Face à la peur, la maladie et la mort parfois, aux multiples réalités du confinement, aux discours angoissants, au relâchement par endroits des gestes barrières, et à la surabondance d’informations plus ou moins fiables, quoi de plus précieux que l’éducation ?
Après plus de deux mois, les élèves ont retrouvé avec joie le chemin de l’école. Pour l’éducation des enfants, rien ne remplace la nécessité de l’échange physique et non virtuel. L’épidémie de Covid-19 est cependant toujours présente. L’apparition d’un cas positif en milieu scolaire peut faire peur et mérite d’être gérée le mieux possible. Nous aimerions revenir sur le cas de notre école où 450 enfants de l’école Gilbert Dru ont commencé leurs vacances par 10 jours de confinement…
Nos enfants ont pu enfin, le 22 juin dernier, retrouver leur enseignant, leurs camarades, construire collectivement du sens sur l’épreuve sanitaire hors du commun que nous traversons. Environ 80 % des élèves inscrits à la maternelle et 95% à l’élémentaire Gilbert Dru a répondu à l’appel en cette fin d’année, les familles faisant massivement confiance aux personnels de l’école.
Ceux-ci se sont démenés pour les accueillir à la fois paisiblement et dans des conditions sanitaires satisfaisantes, respectant pleinement le protocole en vigueur. Ce qui aurait pu arriver n’importe où ailleurs arriva : une personne – ici un animateur intervenant en primaire – a déclaré des symptômes de Covid-19.
Il était possible que cela arrive dans notre école, comme c’est arrivé la même semaine à l’école primaire des Chartreux, aux collèges Saint Marc et la Favorite, comme cela arrive malheureusement chaque jour, à plein d’endroits en France et dans le monde. Jusque-là, rien d’exceptionnel.
L’école a alors fait ce qui relevait de son devoir : elle a contacté l’Agence Régionale de la Santé (ARS), qui a piloté ensuite les opérations. Au bout d’une semaine, nous apprenions que tous les élèves étaient placés en quatorzaine.
La presse n’a pas tardé à relayer l’information, parfois en la déformant par manque de véritable enquête. Aujourd’hui, nous revenons brièvement sur ce qui s’est passé pour rétablir les faits, lutter contre une stigmatisation hâtive de notre établissement, et interpeller les pouvoirs publics sur cette « crise » qu’ils ont contribué à créer de toutes pièces. L’enjeu n’est pas de régler des comptes, mais de préparer l’avenir, pour qu’à la rentrée prochaine nos millions d’enfants et de jeunes puissent s’installer sur les bancs de l’école en toute sérénité.
Les faits : une transmission limitée, a priori hors de l’école
Le lundi 29 juin, un animateur intervenant en primaire est testé positif à la Covid-19, l’ARS est prévenue et, selon ses consignes, la classe dont il avait la charge le midi est fermée, les enfants et les personnels étant mis en quatorzaine avec la recommandation de passer le test.
Les tests révèlent dans la semaine que trois familles qui se fréquentaient également en dehors de l’école sont touchées, impliquant dans les fratries des élèves de maternelle. Le vendredi suivant, un papier de l’ARS nous recommande de tester tous les élèves des deux écoles et de les placer en isolement jusqu’au 13 juillet. Bonnes vacances !
Ce même courrier précise toutefois que le risque de contamination est « minime ». Samedi matin, la direction de l’école primaire envoie un mail en précisant, d’après le médecin de l’ARS, que les autres membres du foyer (parents, frères et sœurs) ne sont pas confinés et ne seront testés qu’en cas de résultat positif.
En effet, un article publié le 24 juin dernier dans Le Monde, citant le professeur Arnaud Fontanet, qui a mené avec ses collègues de l’Institut Pasteur une étude épidémiologique sur la façon dont des enfants avaient été contaminés par le virus avant le confinement, affirme que :
« nous n’avons pas connaissance dans le monde de cas de Covid-19 dans une école primaire à l’origine d’une chaîne de transmission ».
