manifester pour la régularisation de tous les sans-papiers, sans exception ! »
L’habituel Collectif de soutien aux réfugiés et aux migrants de Lyon (voir encadré) faisait aussi partie de l’organisation. Colette, membre de ce collectif et impliquée depuis de nombreuses années dans le soutien aux migrants à Lyon, explique :
« On cherche à être un soutien pour le CSP. Eux nous disent comment ils voient les choses et nous on essaie de les aider, de leur apporter un soutien logistique. »
Tout au long du week-end, ce sont en effet des membres de différents CSP qui se sont chargés des différentes prises de parole… dans des mégaphones et enceintes estampillées des stickers de différents syndicats, ou bien en conférence de presse à la mairie du 1er arrondissement, remportée par les écologistes aux dernières élections.
« Dans les CRA, les conditions sont inhumaines »
Alors que d’autres marches se rapprochent de Paris au départ de plusieurs villes de France, Lyon a été le point de rencontre entre les marcheurs de l’axe sud et ceux partis de Grenoble. Ces derniers sont arrivés vendredi après-midi sous une pluie battante pour un rassemblement devant le Centre de rétention administrative (CRA) de Lyon Saint-Exupéry.
À l’intérieur du CRA sont enfermées des personnes étrangères en situation irrégulière dans l’attente d’une expulsion, dans des conditions très difficiles, comme Rue89Lyon le racontait après avoir visité le centre en 2013.
Majda est membre du collectif de sans-papiers « CSP69 » :
« Dans les CRA, les conditions sont inhumaines. Au niveau sanitaire, de la nourriture et aussi du comportement de la police, c’est inacceptable ! »
Devant le centre, protégé par un important dispositif policier, les organisateurs avaient installés un barnum fourni par Alternatiba. Mais celui-ci était bien trop petit pour mettre à l’abri la centaine de personnes présentes.
Pendant près de deux heures, le froid et la pluie n’ont pas empêcher les manifestants de danser et de lancer des slogans à l’attention des personnes incarcérées.
Par téléphone, les manifestants ont échangé avec quelques détenus. Oussama, un Algérien en France depuis 8 ans et membre du CSP38, en avait les larmes aux yeux :
« J’ai parlé en arabe avec un Tunisien qui est dans le CRA. Il m’a dit que les chambres étaient surchargées, qu’on les forçait à prendre des cachets pour les calmer. Ils sont maltraités ! Il faut fermer les CRA ! Les gens dedans n’ont rien fait, c’est pas des criminels, ni des voleurs. »
Patrice, membre du CSP75 et qui a marché toutes les étapes depuis Marseille, a même proposé :
« Plutôt que d’enfermer et d’expulser, on pourrait transformer les CRA en centres de formations pour les personnes étrangères. »
Action contre la construction d’un nouveau CRA
Mais les demandes de fermetures des marcheurs sont loin d’être entendues par le gouvernement, bien au contraire. Comme celui-ci l’a annoncé en novembre dernier, un deuxième Centre de rétention administrative va voir le jour à Lyon Saint-Exupéry.
À quelques centaines de mètres du CRA déjà existant, il va doubler la capacité d’enfermement des personnes sans-papiers à Lyon, passant de 120 à 240 places.
En marge du rassemblement de vendredi, un petit groupe de manifestants est parti déployer une banderole devant l’entrée du chantier.
Dans un communiqué envoyé le vendredi soir à la presse, ce groupe dénonce « la machine à expulser que représentent les CRA » et demande « l’abandon de la construction des nouveaux CRA, la fermeture des 24 CRA existants ainsi que la liberté de circulation pour tous.tes » :
« Plutôt que d’allouer des moyens pour trouver un hébergement décent et garantir des conditions de vie dignes pour tous·tes, le gouvernement préfère débloquer des millions pour incarcérer, terroriser, et réprimer les sans-papiers. »
« Si j’avais des papiers, je pourrais travailler et me payer un logement »
Le lendemain matin, samedi, c’est dans l’ancien collège Maurice Scève, squatté depuis deux ans et sur le point d’être expulsé, que les marcheurs et soutiens se sont retrouvés.
Tout au long du week-end, différents squats de l’agglomération ont servi de lieu d’hébergement, de repas et de rencontres pour les différents participants.
C’est là que nous avons rencontré O., un Guinéen vivant au collège qui a souhaité garder l’anonymat. Arrivé en France il y a deux mois, il s’est vu refuser le statut de mineur non-accompagné ne pouvant prouver qu’il a 16 ans :
« L’an dernier, mon père est décédé quand j’étais sur la route en Algérie. C’est lui qui avait les documents pour prouver ma minorité. Ma mère m’a appelé il y a quelques semaines, elle pleurait parce qu’elle n’arrivait pas à trouver où il a mis mes papiers. »
Le jeune homme va donc déposer une demande d’asile, mais se retrouve contraint de vivre en squat en attendant.
Habiba, membre du CSP69, est elle aussi sans-domicile :
« J’ai deux enfants, je suis hébergée chez quelqu’un, mais jusqu’à quand ça va durer ? On est 4 dans un T2 ! On est venu en France pour la liberté et l’égalité. Pourquoi on se retrouve avec cette situation ? »
À Paris, même galère pour Mohamed, un malien en France depuis 2013. Membre du CSP du 20ème arrondissement, il est venu à Lyon ce week-end pour rejoindre le marche. Il raconte :
« Depuis un an et demi, je dors dans des foyers du 115. Des fois j’ai dormi à la rue car il n’y a pas de place. Je veux un logement. Si j’avais des papiers, je pourrais travailler et me payer un logement. »
« Un bout de papier qui nous sépare de l’humanité »
Samedi après-midi, c’est avec une météo bien plus clémente que la veille que les marcheurs ont quitté le collège Maurice Scève pour rejoindre la place Bellecour, où les ont rejoint entre 850 et 2 000 personnes (selon la police ou selon les organisateurs).
