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Une gestion écologique des data centers encore balbutiante à Lyon et Grenoble

Les data centers, lieux où sont stockés nos données informatiques, représentent 10% de la consommation mondiale d’électricité. En France, les métropoles de Lyon et de Grenoble sont des lieux stratégiques pour nos serveurs informatiques, mais la réduction de l’impact sur l’environnement n’est pas encore une priorité.

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Photo d'illustration - data centers Taylor Vick/Unsplash

Envoyer des mails, regarder des films en streaming, stocker des photos sur un cloud en ligne… Ces actions quotidiennes génèrent une pollution dont nous n’avons pas toujours conscience, à travers un immense trafic de données.

Loin d’être immatérielles, ces données sont stockées dans des serveurs, eux-même regroupés dans de grands centres sécurisés : les data centers, ou centres de données.

Pour bien fonctionner, ils doivent être refroidis en permanence, et être allumés 24h sur 24h : leur facture énergétique est donc salée.

La France compte environ 200 datas centers. En région Auvergne-Rhône-Alpes, leur nombre s’élève à 41, dont 14 dans la métropole lyonnaise (chiffres arrêtés en mars 2020). Un chiffre conséquent, puisqu’il s’agit d’une zone stratégique au niveau européen, à la croisée de plusieurs grosses artères de réseaux. Certains centres s’y sont d’ailleurs implantés pour cette raison.


C’est le cas du data center “Rock”, géré par Jaguar Network, ouvert depuis septembre 2018 au coeur du 8ème arrondissement de Lyon.

Data centers, la sécurité avant tout

Pour entrer chez Rock, il faut montrer patte blanche. Dès l’interphone, les caméras veillent. Ici, la sécurité est le maître mot. Les portes s’ouvrent via une empreinte biométrique, la visite se négocie à l’avance en échange de l’abandon de sa carte d’identité à l’entrée.

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En nous guidant de pièce en pièce, Patrick Prade, responsable commercial et ingénieur d’affaires, énumère les équipements dont dispose le centre : un générateur pour produire sa propre électricité en cas de problème, 3 658m2 de bâtiments neufs qui ne fonctionnent encore qu’à moitié de leur capacité… Pour concevoir ce projet à la pointe, la Région a mis la main à la poche, en lui octroyant 640 000 euros de subvention.

Le point d’orgue de la visite est la salle où se trouvent les serveurs, stockés dans des baies proprement alignées. Un vrombissement sourd vient couvrir la voix de Patrick Prade. Dans la pièce, l’ambiance est tropicale.

“Il fait toujours aux alentours de 24 degrés”, détaille-t-il, “des couloirs d’air viennent refroidir des endroits ciblés, on ne tempère pas toute la pièce”.

Cet air soufflé sur les serveurs chauds est créé grâce à un échange thermique avec des tuyaux d’eau fraîche. Celle-ci est refroidie par un pompage de l’air extérieur. Elle est ensuite poussée sous le faux-plancher de la pièce.
Ce système s’appelle le “free-cooling”. Il est l’une des options dont disposent les datas centers pour faire baisser leur température. Problème : il ne fonctionne pas en été, quand la température extérieure est trop haute.

“Pendant la saison estivale, nous utilisons des compresseurs. L’électricité, c’est 70% de notre facture énergétique, le reste est consacré à la climatisation”, explique Patrick Prade.

C’est aussi le plus gros poste de dépense de l’entreprise. Nicolas Pitance, directeur de commercial chez Jaguar Network justifie le choix de ce système de refroidissement plutôt qu’un autre :

“Aujourd’hui, on est assez prudents, on ne veut prendre que des solutions éprouvées.”

Quant à la chaleur produite par les équipements, elle n’est pour l’instant pas réexploitée, même si “le Grand Lyon s’est montré intéressé pour en réutiliser une partie”.

Le « green » data center

A Grenoble, le data center Green Eolas fait figure d’élève modèle. Peu importe la température extérieure, puisque le centre de données se sert d’une nappe phréatique pour tempérer ses équipements.
Frédéric Dulac, directeur du groupe Eolas Business & Decision, détaille :

“L’énergie utilisée pour alimenter les serveurs est une énergie décarbonée. On produit beaucoup d’électricité nous même avec du photovoltaïque. Nous avons aussi un contrat spécifique avec EDF : l’électricité qui nous est fournie vient des barrages de la région. Le data center a aussi été implanté dans un bâtiment déjà existant, pour éviter la pollution liée à la construction en neuf.”

L’eau ne passe en effet que temporairement dans le centre, elle retourne ensuite dans la nappe, avec quelques degrés de plus.

Construit en 2011, le centre était pionnier à l’époque. Mais là encore, la volonté d’avoir un data center “vert” est tout autant née de la nécessité de disposer d’équipements très sûrs que de l’envie d’avoir un impact moindre sur l’environnement.
Frédéric Dulac revient sur la genèse du projet :

“Cela venait d’une souffrance. Dans nos vieux datas centers, nous avions des incidents liés à des problèmes de chaleur. La deuxième raison c’est par conviction green.”

