Baptiste Jacquet vit et vote à Lyon. Ancien journaliste pour Lyon Capitale, il observe la vie locale désormais à distance. Il présente son texte comme le « simple témoignage d’un déçu de l’ère Collomb ».
« Un maire fraîchement élu avec des ‘heu’ dans toutes les phrases »
« Que dire sur Collomb ? La première fois que j’ai pu l’observer à distance ? C’était lors d’une dernière au Théâtre de la Croix-Rousse. Sur le pot de l’après représentation. Il y avait le regretté Philippe Faure, des copines, des comédiens. Et Collomb, déjà maire. Dès le départ, je l’ai regardé comme un plouc, hors des codes du microcosme politico-culturel de l’époque.
Aucune envie d’aller me présenter ou chercher à discuter avec lui. Je me rappelle d’un maire fraîchement élu qui était très mauvais dans son phrasé, dans sa façon de s’exprimer avec des « euh » dans toutes ses phrases, des mots qui traînent comme si il ne savait pas les agencer les uns avec les autres.
Avec des collègues journalistes, on se foutait bien de sa gueule lorsque l’on a appris qu’il suivait un média-training avec un journaliste de TLM. La férocité d’un milieu face à un socialiste ex-moustachu mal fagoté devenu maire dans une ville très codée, avec ses cercles de déjà-là depuis longtemps, de déjà-là défiants.
J’étais un jeune journaliste à Lyon Capitale. Mon titre avait été blacklisté par Raymond Barre. Barre, le successeur de Michel Noir. Noir, le successeur d’un autre Collomb, Francisque, qui me paraissait très très vieux.
Je n’ai aucun souvenir de l’action du premier Collomb. De Noir, j’ai souvenir d’un jeune au look chiraquien, golden boy beau gosse à la Macron, qui faisait contraste avec le croulant Francisque.
D’ailleurs, on pourrait se demander si Lyon n’aime pas alterner entre un maire jeune puis un très vieux, etc.
Avec le recul, que je n’ai pas encore pour imaginer ce que Collomb Gérard laissera à l’histoire de cette ville, Noir est LE maire qui a ouvert la porte de Lyon sur l’extérieur. Je ne suis pas de son bord politique mais il a su dynamiser cette ville. Le premier Plan Lumière, c’est lui. L’art dans les parkings, c’est lui. Le décrassage de l’aspect « ville de province », c’est lui. Un seul mandat. Mais un grand pas en avant.
Barre ? Raymond Barre, c’est une figure nationale avec tous les clichés du pépère endormi, d’une fin de carrière à faire des siestes à l’Hôtel de Ville.
En fait, tout élu centriste un peu mou est souvent mésestimé. Il ne fait pas trop de bruit mais agit malgré tout. Et plutôt bien : Barre, c’est le classement de Lyon au patrimoine mondial de l’Unesco évidemment. Mais c’est aussi la Cité Internationale, un ensemble architectural magnifique.
En moins visible, c’est aussi Millénaire 3, cette sorte de think tank sur ce que pourrait être la ville demain, une réflexion bienvenue sur toutes thématiques urbaines. En politique, il y a les grues, ce que l’on donne à voir. Et ce que l’on travaille dans la durée, dans le long terme voire très long terme. Tout ce que n’a pas fait Collomb Gérard.
« Aujourd’hui, on peut dire merci à Delanoë d’avoir un peu fait les Berges du Rhône »
« J’ai été vraiment heureux le soir de sa première élection à l’Hôtel de Ville. J’ai eu droit au verre de rouge au QG qui se trouvait au début de la rue de la Charité. On voulait m’offrir une coupe de champagne mais le directeur de campagne a sauté sur la bouteille en faisant comprendre que « la gauche, ce n’est pas le champagne ». Mais du vin. Même pas bon pour faire plus « peuple ». Au début, les symboles étaient importants. Pas de champagne.
Assez rapidement, je me suis rendu compte que Collomb était un débutant, un frustré. Paris venait d’élire Delanoé après des décennies pourries de Chiraquie. Lyon venait d’élire aussi un type de gauche mais les médias s’en foutaient un peu. Normal, les médias nationaux sont tous concentrés sur la capitale. Toute la France était au courant de « Delanoë fait le ménage dans les HLM de Paris », « Delanoë fait Paris Plage ». Et Collomb ? Considéré comme un « bouseux ». Personne pour parler de lui à part la PQR (presse quotidienne régionale).
Alors que faire pour faire parler du nouveau maire socialiste de la troisième ville de France ? Parce que je suis convaincu que Collomb jalousait la médiatisation de Delanoë, qu’il ne comprenait pas pourquoi lui, qui avait ravi la ville à la droite (enfin, Raymond Barre l’y avait vraiment aidé avec les divisions à droite), personne ne voulait parler de lui. Ainsi, Collomb s’est mis à faire du Delanoë.
