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Sars-Cov-2 : « Un virus qui témoigne de la géographie du monde »

Le virus Sars-Cov-2 a fait entrer l’année 2020 dans les annales de l’histoire, et en particulier de l’histoire urbaine, les villes ayant été « vidées » durant deux mois, parfois plus, et partout dans le monde : les habitants ont été assignés à résidence, quasiment toutes les activités et services ont été fermés, la circulation des humains s’est amoindrie comme peau de chagrin (contrairement à celle des autres vivants).

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Lyon confinée - photos prises les 21 et 22 mars ©Adrien Pinon pour l'Ecole urbaine de Lyon

Ce temps a laissé de la place à la réflexion et aux conditions de reprise de la vie urbaine à l’heure d’une conscience de la vulnérabilité de nos systèmes. Cette épidémie n’étant pas la première à entrer dans la ville, quelles transformations ont-elles suscitées ? Quelles mutations pourraient être avancées en ce début de XXIe siècle ?

>> L’Ecole urbaine de Lyon propose une série de conférences intitulées « Les Mercredis de l’anthropocène ». Rue89Lyon en est partenaire et publie à ce titre les tribunes des invité.e.s.

>> Cette dernière séance du 1er juillet est exceptionnellement ouverte au public aux Halles du Faubourg (7ème arrondissement), sur inscription par mail à ecole.urbaine@universite-lyon.fr. L’École assurera l’application et le respect des règles en vigueur de distanciation spatiale ainsi que la fourniture de gel hydroalcoolique sur place ; port du masque obligatoire.

Pour en parler, l’Ecole urbaine de Lyon reçoit Stéphane Frioux, historien, Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Lumière-Lyon 2, membre du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes, membre junior de l’Institut universitaire de France (2018-2023), président du RUCHE. Il dialoguera avec Michel Lussault, géographe, Professeur à l’École Nationale Supérieure de Lyon, membre du laboratoire de recherche Environnement, villes, sociétés et du Labex IMU, directeur de l’École urbaine de Lyon.

>> Nous publions ci-dessous une tribune de Michel Lussault

Le Sars-Cov-2 sera, à n’en pas douter, le personnage de l’année 2020, tant sa « performance » est aussi remarquable qu’inattendue : il  a réussi à gripper, c’est le cas de le dire, le système-monde en moins de temps qu’il a fallu pour le comprendre vraiment, tant nous fûmes et demeurons incrédules face à ce qui nous arrive.

Comment ce micro-organisme a-t-il réussi à s’imposer comme opérateur géopolitique global et à agir bien au-delà de son ordre de grandeur qui est celle des corps qu’il contamine et bien au-delà aussi de sa sphère d’action qui est celle des organismes infectés, pas celle des marchés mondiaux et des banques centrales ?

« Plus aucune réalité n’est indépendante des myriades de réalité »

En vérité, sa puissance est d’origine géographique, car il tire redoutablement parti des caractéristiques du monde contemporain.

Pour le comprendre, on doit rappeler ce qu’est le monde : un système géographique d’échelle terrestre qui procède de l’urbanisation généralisée de la planète, enclenchée dans sa phase la plus active après 1950. Un système, donc, qui englobe tous ses composants (des entités humaines et des entités non humaines) et où tout est interrelié, où plus aucune réalité n’est indépendante des myriades de réalité qu’elle active en retour dès qu’elle même s’active.

Le monde est un buissonnement d’interdépendances, qui mettent en relations spatiales des phénomènes et objets très hétérogènes. Dès que quelque chose advient quelque part, cela déclenche des réactions partout où des liens sont tendus par cette advenue et les effets peuvent être sans commune mesure avec l’impulsion initiale.