Les cas identifiés à Gilbert Dru concordent ici avec leur interprétation scientifique de la contamination comme « allant des parents aux jeunes enfants, et non l’inverse ».
A notre connaissance, tous les tests effectués depuis une semaine sont négatifs. Est-ce que cela mérite le nom de « foyer épidémique » que les médias sont prompts à utiliser, rendant si vite notre école célèbre ?
Nos questions à l’ARS et aux pouvoirs publics
Les parents que nous sommes avons dû expliquer à nos enfants, parfois à nos employeurs, nos parents ou encore nos ex-conjoints pourquoi il n’était pas possible de commencer les vacances comme prévu… Alors qu’on nous envoyait faire des tests dans un premier temps aux 4 coins de l’agglomération, nous avons pu être dévisagés dans la rue, la « quatorzaine » étant annoncée dans les journaux.
Avec un manque de communication cruelle, tout particulièrement envers les parents non présents le vendredi à 16h30, il nous a fallu nous organiser dans un temps record pour suivre les recommandations, reçues d’abord uniquement via d’autres parents, sur WhatsApp, ou grâce aux messages des directions du primaire puis de la maternelle, le samedi.
Il était impossible de joindre l’ARS pendant tout le week-end. Elle n’a toujours pas à ce jour répondu à notre courrier du 3 juillet où nous demandions que les tests puissent être faits exceptionnellement sur place, à l’école.
Malgré tout, grâce à la solidarité entre nous, grâce à la réactivité du corps médical et du laboratoire d’analyse le plus proche, qui dès le lundi a testé les enfants sans rendez-vous, nous l’avons fait. Nous avons massivement joué le jeu, comme nous faisons confiance à l’école publique pour prendre soin de nos enfants et les instruire.
Pourtant, alors que les résultats négatifs affluent et que l’on a pour consigne de garder enfermés nos enfants en pleine forme en ce début d’été, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander : est-ce nécessaire ? D’autant que certains d’entre nous se sont entendu dire par l’ARS elle-même au téléphone qu’un test négatif autorisait à un confinement « allégé » sans que personne ne sache vraiment ce que cela veut dire.
Aujourd’hui, c’est aux pouvoirs publics que nous voudrions poser cette question, et avec elle les suivantes :
- Pourquoi mettre les enfants en quatorzaine alors que la reprise de l’école a été décidée sur la base d’arguments scientifiques indiquant que les enfants sont rarement contaminés, que si c’est le cas, ils développent peu de symptômes et qu’ils contaminent très rarement leur entourage ?
- Pourquoi obliger des centaines d’enfants négatifs au test et sans cas dans leur classe – qui n’ont donc a priori pas été en contact avec le virus – à être confinés les 10 premiers jours de leurs vacances, en contradiction avec ce que dit le corps médical qui réalise les tests ?
- En cas de confinement des enfants, quelles solutions pour les parents qui travaillent : arrêt maladie ? chômage partiel ? congé pour enfant malade (mais certains se sont entendu dire que cette option n’était possible que si l’enfant avait des symptômes, ce qui n’est presque jamais le cas…) ?
- Pourquoi l’ARS n’est pas intervenue du tout dans plusieurs autres établissements lyonnais où des cas avérés de Covid-19 ont été détectés, sans qu’aucun dépistage ni aucun confinement systématique n’ait été organisé alors ?
- Qui équilibre le problème du secret médical avec le souci de limiter l’épidémie, lorsque la direction de l’école nous demande des nouvelles de nos enfants et n’est visiblement pas informée par l’ARS de la suite des évènements ?
- Pourquoi l’ARS est-elle allée plus loin que le protocole sanitaire qui indique que le port d’un masque en tissu suffit : l’animateur en portait un, or il a été jugé que seul un masque chirurgical aurait été acceptable.
Et demain, quel protocole pour les écoles ?
Nous déplorons le déferlement médiatique provoqué par ces évènements, qui risque d’alimenter les peurs et de conduire à un absentéisme en septembre, qui touchera sans doute encore une fois les enfants les plus fragiles, déjà bien affectés par la crise sanitaire.