Il a vendu le quartier Grôlée à un fonds d’investissement avec le succès que l’on connait. Et fait son « Lyon Plage » sur les Berges du Rhône, c’est à dire « les Guinguettes », avant, finalement, de les végétaliser.
Aujourd’hui, on peut dire merci à Delanoë d’avoir un peu fait les Berges du Rhône. Pas vraiment à Collomb qui a été surtout motivé par la concurrence « Paris VS la province », sur ce coup là.
« J’ai voté Collomb pour son deuxième mandat, celui de trop déjà »
Ensuite, je suis entré en opposition avec le maire. Je l’alignais dans tous mes articles. Comme un bourrin. Parce que déjà déçu en quelques mois. Je lui en voulais de n’avoir aucune vision personnelle de la ville, de n’être motivé que par sa frustration du maire provincial qui en veut au monde entier.
À la fin de son premier mandat, il me paraissait déjà converti à la cause de l’attractivité économique au détriment de toutes actions sociales pérennes et riches. On l’avait déjà dressé à la doctrine « embellissement de la ville et de l’événementiel pour la masse afin de gonfler le tourisme, attirer les entreprises pour l’emploi et le moins d’impôts avec de nouveaux habitants prêts à payer des logements hors de prix ».
Finalement, toutes les villes de bonnes tailles appliquent la même recette du mondialisme libéral : on fait une jolie ville, on nivelle la sociologie par le haut du fait du coût des logements, on aplatit l’urbanité, ce qui fait qu’une ville est une ville, ses curiosités, ses diversités.
J’ai voté Gérard Collomb pour son deuxième mandat, celui de trop déjà. On a vu sortir de terre la « phase 1 » de Confluence, un ratage urbanistique monstrueux (qui a eu cette idée de génie de mettre en vis-à-vis des habitations avec un centre commercial ?).
Les copinages avec les industriels sont devenus très visibles, bien trop visibles. Ah, le copinage sous l’ère Collomb. Compliqué. Compliqué pour lui vu le nombre de dauphins potentiels qu’il a flingués. Compliqué d’avoir un avis très tranché sur le copinage entrepreneurial.
Prenons Jean-Michel Aulas, par exemple. Aulas a servi Collomb dans son entreprise de faire rayonner Lyon, mettre Lyon sur une carte via le foot, sport obligé de tout élu. Collomb a servi Aulas en lui offrant l’OL Parc [ou Grand Stade de Décines, ou Stade des Lumières, ndlr] sur un plateau dans un processus administratif purement honteux.
Toujours chez les copains, prenons JC Decaux dont le berceau fut lyonnais, Gilles Vesco, élu de l’opposition, a poussé l’adoption du Vélo’v sur la ville. Pas vraiment Collomb. Le Vélo’v n’est pas sorti d’une vision écologique de Collomb mais d’un membre de l’opposition. JC Decaux a utilisé l’expérimentation lyonnaise du « un vélo en libre service pour tant de panneaux de pubs » afin d’aller vendre le concept à travers le monde et gagner des marchés publicitaires.
Qu’est-ce que Lyon y a gagné ? Pas grand chose à part une pollution visuelle plus dense et un marché de l’espace publicitaire sous quasi monopole de Decaux car « si tu me coupes la pub, je te débranche tes vélos ». Pas très sain, comme système.
« Collomb aura beaucoup bâti du logement cher, du bureau, au détriment des services, des espaces extérieurs à vivre »
Je note que les Verts, nouveaux responsables locaux, ne se sont pas positionnés clairement sur le sujet « vélo VS pub ». Le Vélo’v est certes une réussite populaire mais sans plus d’aide active du politique : les rues se sont vite retrouvées avec beaucoup de vélos mais pas de pistes cyclables dignes de ce nom.
Un ex-confrère journaliste m’expliquait une logique possible du « modèle Gérard » : « Tu vois, ils regardent où il y a beaucoup de vélos en circulation et font des pistes ensuite. Ils s’adaptent ». Très juste. Une logique aussi applicable à la politique de privatisation, bétonisation, densification de la cité menée pendant vingt ans : Collomb aura beaucoup bâti du logement, souvent cher, du bureau, privatisé des espaces publics, au détriment des services, des espaces extérieurs à vivre.
Dans mon quartier, le 7e arrondissement, les nouveaux arrivants dans la ville occupent un appartement neuf et envoient leurs enfants à l’école dans des préfabriqués parce que la mairie attend de voir comment les choses vont évoluer.
On transforme un jardin public en seul jardin pour enfants parce qu’on n’a pas prévu que les nouveaux habitants voulaient aussi pouvoir trouver un lieu public proche de chez eux pour leurs gosses. Tant pis pour les autres habitants qui n’ont pas forcément envie de se poser un moment au milieu de vingt petits hurlants sur l’espace converti. Énervant lorsque l’on espère d’un maire qu’il anticipe un minimum, qu’il prévoit l’ensemble des infrastructures publiques et de cadre de vie avant de signer des permis de construire sur toutes les dents creuses d’un quartier.
