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« Les gens ont une vision babacool ou punk à chien du métier de cordiste »

[Métier au corps] Au début de cet été, pour la rubrique l’ «Œil du Lyon Bondy Blog», nous avons rencontré à la Cité Internationale (Lyon 6è) Julien et Thomas, deux cordistes de formation.

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Des cordistes en plein travail ©IM/LBB/Rue89Lyon

Des cordistes en plein travail ©IM/LBB/Rue89Lyon

« Ça va là-haut ? », crie un passant amusé à l’attention des deux cordistes suspendus. Ça discute, ça rigole les pieds dans le vide ; de la musique résonne dans le vent. On entend parfois le bruit des gouttes qui touchent le sol et le soleil se cache un court instant. Julien, 40 ans, et Thomas, 35 ans, ont accepté qu’on les accompagne pour une mission de lavage de vitre sur toute une surface extérieure de 40 mètres, quai Charles de Gaulle.


Ils ont l’air d’avoir la tête dans les nuages mais Julien rappelle que « le but du jeu n’est pas de faire de la balançoire » :

« C’est un métier très physique. »

La main d’un cordiste, ce métier peu connu ©IM/LBB/Rue89Lyon

Julien. Il est cordiste depuis 20 ans mais aussi pisteur secouriste dans les Arcs en hiver :

« J’ai toujours voulu faire la formation de cordiste, je ne me voyais pas dans un bureau. Mais je ne me vois pas faire ça toute l’année non plus. J’aime trop la montagne. »

Les cordistes cumulent souvent plusieurs compétences : maçon, peintre, électricien. « On apprend aussi à bricoler sur le tas », précise Thomas. Intérimaire au sein de la société Everest depuis deux semaines, il travaille toujours en binôme avec un salarié : c’est la règle dans cette entreprise lyonnaise ancienne de bientôt 16 ans.

« Gamin, je voulais déjà faire cordiste quand je les voyais suspendus à la tour Eiffel. J’ai vite déchanté, ce métier, c’est une machine à vieillir, soutient Thomas. Je suis fier de mon métier mais il faut avoir conscience des conséquences. »

Tendinite aux coudes ou aux bras, problèmes de circulation, chutes… Un accident est vite arrivé.

« On ne reste pas plus de 30 à 40 minutes suspendus. Le syndrome du harnais est une conséquence d’une suspension trop longue. La circulation du sang est coupée, on risque une crise cardiaque, des problèmes respiratoires ou un AVC », raconte Thomas.

Ce qui explique d’autant plus la nécessité d’un binôme en cas d’accident.

« En plus de ma formation de secouriste, j’ai fait une formation SST obligatoire pour pouvoir apprendre à secourir sur corde. Cela va avec le CQP 1, certificat obligatoire pour travailler chez Everest », poursuit Julien.

« Je ne veux pas être responsable de l’accident d’un petit jeune »

« Quand je dis aux gens quel métier je fais, en général, ils ne connaissent pas. Quand je leur explique, en revanche, ils sont souvent impressionnés », témoigne Thomas.

Ces professionnels des hauteurs n’ont cependant pas de prime de risque, pas de numéro d’APE, donc aucun recensement des accidents du travail. Des associations comme « Cordistes en colère » estiment que depuis 2006, 23 cordistes sont morts d’un accident du travail. Il n’y a pas de règlementation officielle de l’État pour encadrer ce métier. Les centres de formation se montent seuls, comme la DMPC, créée en 2002 par les partenaires sociaux de la filière Cordiste Française. Ils font des formations qualifiantes dites « CQP 1 », d’une durée de une à cinq semaines, et du « recyclage », soit l’actualisation des mesures de sécurité. Thomas, CQP 2 (7 mois de formation) estime que ces courtes durées ne sont pas suffisantes :

« Elles te forment à la corde mais pas au terrain. Un jour, il y en a un qui est arrivé et il ne savait même pas faire de nœud ! ».

Julien refuse de travailler avec des débutants pour cette raison :

« Non seulement ils travaillent moins bien mais je ne veux pas non plus être responsable de l’accident d’un petit jeune ».

Cordiste à Lyon ©IM/LBB/Rue89Lyon

« La confiance en mes coéquipiers est fondamentale »

« Sur un ancien chantier d’intérimaires, il y avait deux cordistes et l’un a fait un malaise. Il était formé en secourisme mais son binôme non. Quand les pompiers sont arrivés ils ont expliqué qu’il avait fait un AVC sur corde. Peut-être que son collègue n’aurait pas pu le sauver mais c’est la raison pour laquelle je veux bosser avec des gens compétents. La confiance en mes coéquipiers est fondamentale pour moi. »

Ce genre de témoignages n’est pas bien difficile à récolter dans le milieu de la corde. Un « bon coéquipier » est en bonne forme physique, il est sobre, il respecte les consignes de sécurité et il est formé aux situations de secours. C’est ce qu’ils déclarent de façon commune.

