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Covid-19 en prison : « Je n’ai pas pu serrer mon époux dans mes bras »

La prison déshumanise et l’épidémie aggrave encore les choses. En cette fin d’été 2020, je trouve nécessaire de faire un nouveau point sur la Covid-19 en prison qui régit nos vies.

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Centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier en Isère CCJeanne-Menjoulet

Je dirais que la différence notable c’est qu’ici, en détention, je n’ai nul moyen d’échapper aux règles qui me sont imposées, qu’elles aient du sens ou non.

Avec la Covid-19 qui nous guette et fait trembler les plus hautes instances de l’Administration pénitentiaire, les journées se font encore plus longues, privée de l’humanité des parloirs et de la réinsertion que je travaille à atteindre par l’unique force de mes deux mains (qui sont, comme les vôtres rêches et lasses du lavage permanent auquel je les contrains).

“Je regarde et écoute ces gens pleins de projets pour les vacances”

A dire vrai, l’été est déjà une période toute particulière derrière les murs. Depuis le début de mon incarcération, j’ai toujours trouvé ces quelques mois étranges.

Les jours se font longs, le soleil entre dans la cellule à travers les barreaux et réchauffe ma peau blanche qui a perdu l’habitude de l’exposition aux U.V.

Quelques oiseaux chantent, rares moineaux ou corneilles, et sur mon petit écran de télévision je regarde et écoute ces gens pleins de projets pour les vacances, retrouvailles familiales, farniente et lâcher prise : la télé, ma seule et unique alliée ici, je sais qu’elle ne me laissera jamais seule dans le silence glaçant de ces murs et qu’elle seule peut, parfois, me permettre de m’évader.

Covid-19 en prison : “L’épidémie avait tout stoppé net, tout ce qui permet un tant soit peu de survivre”

En prison, l’épidémie avait tout stoppé net, tout ce qui permet un tant soit peu de survivre : les parloirs, les permissions de sortie, les activités, les unités de vie familiale (UVF – petit appartement situé dans la prison et dans lequel ont peut partager jusqu’à 72 heures avec un ou des proches). Alors, certes, le déconfinement a permis de retrouver tout cela mais de façon extrêmement contrôlée.

“Lors des parloirs, le port du masque et le plexiglas sont de mise”

Lors des parloirs, le port du masque et le plexiglas sont de mise. Je n’ai pas pu serrer mes proches dans mes bras depuis des mois, même pas mon époux.

Imaginez vous, se trouver dans la même pièce que l’être aimé et être dans l’impossibilité de chercher le moindre réconfort, la moindre preuve de tendresse.

Je n’ai pas pu tenir les mains de mon mari depuis des mois. Dire que la prison déshumanise n’est pas un vain mot et l’épidémie aggrave encore les choses.

“Le confinement peut passer d’une simple contrainte à la double peine”

Le confinement est mis en place lors du retour des UVF, unité de vie familiales ou permissions. Là aussi, les règles sont variables.

Test ou pas test ? Au bout de 8 ou 14 jours ? Si le test est négatif, pouvons nous être déconfinés ? Et puis où nous confiner? Là encore, selon les établissements ou même selon les bâtiments au sein d’une même prison, le confinement peut passer d’une simple contrainte à la double peine.

En effet, être confiné dans sa propre cellule apporte un certain “confort”, une sérénité non négligeable dans un milieu aussi hostile que l’univers carcéral. Mais le confinement peut s’effectuer ailleurs, à un autre étage, dans un autre bâtiment. Cela complique le moment, crée une angoisse, une perte de repères alors qu’il serait sans doute possible de faire autrement.

D’ailleurs, “confinement” n’est-ce pas un drôle de mot dans ce lieu de privation de liberté? Ici, le confinement signifie en plus que nous ne pouvons plus circuler dans la prison et que les activités ou les parloirs sont supprimés. Pas davantage de possibilité de voir médecins ou psychologues. Dans quel état faut-il se trouver pour voir un docteur? Je préfère ne pas avoir la réponse à cette question.

“Le danger ne vient-il pas des surveillants ?”

Les surveillants, eux, souhaitent que nous soyons confinés le plus loin possible de leur personne, par peur d’être contaminés. Mais le danger ne vient-il pas d’eux ? Pourquoi ramènerai-je le virus lors d’une permission ou d’une UVF alors que ces surveillants côtoient le monde extérieur au quotidien?

A croire que je suis une personne à risque parce que je suis ici, écrouée et condamnée. Le risque n’est pas pour moi, ni pour ma santé, non cela n’a que peu d’importance. Le risque n’est pas non plus pour les autres détenues, non, elles ne valent pas mieux que moi. Le risque, c’est pour le personnel de l’établissement pénitentiaire qui a le courage de risquer une éventuelle contamination.

J’ai une pensée pour le monde médical et tous ceux qui affrontent la crise en première ligne, car oui; selon moi, le personnel pénitentiaire n’est pas en première ligne.

Centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier en Isère CCJeanne-Menjoulet

“La crise du Covid-19 en prison renforce notre sentiment d’être plus dangereux·se encore”

Le sentiment que je suis une pestiférée à ne pas approcher de trop prés, avec un casier judiciaire et passage en prison. La crise du Covid-19 renforce notre sentiment d’être plus dangereux·se encore.

Il n’est pourtant pas impossible que les surveillants soient contagieux, pourtant lorsque cela leur chante, ils nous parlent, nous approchent sans masque, touchent nos portes sans s’être désinfectées les mains.

Dans ce cas, je ne peux pas protester mais si je reviens d’un contact avec l’extérieur, il faut m’isoler, m’apporter mon repas par terre à l’autre bous de la cellule. Deux poids, deux mesures.

“Ils ont arrêté de nous distribuer chaque mois une petite savonnette premier prix”

Est-ce drôle ou triste, je ne sais que choisir. J’ai le sentiment que le Covid ne me concerne plus directement, et oui ! Ils ont arrêté de nous distribuer chaque mois une petite savonnette premier prix que l’État nous offrait gracieusement afin de nous prévenir contre le vilain virus.

Pas nécessaire, non plus de nous permettre d’acheter un produit désinfectant pour les sols, les poignées de porte ou autres. Quoiqu’il en soit s’il y a pénurie dans le rayon de produits ménagers de votre supermarché, soyez certains que ce ne sera pas la faute des détenus de France.

Même nos auxiliaires (détenus s’occupant du ménage des coursives) déjà pas gâtés par l’entreprise gérant le contrat, ont vu leurs moyens diminuer. Eh oui, de nombreuses entreprises extérieures passent des contrats juteux avec l’administration pénitentiaire. Au début de la crise, l’achat d’un produit de nettoyage concentré a été financé. Ce produit bien coloré au départ, devient au fil des jours, de plus en plus pâle… C’est comme la savonnette, pourquoi nous protéger, nous les détenus ?

Bon, je caricature peut-être, disons que parfois, l’intention est là mais que les moyens et l’application des règles et les moyens donnés pour leur mise en place sont quelque peu dérisoires, voire sans véritable logique ou raison scientifique.
Cela m’amène à vous dire que si, à l’extérieur, l’application des règles est contraignante, au moins pouvez-vous, dans vos maisons, embrasser les vôtres et profiter d’une liberté sans pareille.


#covid-19

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