« Collomb Gérard a été un faiseur de « made in Lyon »… très arbitraire »
Je ne m’attarderai pas sur l’empreinte spatiale de la bagnole dans cette ville qui renvoie souvent à l’étonnement d’un ami étranger : « vos quais, ce sont des autoroutes ». Ni sur l’empreinte architecturale, sans aucune audace, laissée par le maire déchu (Incity ne ressemble à rien, la belle tour Nouvel aurait du être plus haute mais le roi local ne le voulait pas).
Sur le copinage, toujours, je peux reconnaître à Collomb d’avoir tenté de créer des écosystèmes « made in Lyon » exportables ou ayant un poids suffisamment lourd afin de concourir dans la grande cour des appels d’offres. Je ne sais pas trop quoi penser de cette stratégie du «savoir faire lyonnais » que l’on pourrait aller vendre un peu partout en France et à l’étranger. Tout cela entre dans la politique du rayonnement, du faire face à la concurrence entre villes, entre territoires. Évidemment que le « rayonnement » apporte à une ville.
Et pas uniquement de l’attractivité économique et de « masse » démographique. Elle apporte aussi des échanges humains, culturels, de savoirs. Et une ville ne vit que dans sa capacité à accueillir, à échanger, à évoluer. Le hic avec Collomb est que cette recherche du « made in Lyon », du développement d’écosystèmes modèles s’est trop faite aux dépens de la transparence démocratique, des « petits », des nouvelles générations lorsque ces entreprises de rayonnement n’ont pas été purement et simplement les faits du prince pour ses copains ou contre ses ennemis.
Si je prends les liens avec GL Event, Monsieur Ginon, okay : faire d’une entreprise locale un gros de l’organisation de congrès, d’évènementiels qui ira porter les couleurs de la ville. Mais doit-on en arriver à toutes les manœuvres pas nettes possibles pour aboutir à un « rayonnement » ? Sur la Fête des Lumières, doit-on en faire une fête à neuneus massive aux dépens de petites initiatives locales et humaines ?
Sur la culture, les cultures nouvelles, doit-on tout miser au travers d’une structure comme Arty Farty en négligeant les jeunes pousses, en les soutenant insuffisamment ? Voilà, Collomb Gérard a été aussi ça : un faiseur de « made in Lyon » très arbitraire. Loin de ce que tout habitant pourrait souhaiter de collaboratif ou de concurrences saines à tous les niveaux.
« Je n’ai jamais été son pote et tenais à le signifier dans la presse »
La dernière fois, peut être pas la dernière, que je me suis retrouvé face à lui remonte à, encore, très très loin. Le maire avait décidé que la ligne éditoriale de Lyon Capitale était devenue trop dans le bashing systématique de sa politique. Ce qui était le cas. La lune de miel entre Lyon Capitale et Collomb était passée. Un « je t’aime, moi non plus » démarrait.
Et Gérard décida de couper tous les encarts publicitaires au journal. Couic. En pleine crise «amoureuse » contrariée, je me suis retrouvé aux vœux du Maire à la presse en gardant ma main droite dans ma poche lorsqu’il me tendit la sienne pour me saluer. Je n’ai jamais été son pote et tenais à signifier que, dans la presse, l’écrit est libre autant dans ce pays que dans cette ville. Et dire que l’on ne se venge pas d’articles critiques en coupant la pub que l’on donne plus ou moins équitablement à l’ensemble de la presse locale. Il a certainement dû en avoir rien à foutre. Mais pour moi, ne pas le saluer était important même si, au sein de Lyon Capitale, l’acharnement contre lui n’était pas toujours justifié. C’était vraiment une forme de relation passionnelle, une histoire d’affects.
Les choses de la vie m’ont éloigné de tout ce monde, ces maigres secrets de cour. Parce que Collomb, c’était une cour. Avec le temps, Collomb devenait petit roi. Qui ne le deviendrait pas en restant aussi longtemps sous les dorures de l’Hôtel de Ville, ce lieu si pompeux ? Un petit roi sans fils désigné. Pour la légende et la pérennité dans la mémoire collective, c’est plus compliqué de survivre sans successeur identifié. Le «réseau Collomb » qui va perdurer quelques temps encore saura-t-il inscrire l’action de « Gégé » dans le temps ? Ce« Gégé », affectueux ou moqueur comme le « Tonton », « Chichi », tous ces petits noms « hareu hareu » que l’on donne souvent aux jeunes enfants ou personnes dans leur grand âge. N’ayant guère d’affection pour Collomb, j’éviterai le gentil sobriquet. Je n’ai aucune sympathie pour lui. Ni haine.
Juste que c’était un maire converti à la fadasse formule de « ville attractive » avec la recette qui va bien, bien plus qu’un maire visionnaire, qui réfléchit sa ville, la singularise, ne l’aplatit pas par l’uniformité sociale et culturelle.
Notre nouveau maire [Grégory Doucet, EELV] est-il visionnaire ? Pas certain non plus. »
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