Si Julien et Thomas déclarent se sentir bien chez Everest, ils pointent du doigt les boîtes d’intérim « qui engagent des travailleurs sous-qualifiés pour les payer moins cher ».

Il existe toutefois le droit de retrait : un travailleur peut refuser d’intervenir sur un chantier qu’il juge trop dangereux, sans se faire licencier. Le risque est de se faire blacklister par l’entreprise ou de ne pas trouver de travail ensuite.

« On sait toujours ce qu’on quitte mais jamais ce qu’on trouve », sourit Julien.

Le lieu joue beaucoup sur la qualité et la sécurité du travail. La confiance en l’entreprise aussi. À la Cité Internationale, des fenêtres s’ouvrent automatiquement en fonction du soleil.

« Notre corde peut supporter 2,2 tonnes mais sous tension, si une vitre vient à s’ouvrir, elle peut la couper en une seconde. On demande aux entreprises d’éteindre les ouvertures automatiques avant notre arrivée, mais sur le terrain, c’est toujours à nous de faire la démarche : on n’a pas le droit à l’erreur ».

C’est un métier également logistique selon Julien :

« Des bâtiments comme le musée de Confluences, c’est très joli ! Du bon boulot d’archi, mais pour notre travail, c’est contraignant. Les accès sont difficiles, les vitres sont de travers ! On doit être quatre ou cinq pour couvrir toute la surface. »

Aujourd’hui ce sera une journée tranquille de cordiste.

« N’importe qui peut faire cordiste », selon Thomas :

« Mais il faut être sportif de base. Ce métier abime tellement le corps qu’il est rare de faire ça toute sa vie. »

Frigoriste puis commercial, cela fait 6 ans qu’il exerce ce métier. Il lave des murs, dépoussière des moulures au plafond, brise des vitres.

« Ma mission préférée fut quand j’étais perché à 200 mètres de haut sur la Tour Incity de Lyon ! On peut voir des choses que les autres ne peuvent pas », raconte Thomas, évoquant la vue sur le Parc de la Tête d’or depuis le dôme de la Cité internationale.

« Mais ce n’est pas toujours un métier gratifiant, poursuit Julien, un jour, dans des combles on a évacué 50 sacs de 50 litres de fiente. On portait des masques, des lunettes de protection et des combinaisons étanches car c’est acide, ce produit ».

Laver les vitres est une journée de repos pour eux, pas de sceau de 20 litres de peinture accroché au corps ni de suspension trop longue.

« Ça reste physique, tu gaines, tu t’accroches à la paroi, tu t’étends à droite à gauche pour couvrir un plus grand secteur autour de toi, précise Thomas, c’est également une technique : j’ai mis deux ans à la maitriser parfaitement. »

Les plus dangereux pour un cordiste urbain sont les toits en amiante, le vent, les camions qui emmêlent les cordes ou les passants, potentiels victimes d’une chute d’objet. Les cordistes interviennent aussi dans l’évènementiel ou dans l’industrie. Ce dernier secteur est le plus physique : silo, conduit d’aération, chaleur ou produit chimique peuvent être des facteurs d’évanouissements.

« On travaillait sous un dôme hier, la chaleur nous brûlait les mains et les genoux », raconte Julien.

Thomas, en retour, blague : « On a voulu faire cuire un œuf mais on a laissé tomber l’idée »

« Manger équilibrer, faire du sport et bien s’étirer le soir »

Les cordistes avec leurs cordes ©IM/LBB/Rue89Lyon

Le travail du cordiste est rarement facile. On gagne beaucoup mieux sa vie en déplacement, qui peut tripler le salaire. Belgique ou Suisse, ce n’est pas parce qu’on est mieux payé que le travail est plus agréable.

« En Suisse, tu n’as pas le droit de regarder les gens à travers la vitre quand tu les nettoies », raconte Thomas.

« Pour que ce soit rentable, tu fais ton casse-croute, tu dors dans ton camion, sinon tout ton salaire passe dans l’hôtel et la restauration ! », explique Julien.

Les deux cordistes ont laissé tomber ce rythme de vie mais beaucoup fonctionnent ainsi.

« Ça explique cette vision babacool ou punk à chiens qu’ont les gens du métier, il y a beaucoup de vadrouille. ».

Julien et Thomas aiment rentrer chez eux le soir pour retrouver leur foyer. Ce n’est pas permis à tous.

« Certain.e.s ne sont pas prêt.e.s à vivre ce rythme de vie, ni à travailler sous la neige. Chez Everest on touche une prime d’intempérie, c’est un luxe ! » ajoute Thomas.

Même s’ils font peu de déplacement en tant que cordiste urbain, le sentiment de liberté que procure la corde reste le même :

« L’entreprise nous laisse nous organiser tant qu’on finit le travail à temps. Tu as beau avoir le plus chiant des patrons, il ne pourra jamais de crier dessus quand tu es en haut ! » selon Thomas.

D’après Julien, pour durer dans le métier, il faut manger équilibrer, faire du sport et bien s’étirer le soir.

 


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Photo : AnneBouillot

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