Sur place, des membres des différents CSP ont pris la parole au micro, avec pour maître-mot la régularisation « sans conditions » des sans-papiers.
« Sans papiers, on n’a accès à aucun droit, dénonce Hamoudi, un sans-papier qui marche depuis Grenoble, où il vit « à gauche à droite chez des amis ».
« On n’a pas accès aux soins, au logement, c’est la merde. C’est qu’un bout de papier qui nous sépare de l’humanité. Sans ça, on ne nous considère pas comme des humains. »
Pour Amel, membre du « Collectif des immigrants en France », cette manifestation est la dernière étape. Cette maman algérienne a marché de Grenoble à Lyon mais rentre maintenant s’occuper de sa fille de 8 ans à Paris, où elle ira manifester de nouveau pour l’arrivée de la marche. Elle témoigne :
« Je suis en France depuis 4 ans et demi. La loi dit qu’il faut rester minimum 5 ans en France pour se régulariser. Avec mes enfants, c’est compliqué. Ils sont scolarisés, mais je ne peux pas travailler ni les emmener en vacances. »
La manifestation a ensuite démarré en direction de la Guillotière.
Imad est venu après avoir vu des affiches de la marche collées sur un mur. L’homme d’une quarantaine d’années avait passé 22 ans en France et obtenu un titre de séjour, avant de rentrer en 2005 en Tunisie, pays où il a très peu vécu, pour aider sa mère suite au décès de son père. Revenu en France quelques années plus tard, sa carte de résident avait expiré. Depuis, il enchaîne les galères :
« J’ai eu plusieurs promesses d’embauche, mais on m’a quand même refusé le titre de séjour. Je suis en France depuis l’âge de 6 ans, j’ai fait l’école ici. Je ne sais ni lire ni écrire l’arabe. Et puis j’ai cotisé en France pour ma retraite quand je travaillais ! »
« L’État motive les patrons à exploiter les sans-papiers »
Francky, un membre du CSP13 qui marche depuis Marseille, décrit l’imbroglio administratif pour obtenir un titre de séjour :
« On sent une forme d’hypocrisie de la part de l’État : pour nous régulariser on nous demande des preuves de notre présence en France comme des contrats de travail, mais pour avoir le droit de travailler il faut être régularisé. »
Il prend sa situation personnelle en exemple :
« J’ai travaillé au noir dans un grand restaurant marseillais. Pour six heures de travail, j’étais payé 20 euros. Mais je n’avait pas le choix, j’étais dos au mur. Si on ne travaille pas, on meurt de faim. J’ai aussi travaillé sous alias [avec les papiers d’identité de quelqu’un d’autre, ndlr] : j’étais obligé de diviser par deux ce que je gagnais pour laisser la moitié à la personne qui avait les papiers. Je ne veux plus jamais faire ça ! »
Tout au long de la manifestation, ils sont nombreux à avoir raconté des expériences de travail au noir. Des jobs mal payés, voire pas payés du tout, certains employeurs refusant de leur verser quoi que ce soit, parfois après des mois de labeur.
Selon Hamoudi, le marcheur grenoblois :
« L’État ignore les sans-papiers et nous met dans l’oubli. Ça engendre des violences administratives et du racisme. Et ça motive les patrons à exploiter les sans-papiers. »
« On ne va rien lâcher, quitte à camper devant l’Élysée »
Arrivée devant la Préfecture après des pauses places Gabriel Péri et Guichard, la manifestation s’est dispersée dans le calme. Les marcheurs se sont donnés rendez-vous le soir pour un repas au collège Maurice Scève, où ils passent aussi la journée de dimanche. L’occasion de prendre un peu de repos et de faire une journée de discussions, l’étape Lyon-Belleville prévue ayant été annulée faute de contacts pour l’accueil sur place.
Arrivés à 50 depuis Marseille et 30 depuis Grenoble, ce week-end à Lyon a gonflé leurs rangs : les marcheurs prévoient d’être plus d’une centaine à repartir ce lundi direction Mâcon.
Parmi les participants qui rejoignent la marche en cours de route, Mohamed du CSP du 20ème arrondissement :
« Je vais marcher jusqu’au bout, même si je suis fatigué, même si je tombe malade. »
Une détermination partagée par Patrice, du CSP75 :
« On ira jusqu’au bout pour arracher nos papiers ! »
Leïla, membre du Collectif des immigrants en France et fonctionnaire à la mairie de Paris, est venue en soutien à Lyon pour le week-end uniquement. Elle espère que 100 000 personnes manifesteront à Paris le 17 octobre à l’arrivée de la marche, où elle se rendra :
« On ne va rien lâcher. Quitte à camper là-bas si on n’est pas entendu. »
Camper devant l’Élysée s’ils ne sont pas entendus, plusieurs marcheurs se sont dits prêts à le faire. En tout cas, tous ont assuré qu’ils poursuivraient le mouvement jusqu’à obtenir gain de cause.
« Il ne suffira pas d’arriver à Paris pour avoir des papiers, a reconnu Francky, du CSP13. Là-bas, il faudra se coordonner entre les différents CSP de France, c’est pour ça qu’on fera une assemblée après la manifestation. Et si cet acte 3 ne marche pas, on trouvera autre chose pour l’acte 4 et on continuera. »
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