Aujourd’hui, le directeur ne regrette pas cette décision.

“L’investissement initial était plus élevé, mais nous avons presque divisé par deux notre consommation d’énergie, c’est une économie de 60 000 euros par an.”

Un indicateur de performance énergétique insuffisant

Le PUE (Power Usage Effectiveness) du data center Green Eolas, principal indicateur pour estimer l’efficacité énergétique d’un data center, a lui aussi été divisé par 2. Par rapport aux vieux datas centers du groupe, il est passé de 2,2 à 1,29.

“Plus il est bas et proche de 1, et meilleure est la performance énergétique du site concerné”, analyse l’association Green IT, qui sensibilise à une pratique du numérique plus verte.

Le PUE est un ratio calculé en divisant l’énergie totale consommée par le data center (ex : le système de refroidissement et les serveurs) par l’énergie utilisée juste pour les équipements (ex : les serveurs). En moyenne, les data centers français se situent à un PUE de 2,5.
Rock fait également partie des bons élèves, avec 1,35 au compteur.

Indicateur le plus connu, le PUE n’est pour autant pas suffisant pour estimer la performance environnementale globale.
L’association Green IT explique :

“Un site peut avoir des équipements informatiques avec une mauvaise empreinte environnementale, par exemple surdimensionnés ou avec une durée de vie courte, mais un très bon PUE.”

Le calcul du PUE n’intègre pas non plus l’origine de l’énergie consommée par le data center, ni la chaleur valorisée :

“Il n’est pas suffisant pour caractériser réellement l’impact environnemental des data centers”, conclut l’association.

D’autres indicateurs mal connus

Le PUE n’est donc pas le seul indicateur pour mesurer l’efficacité énergétique et l’impact sur l’environnement d’un data center.

Green Grid, un consortium à but non lucratif, à l’origine de la notion de PUE, a créé d’autres critères qui permettent de mieux l’estimer.

  • Le CUE (Carbon Usage Effectiveness) mesure la quantité de gaz à effet de serre que produit un bâtiment.
  • L’ERE (Energy Reuse Effectiveness) mesure l’énergie produite et réutilisée par le data-center, comme la chaleur.
  • Enfin, le GEC (Green Energy Coefficient) prend en compte la part d’énergies renouvelables utilisées dans la consommation globale du data center.

Mais ces indicateurs plus précis ne semblent pas être parvenus aux oreilles des centres de données.
Sana Iffach, responsable de la communication du data center Euclyde, situé à Villeurbanne, répond ainsi quand la question est abordée :

“Ce sont des critères techniques, je ne suis pas au courant, je reviendrai vers vous pour vous les communiquer”.

Elle tient à ajouter :

“Mais nous participons à des événements ‘green’ !”

Même son de cloche auprès de Rémi Grivel, directeur général du data center SynAaps, lui aussi implanté à Villeurbanne :

“Pour être totalement transparent avec vous, je n’avais pas connaissance de ces autres indicateurs…”

Alors même qu’il répond à l’un d’entre eux, l’ERE, qui mesure l’énergie réutilisée :

“On récupère l’énergie des serveurs, et elle chauffe nos bureaux tout l’hiver”.

De même, une charte européenne indiquant les bonnes pratiques à suivre, le “European Code of Conduct” existe. Si elle est signée par certains data centers, dans les faits, aucun contrôle n’existe pour s’enquérir de sa bonne application. Côté institutions, pour ce qui est de la métropole lyonnaise, elle n’a pas non plus cherché, jusque là, à inciter à la sobriété.

Photo d’illustration – data centers – CC Taylor Vick/Unsplash

Data centers sobres : la volonté politique à la traîne

Jean-Vincent Bayarri, architecte informatique à la Métropole de Lyon, explique que “la question des data center s’est posée dès 2012”. La Métropole s’est demandé s’il était nécessaire de construire ses propres data centers, et de se positionner comme fournisseur.

Finalement, le choix a été fait de “mettre le paquet sur le déploiement de réseaux”, et “aider à l’implantation de data centers”. Aucune aide à la rénovation pour les data centers vieillissants, ou encore d’incitation pour aller vers la sobriété, n’a été prévue. Jean-Vincent Bayarri ajoute :

“Pour le moment il n’y a pas de commande politique.”

Jusque là, la Métropole a donc penché vers l’idée de rendre le territoire attractif pour qui souhaite y installer un data center.
Rock s’est ainsi construit sur un terrain qui appartenait à la Métropole.

L’Assemblée nationale a aussi pris des décisions dans ce sens. En octobre 2018, une aide fiscale à destination des data centers a ainsi été adoptée.

Grâce à cet amendement voté dans le projet de loi de finance 2019, les data centers bénéficient d’un tarif réduit pour l’électricité : 12 euros le mégawatt-heure, contre 22,5 euros en temps normal. Une aide fiscale qui pourrait dissuader ces acteurs du numérique d’investir dans des équipements moins énergivores, et de changer leurs pratiques pour s’orienter vers plus de sobriété énergétique.


#data centers

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