Tout particulièrement, nous sommes choqués de voir que sont relayés en priorité dans l’agglomération les cas survenus à Villeurbanne, Vénissieux, Saint-Fons, et maintenant la Guillotière alors que ceux d’autres établissements sont passés sous silence.
Ce traitement médiatique stigmatisant rajoute au sentiment d’injustice quand on ne comprend pas pourquoi la réponse sanitaire diffère selon les écoles.
En effet, nous sommes stupéfaits de découvrir que l’ARS ne semble pas intervenir dans toutes les écoles concernées, et qu’en son absence la gestion des cas de Covid-19 est moins contraignante, la direction conseillant simplement aux parents de « consulter leur médecin ».
Par endroits, aucune demande explicite de faire tester les enfants, lesquels enfants sont déjà en vacances aux 4 coins de la France voire de l’Europe. Nous ne comprenons pas cette inégalité au sein de la même ville. Est-ce parce que vous nous considérez nous, parents de la Guillotière, comme incapables de prendre nos responsabilités par nous-mêmes ? S’agit-il de profiter de l’occasion pour éprouver statistiquement les tests nasopharyngés sur nos enfants ? Ou au contraire est-on mieux protégé que dans d’autres écoles parce que préserver leur réputation justifie de mettre en danger des vies humaines ?
En tant que parents, nous souhaitons qu’un même protocole clair, fondé sur les données scientifiques et médicales disponibles, s’applique à toutes les écoles de France, dès lors qu’un cas de Covid-19 est avéré.
Nous demandons que ce protocole soit connu de toutes les familles d’élèves scolarisés en septembre avant la rentrée, de façon à rassurer les parents inquiets et à nous assurer de sa cohérence.
Nous pensons que si nous pouvons poser toutes les questions qu’il soulève avant qu’une situation d’urgence n’intervienne, il sera plus facile pour chacun de nous de nous l’approprier, de le relayer, et de le mettre en place correctement au besoin.
Forts de l’expérience de ces derniers jours, nous proposons qu’un tel protocole inclue :
- une information en face-à-face autant que possible, sur place, le jour où une alerte est lancée par l’ARS, avec suffisamment de personnels pour dialoguer séparément avec les familles de chaque classe ; des masques et du gel hydro-alcoolique pour le faire dans de bonnes conditions sanitaires,
- une prise de contact dans les 24h par l’ARS avec les parents absents,
- un message clair sur l’isolement ou non des élèves après un test négatif, ainsi que sur l’éventuel confinement des autres membres du foyer,
- un contact direct 7j/7 pour la direction et/ou des associations de parents (le numéro de l’ARS fourni sur le courrier sonnait souvent dans le vide),
- une mise à disposition rapidement de « Réponses aux Questions Fréquentes » sur la situation précise de l’établissement et les consignes à suivre,
- un dispositif mobile permettant de tester rapidement de nombreux enfants dans l’école elle-même ou à proximité si cela s’avérait nécessaire,
- un système permettant de libérer les parents de leurs obligations professionnelles sans perte de revenu au cas où un confinement serait mis en place,
- la prise en charge, dans la semaine qui suit, de la classe du directeur ou de la directrice, si elle n’est pas fermée, pour qu’il ou elle puisse répondre aux sollicitations nombreuses et diverses des jours suivants.
Nous ne sommes ni des scientifiques ni des personnalités politiques, seulement des parents engagés pour fournir le meilleur environnement possible à nos enfants.
Apprendre à gérer correctement la cohabitation des écoles avec le virus pour les mois qui viennent est indispensable. Mettre en place un protocole juste et raisonné sur tout le territoire, pesant le prix de chaque privation de liberté et de chaque atteinte à la vie privée, est la seule façon démocratique de le faire.
Nous espérons que le désormais tristement célèbre « confinement de la Dru » aura au moins servi à tirer ces leçons… dans le souci de la génération qui vient.
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