Lyon confinée – Ici le pont de la Guillotière. Photos prises les 21 et 22 mars ©Adrien Pinon pour l’Ecole urbaine de Lyon

l’épidémie a provoqué une sorte de réaction immunitaire géographique du système monde

Toutefois, il n’existe pas une chaine causale directe entre le Sars-Cov-2 et la crise mondiale, qui expliquerait mécaniquement ce qui se passe. Le virus ne provoque donc pas « mécaniquement » l’arrêt du fonctionnement du monde. Mais, en devenant vecteur d’épidémie, il a enclenché des boucles de rétroactions puissantes qui ont complexifié et étendu sa géographie. De ce fait même, des sous-ensembles du système global ont rapidement passé des seuils critiques (ici par exemple, celui des capacités d’accueil en réanimation des établissements hospitaliers) qui, une fois franchis, ont emballé encore les rétroactions spatiales et ont engagé le monde dans une situation où plus rien ne paraît aisément contrôlable et encore moins rapidement réversible.

De même qu’un pathogène provoque une réaction immunitaire dans un organisme en brouillant l’information et sa transmission, l’épidémie de Covid-19 a rapidement provoqué une sorte de réaction immunitaire géographique du système monde en brouillant ici aussi l’information disponible.

Celle-ci s’emballe, d’autant plus que nous vivons désormais sous l’empire de l’immédiateté communicationnelle et des réseaux numériques.

Lyon confinée – Ici, le pont de la Guillotière entre 2ème et 7ème arrondissement. Photos prises les 21 et 22 mars ©Adrien Pinon pour l’Ecole urbaine de Lyon

Le Sars-Cov-2 a affolé le récit officiel de la mondialisation

Le Sars-Cov-2 s’est mué en personnage principal d’une autre histoire que celle qu’on a l’habitude d’écouter, il a affolé le récit officiel de la mondialisation.

Le virus doit sans doute en partie son efficacité à son déploiement initial en Chine, dont le développement urbain et économique a orienté la mondialisation. Mais, plus généralement, la carte de son implantation coïncide avec la carte des agglomérations urbaines. Au sein même des zones touchées, l’épidémie a trouvé des foyers particulièrement virulents dans des lieux de rassemblement : temples, églises, stades, marchés couverts, malls. Notre virus a prospéré et prospère encore là où la coprésence est marquée et surtout l’interaction sociale intense.

La géographie du virus suit donc celle de l’urbanisation planétaire car il emprunte les réseaux de liens que celle-ci installe. Il est parfaitement adapté à la mobilisation générale, fondamentale dans notre système-monde, où tout et tous circulent tout le temps et partout.

Ainsi, le virus est devenu un voyageur planétaire, incorporé par ses hôtes et les accompagnant dans tous les modes de circulations possibles et assurant ainsi sa diffusion de pathogène. En ce sens, il est normal que le tourisme ait été un médium idéal tant il s’est mondialisé et massifié — c’est une activité du grand nombre et de la proximité.

Lyon confinée – ici, la rue de l’université (7ème arrondissement). Photos prises les 21 et 22 mars ©Adrien Pinon pour l’Ecole urbaine de Lyon

 Le virus n’est pas un ennemi extérieur mais un « agent » de l’intérieur

Le Sars-Cov-2 chamboule tout sur son passage. On peine à penser l’actualité, plus encore à se projeter dans une sortie de crise standard. Même si la rhétorique de la guerre est utilisée à l’envi, ce virus n’est pourtant pas un ennemi extérieur mais un « agent » de l’intérieur, un de ces non-humains avec qui nous partageons la planète et qui se rappellent à notre bon souvenir, alors que nous avons voulu depuis le début de la mise en place de l’urbanisme scientifique mettre à distance et sous contrôle les composants des systèmes biotiques et abiotiques – ce qu’on appelle couramment la « nature » dont René Descartes estimait qu’il importait d’être « comme maitre et possesseur ».

Combattre le virus par une réaction spatiale à l’ancienne : confiner, limiter drastiquement les mobilités, c’est montrer par cette réponse que la force du Sars-Cov-2 vient de sa capacité à se couler dans nos fonctionnements géographiques ordinaires.

« Quand l’épidémie arrive en ville », une conférence du mercredi 1er juillet à 18h30


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